Le Monobythe : La Queste de Théophalus

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La cloche de quart tinta une cadence vertement soutenue. La nitescence taraudait à travers les tentures à moitié tirées, plongeant alors la cabine dans une clarté aurorale.
L’œil hagard, le gaillard s’élongea d’instinct. Ensuite, il vêtit sa capote à la hâte et sortit sur le ponton, prêt à embrasser l’heureuse journée !

La Marie-Salope ; un humble batelet de pêcheur, qui lui servait pour l’occasion de noble transport ; venait tout juste d’apercevoir les côtes arabesques d’une somptueuse province.
Là-bas, au loin, se dessinaient les aspérités de cités vestigiales ; cerclées de brousses sauvages et de rivages cajoleurs.
La Pénicée, elle était à portée de main !

Après des mois et des semaines d’errance, son pèlerinage s’achèverait sous peu.
Il arrivait en terre promise, où d’irréelles préliminaires annonçaient mille aventures à venir !

Le navire aux tristes allures de péniche pénétra l’embouchure du port, où deux musculeux colosses de bronze cuivraient au soleil, tout en lançant un terrible regard sur tout bateau mouillant l’ancre dans la baie.
Un marin se réjouit, folâtrant sur l’ombre des membres ballants des gardiens d’airain ; ce à quoi un autre lui répondit, l’air contrit, qu’il était de mauvais ton de se gausser des dieux tutélaires de la cité : sait-on jamais, peut-être sentirait-il dans une nuit d’ivresse, leurs caresses endurcies ?
À cette idée, le prime blêmit et retourna à ses occupations sans mot dire.

On tira la passerelle et noua le navire aux bittes d’amarrage, l’embrun avait laissé place aux parfums de Pénicée. Çà et là, des péripatéticiens savants et péripatéticiennes profondes marchaient l’air amène, comme dans les récits philosophiques qu’il avait lu en son logis.
Il pressa le pas pour rejoindre ces bonnes gens et s’accoutumer à cette nouvelle société, mais une voix vive l’interrompit.

« Sieur de Sade ! Attendez-moi ! Je n’suis point prompt avec tous ces bagages ! »

C’était Marc. Fils de Marc, petit-fils de Marc. Son domestique. Il l’avait conjuré, l’air à la fois benêt et désespéré, de l’emporter avec lui par-delà la Grande Flaque Plate, vers ces terres où se terraient moult mystères.
Mais son compagnon ; court sur pattes, et aux panards nus et poilus ; pris dans son élan, surpris par un malheureux rebord, fit une violente embardée ; mais ses largeurs, et son étonnante réactivité les sauvèrent, lui et les fournitures de son maître.
C’est tout ébranlé et haletant qu’il finit par rejoindre son seigneur, réalisant un bon sourire benoît.
Et scrutant son air gonflé et sa taille courtaude, on lui rétorqua :

« Marc. T’ai-je déjà dit que tes parents auraient dus te nommer Sam ? »

Le valet fit mine de réfléchir, puis changea le sujet de l’échange, revenant à ses propos :

« Et comme j’vous l’ai causé pendant la croisière, Mon Sieur Théophalus, le frère d’mon arrière grand-père par alliance était déjà v’nu à Sardanalpal ! Il a même engrossé quelques gueuses, si on s’figure tout c’qu’il a jacté, mais vu qu’il était un peu Marseillais, par sa tante d’la fesse gauche, je dirais qu’il faut pas tout croire de c’qu’il dit ! Mais en tout cas, j’suis peut-être bien vot’ meilleur guide, assurément ! »

Et peut-être bien le seul, se répéta péniblement Théophalus.

Marc ouvrit l’huis d’un sombre bouge au nom bien polisson, et au panonceau bien lustré ; Le Boudoir de Cunnigonde. « On en parle jusqu’dans les bouzins d’Saint-Loubard, z’aurez réponses à vos questions ! » avait-il dit, avec l’œil avisé de ceux qui savent. Son maître le talonna, scrutateur mais sans cautèle.

Une marée de rires et de turlurettes vint les saisir, les tirant au cœur d’une sarabande effervescente.

D’un côté, des diables dépareillés chargeaient dans une course débridée des gourgandines galopantes ; de l’autre, des sonneurs incitaient de vilains violoneux à riposter et estourbir les ménestrels. Ce charivari vicieux avait des airs de chevalerie, ou plutôt de guéguerre entre détrousseurs, tâteurs de bourses pleines, et autres troufions.

Théophalus aperçut le comptoir. Tout en faisant signe à Marc de le suivre, il se glissa dans la masse suante et dissolue. Tentant de trouver son chemin à tâton, il fallait forcer, quitte à ébranler, quitte à culbuter. Et seulement alors purent-ils s’échouer sur le tabouret et demander un rafraichissement.

Le tavernier, à la moustache monumentale et à la carrure de boeuf, s’approcha d’eux, un sourire en coin, une cruche en main.

« T’nez don’, un p’tit remontant fait maison.

- Mil mercis, aprés pareil errance, voilà de quoi saouler mes espérance !

