Je m’appelle Alain (1/2)

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— Tu es seul ? demande l’homme, l’air de rien.

Lucas se renfrogne en fermant la porte derrière lui. Finalement, ce type est peut-être louche.

— Vous comprendrez que vous ne m’inspirez pas trop confiance. Vous débarquez, comme ça et je ne sais même pas qui vous êtes.

— Vu sous cet angle… J’entends tes réticences. Sache simplement que je ne te veux aucun mal. Je suis l’auteur de la lettre qui te mettait en garde et je t’ai trouvé dans ce garage.

C’est ce qu’il avait déduit.

— Ne vous inquiétez pas, le rassure Lucas. Je n’ai pas l’intention de vous dénoncer. Vous m’avez sauvé la vie et averti du danger que j’encourais. Je ne pense pas que vous comptiez me faire du mal. Donc, je ne parlerai pas de votre visite à la police.

L’homme soupire, visiblement soulagé.

— Vous êtes venu m’expliquer votre rôle dans cette affaire ?

— Oui. Et je viens m’excuser. Je suis désolé de ce qu’il t’est arrivé. J’aurais pu empêcher tout ça, mais… j’ai été lâche.

Lucas le dévisage, surpris.

Cet homme, il lui dit vraiment quelque chose. Ces cheveux poivre et sel, ce visage avenant, mais fatigué. La teinte de ses yeux.

— Et si vous commenciez du début ? propose Lucas.

L’homme opine.

— Si tout ça te semble insupportable, n’hésite pas à m’interrompre.

Lucas le regarde, et attend que l’homme se lance.

— Pour commencer, je m’appelle Alain et je suis le frère de Maria, la femme qui t’a enlevée.

Le cœur de Lucas se serre. Son frère ? Il le regarde avec plus d’intérêt, saisissant déjà l’horreur qu’il avait dû vivre de son côté.

— Il y a des années…, reprend-il. Avant ton arrivée, j’ai eu des doutes sur ses agissements à elle et son mari. Ils décoraient une pièce pour en faire une chambre d’enfant. Une chambre de petit garçon. Ils l’ont peinte en bleu et vert. Je leur ai demandé si elle avait réussi à être enceinte. La réponse de Maria a été négative. Comme à chaque fois. Ils n’arrivaient pas à avoir d’enfants. « Alors, vous allez adopter un garçon ? » avais-je tenté. « Non, » m’avait-elle répondu, évasive.

Il écarta sa question de la main, comme s’il imitait le geste qu’elle avait eu elle-même une dizaine d’années plus tôt.

— Je n’avais pas compris, sur le moment. Un an plus tard, ils n’invitaient plus personne. Nous ne les voyions que si nous, nous les invitions. Mais elle semblait si heureuse. J’étais content pour elle et n’osais plus lui demander si elle avait réussi à être enceinte, de peur qu’elle s’assombrisse. Ce qui a fini par arriver…, soupire-t-il, fataliste. Puis, quelques mois plus tard, elle allait de nouveau très mal. Son mari aussi. Et, très vite, ils ont de nouveau rayonné. J’ai fini par lui demandé si elle avait trouvé un enfant à adopter, et elle m’a répondu : « Non, mais ce n’est pas grave. » Je me rappelle avoir été surpris par ses yeux, ils pétillaient de bonheur. Sauf que, petit à petit, de nouveau, elle était de plus en plus cernée et maigrissait à vue d’œil. Je n’en pouvais plus de la voir si mal et j’ai décidé d’aller la voir chez elle, à l’improviste, afin de parler de ce qui n’allait pas. Là, son mari a ouvert la porte. Je crois qu’il pensait que c’était Maria qui rentrait des courses et qu’il s’apprêtait à l’aider. Il a été si surpris qu’il m’a crié de partir.

Aspiré par son histoire, Lucas a un mouvement de recul, comme propulsé lui aussi par les paroles de son ancien geôlier.

— Ça a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase, dit Alain, pensif. Lui, d’ordinaire si gentil, avait dû se sentir menacé sur son territoire, et j’ai saisi que quelque chose clochait. Soudain, s’exclame Alain en accrochant son regard à celui de Lucas, tu es apparu au coin du couloir et j’ai réalisé ce qu’il en était. Il a vu que je ne le regardais plus. Il s’est tourné vers toi et, effrayé, il t’a crié de regagner ta chambre. Tu as reculé de quelques pas. Mais ton regard... Si effrayé et si déterminé à la fois.

L’homme baisse les yeux jusqu’à ses propres mains, pensif.

— Cette scène est encore si vive dans ma mémoire, que je me souviens de chaque geste… Le ton est monté entre mon gendre et moi, et il a sorti un pistolet d’un meuble contre lequel je l'avais acculé. J'étais tellement en colère... Il s’est sûrement dit que j’allais les dénoncer. J’ai réussi à le désarmer. Le pistolet a glissé dans le couloir. Il a couru pour le rattraper, mais tu l’as agrippé en premier et tu as tiré. Trois fois. Je me rappelle encore le sang qui a giclé sur ma chemise et sur mes mains.

Ces mêmes mains qu’il regarde depuis tout à l’heure.

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