CHAPITRE 45 - La dame blanche

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Mois de juin 2065 et jours suivants

Lorsque Olivier était tombé à terre, un cri, provenant de la gorge de Chloé, avait traversé l’air pour percuter les oreilles de Claire qui s’était aussitôt retournée pour comprendre la raison de cet affolement. Angoissée, elle avait fait demi-tour, accourant comme une dératée jusqu’à son conjoint, plaçant son index au niveau de son cou afin d’en capter le pouls carotidien.

Le cœur d’Olivier s’était arrêté de battre, mais Claire connaissait son cas atypique puisque ce genre de situation s’était déjà produit par le passé. N’avait-il pas frôlé la mort à maintes occasions ? À chaque circonstance, il était revenu à lui sans aucune séquelle, ce qui, à chaque fois, tenait du miracle : d’abord, ici, au Mesnil-Peuvrel avec Andie, puis rue de Navarre avec Isabelle et enfin au moulin, avec Isabelle et Claire qui était alors arrivée à la rescousse. Mais depuis 2013, aucun autre trouble n’était survenu.

Cependant, cette fois-ci, Claire eut une appréhension. Immédiatement, approchant les lèvres de son bracelet, elle avait imploré sa fille afin qu’elle aille récupérer au plus vite le défibrillateur rangé dans un placard de la cuisine. Sans crier gare, « petite Isabelle » rebroussa chemin pour s’emparer de l’appareil se maudissant de n’y avoir pas pensé plus tôt.

Près de la chapelle, la panique s’était installée lorsque chacun put découvrir que Claire commençait à effectuer des compressions thoraciques au niveau du sternum de son compagnon, puis des insufflations. Très vite, Claire s’était sentie épuisée, si bien que William puis Mathieu avaient pris le relais.

Au bout d’une cinquantaine de minutes, les secours étaient arrivés au Mesnil-Peuvrel, toute sirène hurlante. À cet instant, chacun avait compris que tout était terminé et qu’Olivier n’aurait aucune chance de reprendre vie. Un hélicoptère, dépêché sur site, l’avait évacué à Charles Nicolle. Méditatif et triste devant l’irréparable, Mathieu avait proposé à sa fratrie de faire un saut jusqu’à l’hôpital avec sa propre locomobile.

Effondrée par la mort de son père, avec lequel elle avait noué une tendre complicité, Isabelle avait entraîné sa mère à Rouen pour l’héberger dans son appartement du boulevard des Belges. En pénétrant dans l’entrée, Isabelle avait relevé que Victor et sa fille Bérénice dormaient déjà. Se privant d’un repas léger, les deux femmes avaient rejoint rapidement leur chambre, mais bien qu’il soit minuit, Isabelle avait envoyé un SMS au directeur de Charles Nicolle dont elle avait le numéro personnel pour le tenir informé de la situation.

Vers une heure du matin, allongée dans le salon, essayant de trouver le sommeil, petite Isabelle s’était levée pour récupérer l’ouvrage de son père intitulé « Mémoires d’un voyageur intemporel ».

À l’aube, après avoir relu certains chapitres et après s’être tournée les pouces dans son canapé, elle avait sollicité son époux Victor pour qu’il lui donne un avis éclairé sur ce qu’il convenait de faire pour la suite, adoptant aussitôt une ferme décision.

Vers dix heures, petite Isabelle avait prévenu Anne-Sophie Häkkinen de la disparition soudaine de son père. Journaliste à Paris-Normandie, Anne-Sophie était également la meilleure amie de Bérénice, propre fille de petite Isabelle. De plus, Anne-Sophie s’avérait être l’arrière-petite-cousine d’Isabelle Tuttavilla par les Bohon de Secqueville. Vu la notoriété d’Olivier Prevel dans le monde scientifique, il était probable que les quotidiens prendraient le relais pour évoquer le décès de cette figure du passé. Réflexion faite, il se révélait logique que ce soit Anne-Sophie qui bénéficia des primeurs de cette disparition.

Anne-Sophie, d’abord surprise par la mort de Olivier Prevel, avait présenté toutes ses condoléances à la mère de son amie. Après avoir averti son directeur de publication de cette funeste nouvelle et après lui avoir affirmé que ce décès s’était produit parmi son entourage, elle obtint le privilège de couvrir l’évènement.

