Gimme! Gimme! Gimme!
NOËL !!! Décembre est là et avec ce mois rime Noël… Vraiment, je le déteste juste pour cela. Je me moque du froid, je ris de la pluie, je me gausse de la neige, mais je hais tout particulièrement les rues de New York durant ce mois infernal. J’ai l’habitude de la foule, louvoyer, chalouper des hanches à la dernière minute pour éviter quelqu’un, je sais le faire, j’excelle même dans ce domaine. Mais là, ce n’est plus pareil. En temps ordinaire, vous avez le flot des habitués qui vont et viennent droit sur leur but sortant du métro pour aller travailler. Metro boulot dodo cinq jours par semaine. Ah, que cette vie est belle, mais uniquement durant onze mois de l’année. Quand décembre arrive avec son lot de liste de cadeaux, que les vitrines des magasins se font rutilantes, les rues scintillantes de mille feux, devenant le phare dans le voyage des badauds en quête du port où trouver le calme durant ce long voyage d’exploration, en quête du trésor qui verra s’épanouir la joie sur les visages joufflus d’enfants qui ne le méritent pas. Alors je sens toute ma rage contenue revenir en force. Nul pardon, nulle excuse pour ces gens oisifs qui arpentent mes rues. Je travaille moi durant ce mois, je mets les bouchées double pour échapper à cette euphorie écœurante dégoulinante de mièvrerie. Je fonce droit devant je suis l’écueil sur lequel ils viendront forcément buter, et qu’importe leur réflexion, j’avance à contre-courant de cette marée humaine.
Vous l’aurez compris, je hais Noël et tout ce qui s’y rapporte. Depuis de nombreuses années, je cherche à échapper à cette fête et, jusqu’à ce jour, j’ai fort bien réussi. Mon travail m’accapare et je me noie dedans avec volupté. Tout ce qui me tient éloigner de cette fête est pur bonheur. Pourtant, cette année sera différente des autres. La direction a changé et avec elle est arrivé une nouvelle directive. Noël fermeture des bureaux pour un long week-end. Comment vous décrire ma réaction à cette atroce nouvelle. Imaginer qu’on vous annonce qu’il ne vous reste qu’un jour à vivre, ou que le monde disparaîtra dans une semaine. J’ai traîné ma mauvaise humeur toute la journée. Personne n’y a échappé dans mon service. On me disait désagréable, pimbêche arrogante imbue d’elle-même et bien, ils l’ont senti passer. À tel point que mon responsable est venu s’enfermer une heure durant pour apaiser la tension et la mauvaise ambiance qui gagnait le bureau. Finalement, il a eu gain de cause, ne pouvant lutter sur tous les fronts, j’ai cédé à la demande générale et pris mon après-midi. Sur ses judicieux conseils, et face à la menace d’une mise à la porte sans retour possible, me voilà glissant dans le flot de la masse sombre des « Noeliste » tentant d’atteindre le havre du hall d’entrée de la tour où consulte le psy de l’entreprise. Moi chez le psy parce que je ne supporte pas Noël, j’ai du mal à le croire, mais n’ayant pas le choix, je m’exécute. Quelle drôle d’idée d’avoir son cabinet tout au sommet. D’un autre côté, ce n’est pas désagréable de s’élever ainsi et d’échapper aux gens d’en bas. La vue est superbe sur la ville. Il ne semble pas débordé, je n’ai eu aucun mal à prendre rendez-vous. J’observe le lieu après m’être extasié sur la vue. Me croirez-vous si je vous dis que tout le mobilier est en bois. Pas du IKEA ou du confo, non non !!! Du bois, du vrai, patiné qui sent bon l’ancien. J’ai l’impression de revenir en enfance et de pénétrer dans le bureau de mon vieux père. Un soupire en repensant à cela. La décoration est simple, mais de bon goût en dehors de l’ignoble sapin qui trône dans un coin. Pas un de ses faux sapins aspergés de parfum « foret » oh non non, un bon et gros sapin, un Abies Grandis, qui plus est, prêt à être replanté à la fin des festivités. Un psy écolo ? Vraiment, ces fêtes ne s’annoncent pas comme les autres.
À son pied, sont répartis des paquets de toute grosseur, recouvert de papiers miroitants. Me serais-je trompé de bureau ? Dodelinant de la tête, je m’apprête à opérer un demi-tour quand un homme m’interpelle.
- Mademoiselle ? Mademoiselle Elsy Delange ? Soyez la bienvenue installez-vous.
Mais d’où sort-il ? J’étais seule il y a une fraction de seconde et voilà un gros homme à barbe blanche et petite lunette ronde à la Sigmund Freud, en costume tout droit sorti de chez Giorgenti qui s’avance vers moi. Je recule d’un pas jetant un œil pour estimer la distance qui me sépare de la porte de son bureau. Un rire amusé répond à mon acte involontaire.