- Je sais lire sur les trognes. Vous aut’ de la haute, zêtes là pour Périnette Gobe-Morpion, n’est-ce pas ? Ça vous fera quarante-douze curonnes. »

Mais avant même de pouvoir rétorquer au tenancier qui s’avérait être une tenancière, un freluquet [trouver une tenue particulière] appela la foule, perché sur une table.

« Damoiselles, damoiseaux, laissez votre serviteur vous conter cette histoire qui nous vient de nos terres ancestrales, par delà la Flaque ; l’histoire d’une fougueuse jouvencelle, célèbre goûteuse !

Anna la Folâtre !

Hem.

Folâtre suis · à ce qu’on dit ! 8AA
Car besogne le jour · et toute nuit tombée 12BC
Reste b’en éveillée · à guetter le grand gourd 12CB

La prime nuit · me voit traîner 8AC
Dans les tavern’s à toiser · leurs saucissons bien réjouis ! 14CA
Sacrebleu · Ô non de non ! 7DE
Pour bâfrer · leurs saucissons ! 7CE

La deuze nuit · viennent les pommelles 8AF
D’une belle pucelle · rond’, charnues et non vieillies ! 14FA
Vertubleue · Ô non de non ! 7DE
D’une jouvencell’ · vieillies non ! 7FE

La tierce nuit · suit gras cochon 8AE
Saignant vilains aux gros bedons · au jambon bien relui ! 14EA
Ventrebleu ! · Ô non de non ! 7DE
Des saucissons · au jambon! 7EE

La quarte nuit · fill’ sans façon 8AE
M’en vas voir moinillons · de leurs flacons boire le coulis ! 14EA
Vergebleu ! · Ô non de non ! 7DE
Gobe leur from’ton · leurs flacons ! 7EE

La quinte nuit · toute échauffée 8AC
Me rest’ à acoquiner · maîtres céants biens en vit ! 14CA
Foutrebleu ! · Ô non de non ! 7DE
Au fond s’glisser · sans cal’çon ! 7CE
A moi l’baron · deniers et villains au bâton ! 12 »

Un grattement de gorge et des doigts dansant sur le bois du bar suffit à recentrer le bon Théophalus sur l’offre d’une vie qu’on lui faisait.

« Alors. Vous êtes d’attaque ?

- Je dois dire, ma foi, que si son nom est à la hauteur de sa réputation …

- Messire ! Monsieur ! Restez don’ concentré, z’avez soif de savoir, pas d’jus d’ribaude !

- I-il est vrai ! Désolé, estimable maistresse, mais je n’ai ni le temps ni l’argent pour cela. En réalité, je suis en queste du Secret et Oriental Savoir. »

Son regard contempla alors le vide, à la manière des Hommes qui, une fois seuls dans l’intimité d’une latrine publique tard le soir venu, se mettent à scruter l’abysse qui se fait alors miroir de leur existence.

Elle hausse les épaules.

« Aucune idée. Parlez-en à que’qu’un qui s’y connaît. »

Son regard traça directement vers le barde, alors affairé à récupérer les piécettes acculées entre deux pavés graisseux. S’il avait avant tout l’étoffe d’un tocard, il était aussi conteur, canteur, et quêteur ; une oreille qui en entendait des choses.

Il finit par se glisser dans la masse de badauds, quérir l’air matinale de Sardanalpal.

L’attente piétinée. Théophalus se lèva et parti à sa suite, se retirant précocement du Boudoir de Cunigonde.

Un soleil de dix heure et demi trois quarts l’éblouit, Théophalus pensait n’être resté qu’une poignée de minutes, mais il fallait se rendre à l’évidence, le bouge lui avait volé plusieurs heures.

A l’ombre des arcbouttants, une pipe qui se voulait rafinée remuait sous la flamme d’une alumette ; des gravures grossières au coutel, quelques rubans qui ont fait leur temps.

Marc déboula enfin, s’extasiant :

« Le souff’-pipel ! I’ n’a pas pris la poudre d’espompette ! Allez-y quester réponses mon bon seigneur ! »

Le musicien leva les yeux, scrutant les deux voyageurs derrière un nuage d’une fumée lourde et poisseuse.

« Je ; Nicréphore Tamert, Canteur du Duc de la Paluche, Disciple émérite du Manustuprarium, ainsi qu'Artiste à sec ; vous esgourde. En quoi peux-je vous être utile ?

- Respectable alchimiste des notes, j’ai été appelé par le Secret et Oriental Savoir, et l’on m’a laissé entendre que vous en saviez beaucoup sur cette terre de mystères, j’espérais que vous pussiez m’indiquer une direction, un but. »

Nicréphore scruta les deux aventureux voyageurs ; ils n’avaient pas l’air sans le sou, plutôt benêts. Et sa bourse criait famine, tout autant que son ventre.

« Nous pouvons peut-être trouver un arrangement. Je sais bien des choses, mais voyez vous, je deviens taiseux lorsque la faim m’incommode. Vous auriez bien un peu de monnaie, de fafiot, pour un ventre qui réclame sandwich jambon-mayo ? »

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