-Jeannah-

Le bruit des talons hauts de l’elfe qui accompagnait Jeannah résonnait sans aucune discrétion sur le sol pavé de l’entrée du Temple.

Emynh, pourtant, ne se préoccupait pas le moins du monde du raffut qu’elle produisait.

• C’est bizarre, fit celle-ci, on dirait que les oiseaux ne gazouillent pas à notre arrivée alors qu’ils le font chaque fois que quelqu’un se présente au temple.
• Oui, étrange…, marmonna Jeannah en guise de réponse.

Cela sonnait faux par rapport à l’explication qui s’était formulée dans sa tête :

C’est sûr qu’ils ne risquent pas de se montrer tant que vous ne ferez pas l’effort d’arrêter d’appuyer sur vos talons à chaque pas !

Emynh parut outrée mais s’abstint de tout commentaire. Quant à Jeannah, elle s’empourpra.

Mince !

En effet, Jeannah n’était pas comme les autres elfes. Premièrement, sa marque était arrivée bien plus tôt qu’eux, à ses huit ans pour être exact, et deuxièmement, ses talents s’étendaient bien plus qu’à simplement maitriser un élément et avoir une force ou une rapidité surhumaines. Non, elle pouvait faire bien plus que ça. Le seul problème était qu’elle ne connaissait pas tous les pouvoirs qu’elle pouvait utiliser, et le jour où elle les maitriserait était lointain. Parmi les mille et unes capacités, lire et échanger des pensées en faisait partie. Mais une fois encore, elle ne s’en était pas rappelé et avait oublié de ne pas inclure Emynh dans sa réponse intérieure.

Celle-ci toussota légèrement, mais suffisamment pour que Jeannah sorte de ses tourments et se concentre sur l’instant présent.

Elles pénétrèrent dans le Temple, les grandes portes incrustées d’or s’ouvrant sur leur passage. Jeannah ne prêta pas attention au luxueux décor de l’intérieur. Son regard s’arrêta sur l’elfe qui s’y tenait. Il n’était ni jeune, ni vieux. Il arborait une barbe et une moustache taillées à la perfection et possédait des cheveux poivre et sel. Mais la première chose que remarqua Jeannah était qu’il souriait jusqu’aux oreilles, d’un sourire radieux, comme s’il n’avait jamais connu la tristesse.

Elle se souvint alors de ce que sa famille lui avait dit avant qu’elle ne parte à cause de ses pouvoirs : « Même si tes dons se sont déjà manifestés, les superviseurs de la cérémonie annuelle de Körkush te feront passer le test que tous les autres jeunes elfes passent à douze ans pour être surs que tu présentes belle et bien des aptitudes magiques. Par contre, ta cérémonie sera présidée par des elfes différents que ceux de la cérémonie principale, car tu es spéciale. »

Jeannah pensa alors à ce qu’il n’avait pas voulu dire, mais qu’elle devinait après s’être remémorée ces paroles. C’était tout simplement que sa cérémonie était plus importante, plus rare, plus chargée en magie. Elle en conclut aussi que l’elfe était au comble de la joie car il allait assister à un phénomène que beaucoup n’auront jamais la chance de voir.

L’elfe s’approcha d’elle et se présenta :

• Bienvenue ! Je me nomme Rëzh, et comme tu le sais, nous sommes dans le Temple, le lieu où se déroule chaque cérémonie. Mais la tienne ne va pas se passer selon les règles ordinaires, c’est pourquoi, suis-moi.

Il se dirigea vers une petite porte où était peinte une rose déployant ses pétales. L’elfe qui avait signé cette œuvre était doué car on distinguait qu’une brise légère faisait ondoyer la fleur. Les pétales étaient d’un rose pâle mais teinté de violet sur les bords, et la tige d’un vert profond qui ensorcela les yeux de Jeannah.

Ce spectacle fut dissout quand Rëzh ouvrit la porte.

Jeannah s’attendait à découvrir une petite pièce banale mais il n’en fut rien : elle déboucha dans un espace recouvert d’un dôme de verre haut de plus de cents mètres ! Çà et là étaient exposées différents tableaux représentant des elfes ayant recours à la magie. À côté de l’un d’entre eux, qui représentait le portrait d’un elfe aux cheveux blonds mi- longs usant de ses pouvoirs, il était écrit :

« Bienvenue dans la salle de Cérémonie réservée aux Lahkev Görhks (Elfes rares) ! Nous te rappelons que cette pièce a été créée en ton honneur, et par l’un de ta race ! En effet, Düryth Bornh, le premier Lahkev Görhk, s’est servi de ses immenses capacités pour ériger ce dôme et t’a ainsi permis, toi qui a développé des capacités semblables aux siennes, de pouvoir passer ta cérémonie sans encombre. Ainsi va ce monde, ainsi va ses règles, toi, nouvel elfe exceptionnel, accepte ce don, et remplis ton devoir ! »

Une fois sa lecture finie, Jeannah diagnostiqua que le portrait à côté du texte était celui de l’illustre Düryth Bornh.