En fin d’après-midi, Anne-Sophie avait eu rendez-vous avec petite Isabelle dans un café proche de la place du Vieux Marché. Au cours d’une rencontre qui n’était avant tout que professionnelle, Isabelle s’était durablement entretenue avec Anne-Sophie pour lui parler de son père, de ses travaux et de ses livres traduits dans plusieurs langues. En aparté, elle avait fini par évoquer un autre bouquin « Mémoires d’un voyageur intemporel » qui avait été diffusé dans un cercle restreint, c’est-à-dire familial. Ce qui n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd…

Ce même soir, Anne-Sophie avait été invitée à dîner par le couple Delamare Deboutteville. À la fin du repas, Isabelle avait remis à son amie l’ouvrage cité lors de l’interview pour qu’elle récupère les éléments principaux dont elle aurait besoin pour écrire son article.

De retour à son domicile, elle s’était installée dans son canapé, pour parcourir la table des matières dans ce qui paraissait une étrange biographie. S’instruisant en premier lieu sur la personnalité du défunt, la journaliste s’était intéressée de plus près à la seconde partie, celle relative à une histoire invraisemblable retracée par l’auteur et abondée par une documentation touffue et solide, notamment fournie par l’abbé Anquetil, une figure familière des sociétés savantes de la région rouennaise.

Bien qu’il soit tard, Anne-Sophie s’était passionnée par le sujet et à travers le récit, elle avait repéré les pièces iconographiques dont plusieurs concernaient la lourde épée, le sarcophage dans lequel reposait un squelette, les tissus prélevés et analysés par un labo, la plaque gravée sur laquelle apparaissaient les noms de Guillaume de Peuvrel et de son épouse Alix Malet de Graville. S’enflammant par l’aspect archéologique, Anne-Sophie envoya un SMS à Isabelle qui lui téléphona immédiatement pour lui apporter les éclaircissements qui lui permettraient d’affiner son article.

Il était presque minuit et Anne-Sophie était restée sur sa faim, Isabelle n’ayant pu en dévoiler davantage, à part que son père avait collectionné, tout le long de sa vie, des coïncidences exagérées, la dernière en date étant inhérente à celle d’une patiente, s’appelant Alix Malet, demeurant boulevard de Graville au Havre. Cette femme s’était présentée hier, un 21 juin de surcroît, pour y subir, le lendemain, c’est-à-dire aujourd’hui, le remplacement d’une valve cardiaque. Ses collègues s’étaient relayés pour entreprendre cette banale opération, compte tenu de l’absence d’Isabelle qui devait maintenant faire son deuil.

Après avoir mis fin à la communication, Anne-Sophie avait remarqué qu’il existait des preuves factuelles de nature archéologique qui vérifiaient les écrits du physicien. De plus, on pouvait compter sur le témoignage de Claire, la mère de petite Isabelle qui s’était retrouvée aux premières loges lors de la découverte d’une boucle d’oreille sertie d'un diamant et au design particulier dans la chambre même d’Olivier, et cela quelques heures après l’inhumation du mannequin. Ce lien familial éloigné rendait le mystère plus alléchant encore. De toute évidence, ce point avait réellement besoin d’un sérieux éclaircissement, car en toute logique, ce bijou aurait dû être récupéré par Letizia Colonna qui l’avait recherché en vain dans l’Audi accidentée. Or, Letizia, femme corse dans l’âme, n’abandonnant jamais la mission qu’elle s’était assignée, avait finalement renoncé après avoir fait démonter par le garagiste tous les sièges de l’automobile et soulevé les tapis.

Avant de rejoindre son appartement de la rue Damiette, Anne-Sophie avait suggéré à son amie de lui confier l’ouvrage pour une journée, le temps d’y puiser des idées et recycler les renseignements essentiels sur la jeunesse de son père, sa famille, ses études, ses analyses, ses textes dans la presse spécialisée, les livres qui avaient été publiés, car il était important d’honorer avec exactitude la mémoire d’un scientifique de renom.

