Taches noires (1/1)

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Cela fait une semaine que nos nuits sont troublées de cauchemars. Toujours l’homme qui fond sur Lucas. Vu leur précision et leur réalisme, j’ai bien peur que nous ne revivions de vrais souvenirs de son passé. Je comprends pourquoi son inconscient a tout fait pour les oublier.

Je me réveille encore une fois en sursaut et les larmes coulent toutes seules sur mes joues. Je ressens encore ces mains baladeuses sur mon corps et je retiens à grand-peine un haut-le-cœur.

Comment imaginer un enfant vivre de tels actes, alors qu’ils ne sont acceptables pour personne, jamais ?

Je sors du lit précipitamment. J’ai simplement besoin de bouger. Et de prendre une douche.

Je prépare mes affaires et me mets sous l’eau, quand je sens une présence.

Il y a quelqu’un. Et ce n’est pas Lucas, mais l’autre.

– Que me veux-tu ? demandé-je sèchement, les poings crispés, toujours sous le jet brûlant qui sort du pommeau suspendu.

Je t’ai prévenu. Mais regarde, il commence à se souvenir, et il va mal. Vraiment. Arrête de le pousser. Qui sait ce qu’il pourrait faire ?

Cette voix. Toujours si calme et glaciale. Dangereuse. Oui, c’est le mot. Elle s’insinue à travers mes os et je les sens faire échos le long de ma colonne vertébrale. Morte. Voilà ce qu’elle est. Une voix sans sentiments, simplement vide.

Et elle résonne dans ma tête…

Je frissonne.

Je te conseille de faire profil bas, murmure-t-il à mon encontre, si profondément que j’ai l’effrayante impression qu’il parle tout contre mon oreille.

Je pousse un petit cri de terreur et manque de m’étaler dans la baignoire. Mon cœur bat à tout rompre. Mais une fois la surprise passée, c’est la colère qui prend le dessus. Je m’insurge :

– Sinon quoi ? HEIN ? Que vas-tu me faire ?

Si tu me gènes : t’effacer. Tu nuis plus que tu n’aides. Nous n’aurons bientôt définitivement plus besoin de toi, dit-il avant de disparaître.

M’effacer ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Comment pourrais-je être effacée ? « Nous » ? me répété-je en me remémorant sa menace. Lucas est-il dans le coup ?

Le souvenir de sa petite voix me revient en tête.

S’il te plaît, m’avait-il dit une semaine plus tôt. Ne me retire pas la confiance que tu me portes. Je crois que je ne le supporterais pas.

Je secoue vigoureusement la tête. Lucas n’est pas au courant. De plus, tout ce qu’il pense est ce que je pense. À force de vivre en harmonie, nous vivons sur la même longueur d’onde et nous n’avons pas de secret. Alors non, il ne peut pas me faire un coup pareil.

Je l’imagine très bien, ce garçon inconnu fraîchement débarqué qui se croit tout permis dans ma tête. Un regard à la fois suffisant et morne, qui s’amuse à me faire peur.

Et ça marche…

Acceptes-tu de me retrouver chez moi, après les cours ce soir ? me demande Lucas d’une voix solennelle, tandis qu’il chevauche son vélo direction le lycée. Mes parents rentrent tard, ils se font une soirée en amoureux.

Mon rythme cardiaque s’accélère.

Ça veut dire oui ? se questionne-t-il plus pour lui-même.

– Bien sûr, béta ! le rassuré-je, ravie.

Cool ! Bon, bon, bon, mon sac est bien à l’épaule, j’ai mes clefs, j’y vais.

– D’accord ! ricané-je.

Roooh ! Bon, pédalons, pédalons. Refermer le portail après mon passage. Tiens, les voisins ont une nouvelle voiture ? Ce n’est plus leur break ? Bizarre. Est-ce qu’ils ont pensé à transférer leur petit ours en porte-clef du rétroviseur ?

Son cœur fait un bond et manque de sortir de sa cage thoracique.

Il y avait une femme ! Dans la voiture ! s’écrie-t-il.

– Euh…

Une femme, avec des lunettes de soleil ! En plein hiver ? Et je t’assure qu’elle n’est pas ma voisine.

– Une maîtresse ? proposé-je.

Je ne crois pas, c’est la première fois que je vois ce véhicule.

– Ce n’est peut-être rien, tenté-je de le rassurer.

Oui, tu as sans doute raison. Allez Poupée, ça va bientôt couper. Je te dis à tout à l’heure !

– À tout à l’heure, Lucas.

La journée passe et j’attends avec impatience la fin des cours. Est-ce que, cette fois, tout se passera bien ? Va-t-il revivre un nouveau flash-back ? M’abandonner ?

Alors que je sors de cours, il se fige.

La voiture. Elle est encore là, dans ma rue. La femme aussi. Je vais rouler et la dépasser. Toujours ces lunettes. Malaise… J’ai du mal à respirer, saccadée…

Il s’arrête d’un coup, et, déséquilibré, le vélo tombe avec lui.

Bordel !

Il ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil vers la voiture. Seulement : la conductrice n’est plus là.

Il regarde autour de lui, rien. Personne. Fausse alerte ?

Je fronce les sourcils. Pourquoi mes journées ne peuvent-elles pas se dérouler simplement, sans évènements étranges ?

Je soupire tandis que Lucas tente de me remonter le moral, tout en se frottant énergiquement sa cuisse endolorie. Il se lève et range son vélo dans le garage.

Tu vas voir, je vais te montrer ma chambre ! s’exclame-t-il. Avec ma collection de romans et de bandes dessinées. On pourra même se mater un film !

J’avale ma salive de travers à la simple évocation du mot « film ».

Pas de chaussettes en vue ? se demande-t-il en montant les marches d’escalier quatre à quatre, menant à son antre. Oups ! Au sale, toi !

Je ricane. Il sourit.

Je me répète de nouveau ses explications. Maisonnette avec un portillon bleu et un jardin fleuri.

Je t’attends dehors ! m’apprend Lucas.

Je regarde ma montre tout en marchant. Encore dix minutes avant que ne passe mon bus. Et après, à moi Lucas !

Brusquement, une main s’abat sur mon visage et me tire en arrière. Je tente de respirer, mais quelque chose obstrue ma bouche et mon nez. Par réflexe, j’agrippe son bras et tente de me dégager, seulement la poigne de l’intrus dans mon dos est trop ferme. De toutes mes forces, j’enfonce mes ongles dans sa peau.

Rachel ! hurle Lucas, paniqué.

J’essaye de donner des coups de pieds dans les jambes de mon agresseur, mais je frappe dans le vide. Très vite, ma vision se trouble et les forces me quittent. Mes bras retombent mollement contre moi.

Mon corps devient lourd. Mes jambes me lâchent.

Je ne sais pas quoi faire.

J’étouffe…

Taches noires.

Puis… plus ri…

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