Réécriture : mise à mort des kumiho

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Rappel : dans les bains d'Epona, tous les membres du convoi se préparent tranquillement à reprendre la route. Mais les boyards découvrent la vraie nature des kumiho et tout explose.

J'ai essayé de retoucher la scène en corrigeant tout ce dont on avait parlé. Mais j'ai peur que la scène soit beaucoup trop longue maintenant xD AU SECOURS


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– Butez-les !

– On va leur faire payer !

Les armes des boyards n’étaient pas censées être là ; Epona les avait confisquées à leur entrée dans son territoire. Pourtant, plusieurs Sig Sauer apparurent soudain, tirés d’un tas de vêtements ou d’un sac militaire ; Beyaz lui-même produisit un couteau à cran d’arrêt dont l’éclat meurtrier se refléta sur son visage. Epona avait eu tort de leur faire confiance. La jeune kumiho reprit aussitôt sa forme naturelle, prête à se défendre. Lorsqu’une faunesse braqua son arme dans sa direction, elle se jeta sur elle, mâchoires grandes ouvertes, prête à la dévorer. Mais une voix la figea en plein geste :

– Fais ça et je crève ta vieille, salope !

La renarde dorée se retourna lentement vers l’origine du cri. Il provenait de Danaé. À peine quelques minutes auparavant, elle se baignait tranquillement près de la vieille renarde coréenne ; mais à présent que tout avait basculé, sa main gauche lui avait attrapé les cheveux pour lui tirer la tête en arrière et l’autre s’était refermée sur son diadème scintillant.

Plus précisément, sur le petit crâne de renard qui en émergeait. D’un coup sec, elle l’arracha à son écrin de feuilles d’or et de perles. La vieillarde poussa un hurlement – de peur ou de douleur ? – aussitôt étranglé quand Danaé tira durement sur ses cheveux pour la faire ployer. Les deux mains ridées se cramponnèrent à la poigne de la boyarde, mais celle-ci ne fléchit pas. Elle leva haut le crâne de renard.

– Je vais le briser par terre comme une coquille d’œuf ! Ça va lui faire mal, pas vrai ? Ça va la tuer, peut-être ! (Elle désigna Aegeus du menton.) Et si jamais ça la tue pas, j’me demande si elle tiendra aussi longtemps que lui, une fois qu’elle pourra plus se transformer !

La jeune kumiho releva ses babines sur ses crocs lumineux ; un grondement d’orage résonna sous les voûtes. Mais elle n’attaqua pas. Tétanisée, Cornélia jeta un coup d’œil vers Aegeus. Il observait la scène sans mot dire. Il n’avait pas l’air surpris, le visage neutre. Il ne se donnait même plus la peine de jouer la comédie, et ce détail risquait de jeter encore de l’huile sur le feu. Aegeus y aurait été attentif, avant. Il aurait fait en sorte de maintenir l’illusion. Mais peut-être n’avait-il plus assez d’énergie pour ça. Jusqu’à présent, les sœurs étaient les seules à connaître son rôle dans l’affaire ; Cornélia se mit à craindre que des boyards l’aient vu aussi et en aient tiré leurs conclusions. Et en effet, certains jetaient des regards méfiants vers leur chef. Beyaz, en particulier, avait l’air très sombre.

Danaé n’aurait jamais dû attirer l’attention sur Aegeus…

– C’est ça, bouge pas ! s’exclama Danaé en direction de la jeune kumiho. C’est mieux, on va pouvoir parler.

– Parler ? s’égosilla une dryade. On parle pas avec des engeances pareilles ! Elles ont dévoré Emilio et tous les autres, ces salopes !

– Faut leur faire payer !

Les cliquetis des armes retentirent. À distance, l’ourson nandi se hérissait de tous ses poils, tétanisé. Il n’avait pas manqué une miette de la scène, et fixait sa maîtresse chérie avec terreur. Puis une voix se haussa au-dessus de toutes les autres.

– Tu le savais ?

La voix grave, menaçante, de Beyaz. Cornélia trembla des pieds jusqu’à la tête, pensant qu’il s’adressait à elle ; elle se voyait déjà mise en joue, tuée par son ami. Mais en se retournant, elle vit qu’il fixait Aegeus. La vouivre ne répondit rien.

– Bien sûr que non ! beugla Aaron derrière lui. Faudra que j’vous l’dise combien de fois ? Vous avez été embauchés pour encadrer les nivées, putain ! Pas pour autre chose !