Surprise par cette demande, Isabelle avait consenti à ce prêt, tout en s’opposant à ce qu’on reprenne certains éléments existants dans le tout dernier chapitre écrit par son père : primo, sur le sujet explicitant les trois expériences de mort imminente ; secundo, sur le témoignage de Claire qui avait été étonnée de la présence de la boucle d’oreille dans la chambre d’Olivier, cette question s’avérant d’ordre privé et intime ; tertio, sur sa romance avec une députée de la Seine-Maritime ; quarto, sur la concordance des dates de naissance et de décès d’Isabelle et d’olivier, tous deux étant nés un 21 juin et disparus un 21 juin ; quinto, sur ce qu’Isabelle avait rapporté verbalement à Anne-Sophie, concernant l’une de ses patientes portant le nom d’Alix Malet et qui, de plus, demeurait boulevard de Graville au Havre, laquelle fut admise dans le service cardiologie ce pareil 21 juin, au soir, pour y être opérée lundi. Et des coïncidences de ce genre, il y en avait bien d’autres, démontrant qu’un seul homme avait été confronté au cours de sa vie à beaucoup trop de hasards extraordinaires.

Après ce rendez-vous, Anne-Sophie s’était intéressée de près à cette histoire, sollicitant Marie, une secrétaire de rédaction pour photocopier l’ensemble de ce recueil. Le lendemain, un article, signé Anne-Sophie Häkkinen, était paru sur la plateforme numérique du quotidien normand, dont le tout premier paragraphe avait été libellé en ces termes :

DÉCÈS DE MONSIEUR OLIVIER PREVEL

Monsieur Olivier Prevel, ancien polytechnicien et docteur en astrophysique, est décédé dimanche 21 juin, victime d’un arrêt cardiaque dans sa propriété des environs de Dieppe. Olivier Prevel, éminent scientifique, avait rédigé plusieurs ouvrages sur les mystères du cosmos et surtout sur les découvertes effectuées dans l’univers profond après la mise en orbite des télescopes spatiaux James-Webb et Nancy-Grace-Roman. Les secours sont intervenus rapidement et un hélicoptère a été dépêché sur place. Olivier Prevel était le père de quatre enfants, dont le député-maire de Neufchâtel-en-Bray Mathieu Prevel qui avait épousé l’actrice Daphné Martel, petite fille de l’ancienne ministre de la Culture, Aurore de Marescourt. Olivier Prevel fut le compagnon d’un top-modèle, Isabelle Tuttavilla dite Isabelle Bohon, qui eut son heure de célébrité avant de trouver la mort dans un accident de voiture en Corse. La direction du journal adresse ses sincères condoléances à ses enfants et petits-enfants.

Dans les jours qui suivirent, la presse nationale était revenue sur la nouvelle, la diffusant sur l’ensemble des plateformes médiatiques.

L’inhumation d’Olivier eut lieu à Bully dans un caveau qu’on avait fait élargir de telle façon qu’Olivier et Isabelle puissent reposer l’un à côté de l’autre. Pour la sépulture, il avait été prévu de la remplacer, en raison de sa vétusté, par un nouveau tombeau à définir. William qui avait déjà sa petite idée sur la question proposa de consulter un de ses amis qui exerçaient la profession de marbrier, spécialisé dans les monuments funéraires.

Une semaine plus tard, un site belge avait repris l’information en des termes qui frisaient le mystère. Visiblement, il y avait eu fuite puisque ce qui était composé dans cet hebdomadaire n’aurait jamais dû être révélé au grand public au sein d’une rubrique dite insolite :

LES AMANTS DE L’ÉTERNITÉ

Aussi étrange que cela puisse paraître, Olivier Prevel, astrophysicien de renom, décédé le dimanche 21 juin 2065, avait rédigé un ouvrage inédit intitulé Mémoires d’un voyageur intemporel, destiné principalement à sa famille. Dans son récit, Olivier Prevel relate qu’il a vécu à plusieurs reprises des expériences de mort imminente (EMI ou NDE dans le langage des initiés). Au cours d’une des expérimentations, il affirme avoir été présent sur la place de la Concorde en 1793 lors de la décapitation de Marie Anne Duchastel, compagne de Nicolas Vincent Prevel, son aïeul direct (indication vérifiée par nos collaborateurs aux Archives Nationales). Dans une autre EMI, il explique qu’il serait parvenu à se glisser dans l’esprit d’un chevalier du Moyen Âge pour se fondre dans la foule et assister à l’exécution d’une certaine Alix Malet de Graville, laquelle aurait été brûlée vive devant l’église de Neufchâtel-en-Bray le 21 juin 1483 pour crime de sorcellerie. Concernant les date et lieu d’exécution, ainsi que pour le nom de cette suppliciée, il n’apparaît aucune preuve de l’existence de cette femme dans les archives. Cependant, les archéologues ont bien découvert en 2018, grâce au concours de l’abbé Anquetil, ancien curé de Bully et membre de plusieurs sociétés savantes, un artefact gravé remontant à la fin du Moyen Âge et portant le nom d’Alix Malet de Graville, épouse de Guillaume de Peuvrel, chevalier. Les expertises ont démontré qu’il s’agissait d’une pièce authentique. Il est fort probable que ce chevalier fut l’ancêtre direct de monsieur Prevel d’après le test ADN sur le chromosome Y qui fut effectué.

