CHAP 5 9
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J’ai à peine le temps de me vautrer pour me servir un verre, que la greluche sort de son étage et m’alpague du haut des marches :
— Vous avez pris du temps, Monsieur Deloupe.
— J’ai autre chose à foutre que te servir de larbin, Lefloch. Accessoirement coincer les salopards qui veulent ta peau.
Elle avise le carton posé sur le plan de travail puis descend de mauvaise grâce pour le ranger, quand elle comprend que je ne le ferai pas. J’y ai ajouté deux trois trucs.
— Vous ne devriez pas le prendre comme ça. Il est normal que vous rendiez service.
— Et c’est ce que je fais. Mais chacun ses priorités, « bien évidemment » ... Faire tes popotes et pourrir la vie d’alliés potentiels, est apparemment moins con que de mener une véritable enquête.
Elle botte en touche, se penche au-dessus du carton.
— Je passe sur le whisky, mais...
Elle en extirpe un IPhone flambant neuf, dubitative :
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Ça, c’est un Smartphone. Ça sert à communiquer à distance. Je veux que tu l’ais sur toi en permanence, qu’on puisse se joindre au cas où.
— Je sais ce que c’est, bien évide… Mais…
— J’ai rentré mon « 06 », que t’appelleras en cas d’urgence, que je puisse ramener mon derche presto. Et que tu ramènes le tien si besoin ?
Ce qu’elle ignore, c’est que j’ai activé le système de géolocalisation et fais en sorte de pouvoir le consulter depuis mon propre smartphone. La version masochiste de la balise. Big Brother est partout, il trouvera la beuh pour moi. Elle observe la chose du bout des doigts, telle une hérésie :
— Je ne suis pas favorable à cette technologie. Elle dégage des ondes néfastes pour les plantes et perturbe les énergies.
— Ok. Alors me saoul plus pour cinq minutes de retard.
La phase une est terminée, à vrai dire je m’attendais à sa réaction. Mais je connais la nature humaine. Elle ne résistera pas à l’opportunité de me fliquer et ça se retournera contre elle.
— Monsieur De…
— J’ai des trucs urgents à faire, je me casse demain. Je sais pas encore pour combien de temps. C’est mieux comme ça, je crois. On est comme chien et chat, tous les deux.
Ça c’était la phase deux. L’éloignement créera le besoin ; j’échapperai aux séances de spiritisme et à l’envie de meurtre. Enfin je tente. Ça y est, elle tape sa petite colère, les poings sur les hanches, signe précurseur de gros emmerdements :
— Monsieur Deloupe !
— Oui, ma Clairinette ?
— Je vous interdis de m’appeler comme ça !
— Oui, ma clairement pas nette ?
— Vous… Je ne sais pas ce que vous manigancez, mais je vais trouver ! Et ça ne marchera pas !
Ça y est, elle me gave avec son air supérieur et son autoritarisme :
— Je manigance rien, grognasse ! Je sonne juste la fin de la récré ! Je suis pas ton larbin, bordel !
— Peu-importe, vous n’irez nulle part !
— J’ai bien compris que j’étais pas le bienvenu ici ! Et maintenant je devrais rester ?
— Vous êtes convalescent, Monsieur Deloupe. J’ai des obligations envers vous que je compte bien tenir. Et Aliénor a besoin de vous pour monter la garde au restaurant.
Maintenant, elle me « prête » à la marâtre… Je sens monter la fureur du juste :
— Bordel, Lefloch ! J’en ai ras le cul de tes ordres ! Je vais te mettre un coup, mais pas dans le sens que tu crois !
— Cessez donc de pavoiser. Vous en êtes bien incapable.
— Tu… T’auras du mal à articuler tes sorts sans tes dents ! Morveuse !
Elle m’envoie chier avec majesté :
— La magie n’a rien à voir là-dedans, Monsieur Deloupe. Vous le savez bien.
— Explique-moi ça nabot, décidemment je suis trop con !
— Vous êtes amoureux de moi, c’est une évidence ! Et pour être limpide, j’ajouterai que ça n’est pas réciproque !
Je reste sans dessus-dessous de sa déclaration, sans savoir de quelle partie. Je vais démonter cette pétasse à force de réparties cinglantes, la remettre à sa place :
— Va dire ça à Marie Trintignant, ignare ! Et tu parles aux bégonias à poil dans ton jardin, bordel ! Qui pourrait s’amouracher d’une anomalie comme toi ? Espèce d’attraction foraine !
Elle se décompose, mais campe sur ses certitudes :
— Peut-être celui qui pleurait en me tenant dans ses bras, lorsqu’il me croyait morte ?
Petite conne… Tous les coups sont permis, c’est la guerre.
— C’est le machin dans mon bide qui parlait ! Celui qu’avait tellement faim qu’il a failli éclater ta vulve, branlée sur tous les chênes de Brocéliande ! Et il est mort !
Elle se fige. Le mot de trop est lâché. J’aurai dû me refréner, laisser passer l’orage, faire profil bas, fermer ma grande gueule, tout sauf de parler de ça. Mais impossible avec cette fille, elle m’exaspère. Elle vire au blanc surnaturel :
— Vous êtes odieux, en toute circonstance. Soyez demain soir au restaurant ou ne revenez jamais.
Je redescends pour de bon, stupéfait de ses yeux qui deviennent liquides.
— Excuse-moi… Je…
— Bonne soirée, Monsieur Deloupe.
Elle laisse choir le téléphone et se réfugie à son étage.
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