Personne ne m’a demandé si j’avais peur
Jour -6
Je suis devant la porte, je souffle un bon coup et appuie sur la sonnette.
À côté de moi, Sahon me prend doucement la main et la presse contre sa paume pour me donner du courage.
— C’est juste un dîner après tout, chuchotai avec un petit rire nerveux.
— Ne t’en fais pas, je suis à côté de toi et te soutiendrai toujours, Serena.
Pas sûr que ça suffise, mais bon, espérons…
Ma mère ouvrit la porte et nous invita à rentrer avec froideur.
— Entrez, je n’ai pas toute la soirée.
— Bonjour maman, comment vas-tu ? Moi, super, merci, raillai-je en tentant de mettre un peu d’ambiance.
— Toutes mes salutations, madame, souffla Sahon avec méfiance.
— On n’est pas dans un penthouse, jeune homme.
— Maman, arrête de l’embêter, répondis-je en retenant avec peine mon rire.
Ma mère retourna dans la cuisine sans relever ma phrase.
Nous nous mîmes à table, tout le monde. L’atmosphère de la pièce était froide, tellement peu accueillante.
L’odeur de légumes trop cuits flottait dans la cuisine.
Papa lisait son journal. Maman scrollait son téléphone sans vraiment cligner des yeux. Mon frère mâchait comme une machine, sans lever la tête une seule fois.
Moi, j’avais le cœur serré. J’hésitai. Puis je me lançai.
— Je pars dans six jours.
Le silence tomba.
Clac. Une fourchette heurta une assiette. Mon frère leva à peine les yeux.
— Ah… déjà ? Je croyais que c’était dans une semaine, répondit ma mère sans même décrocher le regard de son écran.
— C’est ce que je viens de dire… soufflai-je, plus bas, presque pour moi-même.
Papa replia lentement son journal.
— Tu vas dans l’espace, pas à la guerre. Tu n’exagères pas un peu ?
Je serrai les dents. Une partie de moi espérait… quoi ? Un « Tu as peur ? », un « Tu es prête ? », juste… une once d’intérêt.
Rien.
— J’ai fait ma valise, ajoutai-je doucement. Il ne me reste plus qu’à dire au revoir.
— À qui ? ricana mon frère. Y’a personne ici qui t’enchaîne.
Ma mère reposa enfin son téléphone. Elle sourit, mais c’était un sourire froid, vide, presque gêné.
— Tu veux des adieux en plus ? C’est pas un film, Serena.
Je baissai les yeux. Ma soupe refroidissait devant moi. Je la regardais, sans vraiment la voir.
— Je pensais juste que… peut-être… vous auriez quelque chose à me dire. Avant que je parte.
Papa soupira. Il reprit son journal comme si rien ne s’était passé.
— On t’a donné un toit. C’est déjà pas si mal.
Je me levai. Mon assiette était encore pleine. Personne ne dit un mot. Personne ne me retint.
Je franchis le seuil de la cuisine. Et là, derrière moi, j’entendis mon frère murmurer :
— Peut-être que là-haut, ils t’écouteront. Ici, on a essayé.
Je refermai la porte derrière moi, Sahon à mes côtés. Doucement. Sans faire de bruit.
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