Par ailleurs, monsieur Prevel évoque plusieurs hypothèses quant à ses voyages spatio-temporels, dont l’une est représentée dans le film Interstellar de Christopher Nolan lorsque l’astronaute Cooper, éjecté de son vaisseau spatial, se retrouve dans un état qui pourrait s’apparenter à une expérience de mort imminente. D’après la théorie de certains critiques du cinéma et de monsieur Prevel, la conscience de Cooper aurait éprouvé un état quantique, l’autorisant à communiquer avec sa fille Murphy à travers le temps et l’espace.

Notons encore que Olivier Prevel avait entretenu une relation avec une ancienne députée, ainsi qu’avec le mannequin Isabelle Bohon, de son vrai nom Isabelle Tuttavilla. Étonnamment, monsieur Prevel et mademoiselle Tuttavilla sont nés un 21 juin et sont décédés un 21 juin. « Dieu ne joue pas aux dés », avait-il coutume de s’exclamer. D’après sa fille, Isabelle Delamare Deboutteville, cardiologue, son père avait accumulé les coïncidences exagérées jusqu’à sa mort.

D’où pouvait bien provenir cette fuite ? Petite Isabelle avait bien son idée là-dessus, gardant toute sa confiance à Anne-Sophie qui était parvenue à l’éclairer sur l’origine de cette divulgation, mais il était désormais trop tard pour réagir.

Les jours suivants, une autre presse, celle people, avait relayé ces informations d’ordre privé, en particulier aux États-Unis et au Canada, obligeant la fratrie Prevel à se claquemurer chez eux. En même temps, la meute de journaleux avait ambitionné d’en connaître davantage, se renseignant auprès de la source du premier texte publié, en l’occurrence Anne-Sophie Häkkinen qui n’avait pas souhaité communiquer avec quiconque. D’autres, plus critiques, relevaient que ce récit ne cadrait pas avec le portrait qu’on se faisait d’un scientifique. Puis, au bout d’une semaine, les médias avaient cessé de se passionner pour Olivier, se penchant davantage sur le personnage d’Isabelle, cette ancienne mannequin vedette devenue prof de français. C’est ainsi que furent exhumées les innombrables archives de naguère la concernant.

Un peu plus tard, on demanda à William d’exposer la parure complète pendant que certains hackers réussirent à retrouver des photos de l’Audi accidentée, on n’avait pas su comment. D’un autre côté, Christine, toujours célibataire, avait ouvert un compte sur différents réseaux sociaux pour créer une page dénommée Les Amants de l’Éternité, reprenant le titre qu’elle avait découvert sur le web, ce qui entraîna certains internautes du monde entier à lui envoyer toutes sortes de documents numériques en rapport avec l’histoire étrange qui avait été rapportée sur la toile. Ainsi, lorsque l’on s’introduisait dans l’appartement de Christine, on remarquait un grand panneau de liège sur lequel étaient punaisés de multiples extraits de la presse internationale. En s’approchant, on pouvait y lire, écrit en gros caractère :

STRANGE STORY IN FRANCE

A man...

Dans le monde entier, une certaine presse à sensation était revenue sur ce fait divers hors du commun. Dépassée par un phénomène qu’elle ne maîtrisait pas, Claire avait refusé plusieurs entretiens radiophoniques, puis s’appuyant sur les conseils de Christine, elle avait fini par en accepter un.

