Struo
J’étais dans la nuit et avançais sans bouger de place
Mes mains happaient le vide à la recherche d’un soutien ; mes yeux tranchaient l’obscurité en milliers de poussières sans éclat
Une étoile m’aurait suffit
Je hurlais en silence contre les malédictions que l’enfance m’obligeait à porter
L’angoisse caressait sans se presser mon dos tendu vers le rejet ; elle tiendrait la longueur quand j’aurais lâché l’espoir et que nul chemin ne me serait dessiné
Je n’attendais pas : j’espérais, contre toute attente
J’errais longtemps
Sans yeux, sans goût, sans vie
Sans savoir
À la recherche de l’illusoire, ou d’une croyance
Le passé m’avait quitté ; le futur n’avait jamais entendu parler de moi
Le présent ne m’habitait plus
Je n’étais plus qu’un jeu et, aux points, j’avais perdu
J’avais renoncé
À tout, ou presque, car il est certain germe qui ne meurt jamais
Quand il est apparu
D’un coup, d’un seul, au seuil de l’ombre
Noir et lumineux
Intrigant dans sa brillance
Inquiétant dans son ébène
Magique, pur
Magnifique
Comme on présente un piano à queue unique et universel dans une salle Pleyel
L’Instrument
J’ai repris mes sens et me suis approché
Mes doigts se sont avancés…
Sans oser
J’entendais son souffle, son impatience
Il était si impressionnant…
Je m’appelle Struo, m’a-t-il répondu
(Je n’avais pas posé la question)
Et moi, Jeu, ai-je murmuré
J’ai appuyé mon index, pour tâter, pour tenter
Tue…
Un son pointu comme une flèche d'obsidienne
J’ai reculé, perplexe
Il me dit : tue ?
Il n’y avait que lui, Struo, et moi, le jeu de l’ego
Que suggérait-il ?
Que je le tue, que je me tue ?
Qu’y avait-il à tuer ?
L’obscurité, la lumière, le vide, la présence, l’absence, quelqu’un ou quelque chose ailleurs ?
Ou n’était-ce qu’un « tu » simple début pointant vers un potentiel ?
Lui me voyant tu, ce tu auquel je ne croyais pas, ce moi autre qui n’était pas en moi, mais tout de même dans mes bagages
Ou, peut-être, se manifestait-il, lui, signifiant par-là que Struo tue ?
Tant de possibilités
Tant de questions qui tuent l’action
Hors ces considérations, je constatais que l’ego ne pouvait prétendre à la lumière sans Struo
Il me fallait donc bâtir
Devenir constructeur industrieux, instructeur structurel, obstructeur, voire destructeur
Struo fournirait la lumière
Mon sang produirait le ciment
La matière viendrait de ce que je ne possédais pas
Et le résultat ne m’appartiendrait jamais
Comme un jeu de dupes où les liants s’effacent devant l’héritage
Érostrate avait-il eu raison d’aller au bout du chemin offert ?
Le jeu en valait-il l’étincelle ?
J’ai alors compris que la mort tue et ne nous laisse qu’une porte à pousser
Qu’il nous faut jouer pour tuer, et que c’est le seul destin que Struo nous offre
Celui qui ne tue pas meurt deux fois, avant et après le passage de la mort
Je n’aurais jamais dû prendre Latin en troisième langue
Ainsi, l’enjeu se serait échappé de ma conscience
Il est bien plus gratifiant de continuer à pédaler dans le but de mélanger le néant avec le temps
Bâtir, détruire, instruire, sont des industries qui tuent tous les jeux.
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