- Allons allons ! N’ayez pas peur, je n’ai jamais mangé personne jusqu’à présent. Prenez place et comptez-moi ce qui vous amène en cette veille de Noël.
Je regarde autour de moi où m’installer, soit le fauteuil de vieux cuir qui m’ouvre ses bras soit la méridienne accueillante de style Napoléon III recouverte de velours rouge. Va pour la méridienne ! La voix chaude et enivrante me demande si je souhaite un chocolat chaud. J’accepte d’un hochement de tête tout en me disant que je ne suis plus une enfant pour boire du chocolat chaud. Ma réflexion s’arrête quand je me retrouve avec une tasse fumante dégageant un arôme qui me replonge dans mon passé.
- Voilà, voilà, tout est au mieux maintenant ! Je vous écoute mademoiselle Elsy.
Mais pourquoi double t’il toujours le premier mot de sa phrase ? Quelle étrange habitude est-ce ? Mais à nouveau, mes actes trahissent ma pensée et je m’entends prononcer 3 mots « je déteste Noël ! »
- Oh Oh ? Vraiment ? Mais pourquoi donc ?
Et me voilà replongeant dans mon enfance.
- Tout a commencé le 22 décembre 1995, j’avais alors dix ans. Ce jour-là, mon père est décédé d’une crise cardiaque. Je m’en souviens encore comme si c’était hier. Nous buvions un chocolat chaud dans la cuisine. Un chocolat comme celui-ci. Nous rions, mon frère et moi, devant ses pitreries avant qu’il ne s’effondre. Malgré la rapidité des secours, il n’a pas survécu. Nous n’avons plus fêté Noel depuis cette époque. Je n’ai plus jamais reçu le moindre cadeau. Enfin, je n’ai plus jamais voulu de cadeau. Je hais Noël et tout ce qui peut s’y rattacher.
- Je vois je vois, mais voyez-vous Noël est un moment de fête qui rapproche chaque membre de la famille. Les cadeaux ne sont qu’accessoires. Ils ne sont là que pour montrer notre attachement les uns aux autres. Il faut justement vous retrouver en famille et perpétuer le souvenir de votre père. Croyez-vous qu’il soit heureux de vous voir aussi en colère contre lui, parce que vous ne détestez pas Noël, mais la perte de l’être cher. Souvenez-vous de l’amour qu’il vous portait, de sa joie en vous voyant ouvrir vos cadeaux. De ses moments tendres partagés en famille. Vous ne pouvez pas décréter du jour au lendemain détester Noel parce que votre père vous manque. Il vous manque aussi pour vos anniversaires et Pâques, et thanksgiving… Pourtant, vous aimez encore ses fêtes. Vous associez un moment malheureux de votre vie à Noël. Je ne peux vous demander d’oublier son décès, mais plutôt de vous rappeler les moments heureux qui y sont liés. Il n’y a pas plus familiale que cette période de l’année.
Durant plus d’une heure, je ne pus placer le moindre mot. Il tenait son discours qui bien malgré moi faisait son petit bonhomme de chemin. C’est finalement avec mes pleurs que je mis fin à son monologue. Mais que m’avait-il pris de venir voir ce psy de pacotille ? D’où sortait-il avec sa psychologie de comptoir. N’empêche, il avait su ouvrir les vannes d’une douleur trop longtemps retenu. Effondré dans la méridienne, je l’entendis se lever et se déplacer dans la pièce avant de se présenter devant moi.
- Parfait parfait, voilà qui est bien. Maintenant, séchez vos larmes, j’ai ceci pour vous.
Il tenait dans ses mains un paquet recouvert d’un papier rouge étoilé qu’on ne faisait plus depuis au moins vingt ans. L’étonnement passé, je m’emparais du paquet avec la curiosité d’une enfant de dix ans. Délicatement, je retirais l’objet de son emballage. Un livre, et pas n’importe quel livre, mais une édition originale d’Emily Brontë. Mon père me l’avait promis pour ce fameux noël. À nouveau, mon visage se couvrit de larme balbutiant un merci. Après un long moment d’émotion serrant le livre contre moi, je relevais mon regard pour découvrir une pièce vide. Où était-il donc passé ? Cela signifiait-il la fin de la séance? Encore retournée par l’émotion ressentie, je regagnais la rue noire de monde. La nuit tombée n’avait pas chassé les derniers chasseurs de cadeaux. Mais je ne les regardais plus de la même façon. Mon portable vibra m’annonçant un nouveau message :
"Je me suis trompé dans l’adresse désolé ! on se voit lundi pour en reparler"
Mais qui avais-je rencontré ?
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