Après avoir réservé un vol pour débarquer à Roissy, Andie Jefferson s’était rendue dans ce paisible village de Bully pour s’incliner devant la sépulture d’Olivier. Prenant son courage à deux mains, elle avait décidé de se présenter à la ferme des Roys pour y rencontrer Claire et Christine.

Elle y passa la nuit, puis les autres jours.

Entretemps, Andie fut émue de retrouver la terre du Mesnil-Peuvrel dont les bâtiments avaient été intégralement rénovés, profitant de cette visite improvisée pour conter son horrible mésaventure aux deux sœurs, ainsi qu’à petite Isabelle et Anne-Sophie Häkkinen, cette dernière ayant été spécialement invitée pour procéder à l’interview d’une Américaine de passage en France. Andie repartit quand l’un de ses fils de passage à Paris revint pour la récupérer et la conduire à l’aéroport. C’est à regret qu’elle s’envola pour Houston, escomptant dorénavant apporter son témoignage à travers les magazines américains.

Quelques mois plus tard, jugeant les précieux conseils de Claire plus conformes à la réalité, la fratrie Prevel était tombée d’accord sur le type de pierre tombale qu’il convenait de faire tailler dans un marbre blanc, ainsi que sur le texte à graver, les quatre enfants Prevel s’étant accordés pour considérer Isabelle comme la mère de tous.

Sur ce monument en forme de grand livre ouvert, on pouvait lire sur la page de droite une épitaphe sculptée en lettres romanes ;

Ici reposent Isabelle et Olivier,

Ils se sont rencontrés pour s’aimer,

Elle lui a prouvé pour l’éternité,

Que l’amour allait au-delà de la mort !

Comme à l’accoutumée, Claire, vieillissante, ne dérogeait pas à son rituel journalier en se rendant au cimetière à une heure avancée, pour y retrouver ses chers disparus, comme elle se plaisait à le dire à ses voisins. Franchissant le lourd portail, elle envisageait sa balade habituelle, toujours la même, s’arrêtant systématiquement sur les sépultures de tous ceux qu’elle avait connus, voire soignés. Elle ne pouvait s’empêcher de leur formuler deux ou trois mots dont elle se doutait que cela serait sans nul retour. En général, elle terminait son périple sur la tombe de sa meilleure amie et de son époux. Là, elle y restait un peu plus longuement pour leur parler en esprit.

Ce soir-là ne fut pas une promenade comme les autres, car elle ne pouvait pas encore distinguer deux ombres qui se rapprochaient du grand livre de pierre pour la guetter. Elle prit le temps d’adresser une courte prière à ses chers disparus lorsqu’un voile opaque passa devant ses yeux, puis elle entendit une voix intérieure qui lui souhaita la bienvenue.


Le lendemain matin, inquiète de n’avoir aucune nouvelle de sa mère, petite Isabelle, quittant son domicile rouennais, se rendit à la ferme des Roys en voiture, puis, ne trouvant aucune âme qui vive, refit tout le chemin inverse avant de s’engager à vive allure dans le centre de Bully. Là, elle croisa Anne-Sophie Häkkinen qui marchait au pas cadencé le long de la route. Arrêtant son véhicule près d’elle, petite Isabelle lui fit part de sa profonde préoccupation au sujet de sa mère. La jeune journaliste ne sut quoi lui répondre, mais lui proposa son aide, celui de l’accompagner pour essayer de repérer Claire. Après avoir effectué plusieurs fois le tour du village, petite Isabelle eut l’idée de se diriger vers le cimetière. Abandonnant le véhicule, et dès que le portail fut franchi, elles arpentèrent chacune des allées, retrouvant Claire étendue de tout son long à petite distance du monument funéraire, celui d’Isabelle et Olivier.


Mi-juillet, comme c’était prévu depuis quelques mois, Anne-Sophie Häkkinen convola en justes noces avec son fiancé Gérald Prevel, fils de William et de Amélie Armfeld, laquelle s’avérait être une lointaine cousine des Häkkinen. Ce mariage consanguin, mais pas trop, qui devait se dérouler sur les terres normandes, serait l’occasion pour Anne-Sophie de quitter son cocon familial et d’aller vivre en Corse auprès de son époux, gérant du cabinet d’architecture de Bastia. Gérald Prevel, quant à lui, espérait passer ses vacances prochaines dans le moulin appartenant désormais à son père William.