À côté d’elle Rëzh resta immobile, puis finit par lui demander :

• As-tu réussi à lire l’inscription ?
• Oui, pourquoi ? Mis à part le terme « Lahkev Görhk », ce n’était pas écrit en elfique commun ?
• Eh bien, pas du tout. Ces caractères ont été tracés dans une langue inconnue de tous, mais que seuls les elfes comme toi peuvent lire. De plus, ils la voient comme de l’elfique commun, grâce à leurs pouvoirs, c’est un peu comme si, pour eux et toi, elle n’existait pas. Bref, en tout cas, j’ai la fierté de t’annoncer que tu as passé avec brio la première épreuve de ta Cérémonie.

Jeannah sourit de fierté. Au fond, elle s’étonnait que ses épreuves soient si différentes de celles des autres, mais ne demanda pas pourquoi à Rëzh, car elle savait qu’il lui répondrait quelque chose comme « car toi tu es spéciale, donc il te faut une cérémonie spéciale elle aussi ».

Elle suivit son ainé de l’autre côté de la pièce. Celui-ci sortit un petit coffre en bois d’un tiroir, puis s’adressa de nouveau à elle :

• Maintenant, fais ce qu’il faut pour retrouver la clé qui ouvrira cet objet.

Sans blague ? pensa Jeannah en prenant soin de ne pas communiquer ce commentaire silencieux dans l’esprit de Rëzh.

Sachant que ça ne servirait à rien de ruminer, elle se mit à se rappeler à quoi ressemblait une clé. En effet, elle n’en avait que très peu vu car sa famille et elle vivaient dans une pièce unique, sans portes pour séparer chaque chambre. La seule clé qu’elle aurait pu apercevoir était celle de la porte d’entrée, or ses parents la dissimulaient soigneusement.

La seule clé qu’elle avait vue était celle que Rëzh tenait dans ses mains mais elle…

Jeannah revint sur son observation. Jusqu’à maintenant, Rëzh ne tenait rien entre ses doigts, donc pourquoi tenait-il une clé ?

• Félicitations ! s’exclama soudain celui-ci, tu as réussi à me donner la clé qui ouvre le coffre !
• Attendez, s’étonna Jeannah, je n’ai fait que réfléchir à ce à quoi ressemblait une clé.
• Et ton don a pris le dessus, affirma Rëzh. Alors que tu pensais très fort en essayant de te rappeler l’apparence d’une clé, tes pouvoirs, entrainés par cette réflexion, ont réussi à modeler la clé parfaite pour le coffre et ainsi résoudre ton problème pour ne pas que tu te casses la tête à réfléchir des heures et des heures.

Jeannah en resta bouche-bée.

Voyant cela, Rëzh émit un petit rire et ajouta :

• Si je peux te donner un conseil : ne doute jamais de l’étendue de tes pouvoirs.

Jeannah hocha la tête, signe qu’elle s’en souviendrait.

Rëzh, l’air soudain grave, lui fit ensuite part de la dernière épreuve de sa cérémonie :

• Pour finir, tu devras…déplacer la clé de ce coffre jusqu’au point culminant du dôme de verre.
• Hein ?
• Tu m’as bien compris.

Jeannah allait lui répliquer que c’était impossible, quand son conseil lui revint en mémoire.

Je ne dois pas douter de mes pouvoirs.

Sur cette pensée, elle fixa la clé, tout en se refermant dans sa bulle, fredonnant un air lent et grave pour ne pas perdre sa concentration. C’est alors qu’au rythme de la musique, la clé s’éleva, très lentement, entourée d’une fine brume blanche.

Au fur et à mesure qu’elle montait, Jeannah sentit qu’elle maitrisait l’objet à la perfection, c’est pourquoi elle la fit aller à droite, puis à gauche. Elle la dirigea dans tous les sens et accéléra le tempo de sa musique pour que la clé lévite plus vite. Elle lui fit ensuite faire des loopings sur un rythme endiablé pour finalement la poser dans un petit creux, au point culminant du dôme.

Elle sortit de sa transe sous les applaudissements de Rëzh :

• Bravo Jeannah ! Ta Cérémonie est terminée, et validée ! Tu seras affectée au Grand Temple de Körkush. Sache, fit-il dans un murmure, que de tous les elfes que je connaisse, tu es la plus exceptionnelle !