Gérald avait, lui aussi, lu les écrits insolites de son grand-père paternel, raison pour laquelle il aspirait à sauvegarder un patrimoine pour le moins curieux et étrange. Un soir comme un autre, Gérald s’était retrouvé au restaurant face à son père, un père qu’il respectait au plus haut point. Au cours du repas, il évoqua le dernier livre de son grand-père. Puis, s’étendant davantage sur une idée qui lui tournoyait dans la tête depuis ses fiançailles, Gérald lui exprima le profond désir de conserver l’une des deux horloges. S’engageant encore plus au moment où arriva le dessert, il lui confia qu’il escomptait offrir la seconde horloge à sa future femme lorsqu’un autre heureux évènement surviendrait très bientôt. William s’était mis à sourire, comprenant le message et consentit son accord sur le principe pour la première horloge, ayant déjà réservé la seconde à sa sœur Isabelle.

Lors de son installation dans l’île de Beauté, Anne-Sophie avait emporté parmi ses nombreux bagages la photocopie de l’ouvrage « Mémoires d’un voyageur intemporel ». En outre, elle était parvenue à récupérer un second exemplaire, celui retrouvé par hasard, parfaitement dissimulé sous une liasse empilée sur le bureau de la secrétaire de rédaction, laquelle l’avait reproduit en douce. Comme elle l’avait suspecté un moment, c’était bien Marie qui était à l’origine des fuites qui avaient alimenté la presse internationale. Peu importe finalement, Anne-Sophie avait déjà donné sa démission au média qui l’employait.

Là-bas, en Corse, avant la naissance de son futur bébé, Anne-Sophie projetait de retravailler comme journaliste en intégrant Corse Matin qui serait susceptible de l’embaucher depuis le départ d’un de leur associé ? En attendant sa reprise, elle envisageait de découvrir avec Gérald les quatorze étapes de la passion.


Bien des années plus tard, le charmant village de Bully était devenu un lieu spécial, surtout en période d’été lorsque quelques badauds, provenant d’on ne savait où, se recueillaient sur une tombe surprenante par son architecture, ainsi que par le libellé à consonance intemporelle.

Un soir, un fermier de la commune récupéra sur le bord du chemin, une petite brochure abondamment illustrée et signée par une certaine Anne-Sophie Prevel, journaliste à Corse matin, dont la famille demeurait toujours la localité. Le premier volet de cette brochure se rapportait en premier lieu à l’originalité de cette sépulture et à la curieuse vie d’un astrophysicien, Olivier Prevel, qui aurait accumulé un nombre impressionnant de coïncidences, dont celle de s’éprendre d’une reine de beauté, en l’occurrence un ancien mannequin vedette qui mourut à l’âge de 30 ans seulement.

En parcourant la biographie de ce top-modèle, lointaine habitante du pays, on pouvait retenir qu’elle aurait été l’incarnation d’une femme suppliciée au Moyen Âge. Les anecdotes, à propos de cette jeune femme, s’avéraient extrêmement touffues puisque le guide mentionnait que, victime d’un terrible accident de la route, le cœur de la polytraumatisée, ce qui était faux, avait été implanté dans le corps de Astrid Seyer, une patiente en attente d’un greffon. Mais ce qui apparaissait comme étant encore plus extraordinaire, c’est que cette patiente s’était mariée par la suite avec Olivier Prevel, lequel reposait auprès de la donneuse qui se nommait Isabelle Tuttavilla, alias Isabelle Bohon, un top-modèle qui avait marqué son époque dans les années 2000.

En outre, ce qui se révélait plus surprenant encore, c’est que la chirurgienne, Claire Bertaux, celle qui avait procédé à l’opération de la dernière chance, avait convolé en justes noces avec Olivier Prevel après le décès de son épouse Astrid Seyer, la receveuse. À la fin du chapitre, on apprenait que Claire Bertaux, également inhumée dans ce cimetière, était décédée d’une crise cardiaque devant le monument, aujourd’hui visité par un tas de curieux.

Les chapitres suivants suggéraient différents itinéraires pour explorer l’île de Beauté, dont un recommandait les quatorze étapes de la passion. Cette Passion qui avait réuni à jamais Isabelle et Olivier.

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