Mais une peur terrible émanait de lui. Cornélia plissa les yeux. Il savait. Venait-il de deviner ? Ou était-il dans la combine depuis le début ? Son angoisse silencieuse n’était peut-être pas visible aux yeux des humains, mais elle crevait les yeux de Cornélia, habituée à lire les émotions des nivées. Et c’était également le cas de Beyaz et de Danaé, tout aussi fusionnels avec leur masque.

En conséquence, ils comprirent aussi.

– Aaron ! s’exclama Danaé, la voix pleine d’un mélange de colère et de détresse.

Les autres boyards sentirent aussitôt ce qui se tramait.

– Toi, tu savais, fils de pute ! cria quelqu’un. Putain de changelin ! Si ça se trouve, il a aussi tapé un croc dans les cadavres ! Pourquoi il s’en serait privé ?

– Tous des saloperies de monstres carnivores ! On est là pour leur servir de viande ! Depuis le début !

Cornélia se sentait gelée de l’intérieur, comme si une couche de givre se propageait lentement sur ses os. Ça y était. Ce qui restait du convoi tombait en morceaux. Même leur groupe – leur petite bande solide, loyale – se divisait brutalement. Le ton montait, les esprits s’échauffaient. Tout allait se finir en bain de sang. Que pouvait-elle faire ? Il y avait forcément quelque chose à faire pour arranger cette situation… Si seulement elle avait pu réfléchir clairement…

– Vous dites n’importe quoi !

C’était la voix de Blanche, rendue suraigüe par la panique. Elle se dressa devant Aegeus et Aaron :

– C’est normal que vous soyez en colère. Mais ils n’ont rien fait. Les vraies coupables ici, ce sont les kumiho !

Les soldats l’entendirent à peine dans le chaos. Elle jeta un regard désespéré vers Cornélia. Alors celle-ci comprit.

Il était impossible que tout cela finisse bien. Mais elles pouvaient encore limiter les dégâts. Elles pouvaient encore rejeter l’entièreté de la faute sur les coupables principales… pour essayer de sauver Aaron et Aegeus.

– Moi je dis, faut leur trancher la gorge et les ouvrir en deux ! brailla une femme. Comme ils ont fait à nos potes !

Aegeus les regarda venir vers lui ; ses griffes poussèrent d’un centimètre supplémentaire, plantées dans la pierre polie du bassin. Mais dans son état, il était bien incapable de se défendre.

– À mort !

– Crevures de métamorphes !

La haine enfla en Cornélia – la haine des boyards, la haine de ses semblables. La tzitzimitl rua et lui griffa les côtes de l’intérieur, mais avant qu’elle ait pu réagir, deux nivées le firent à sa place. La Mouche bondit hors du bassin, bousculant tout sur son passage, piétinant les boyards tombés au sol, et se jeta au-devant de son maître pour le protéger. Algarade, le qilin, le rejoignit d’un bond qui fit tinter ses sabots sur la pierre. Toutes les plumes de sa crinière se hérissèrent pour le faire paraître plus gros. Cornélia les avait déjà vus combattre tous les deux. Ils étaient redoutables, mais ils craignaient les balles comme n’importe qui. L’espace d’une seconde, les deux camps se fixèrent – soldats et nivées, les dents dénudées dans un même rictus animal. Puis, d’un geste délibéré, l’un des plus vieux boyards arma son Glock 18 et visa la grosse tête ronde de la Mouche.

La haine de Cornélia explosa.

La tzitzimitl prit instantanément le contrôle ; un instant plus tard, Cornélia se trouvait face au boyard, les ongles longs et ivoirins comme des griffes, les veines emplies d’étoiles qui rugissaient leur colère immémoriale.

Mais le boyard n’était déjà plus en vie.

Il jonchait le sol en morceaux épars – et Pouet terminait d’en éparpiller les os sanguinolents.

Cornélia sursauta. La vision de la gueule de Pouet couverte d’écarlate, de ses crocs infernaux d’où dépassaient des tendons encore vifs, la sortit de sa transe meurtrière. L’instant d’après, il n’y eut plus que chaos. Blanche cria de terreur, des coups de feu claquèrent ; les boyards hurlèrent de rage, les nivées répondirent. Le rugissement de Pouet projeta des gouttelettes sombres jusque sur le visage de Cornélia.

OSEZ ! OSEZ VOUS EN PRENDRE À NOUS ET VOUS ALLEZ VOIR !

Elle réalisa qu’ils allaient tous s’entretuer.

Voilà, se dit-elle dans une sorte de stupeur figée. Voilà où le convoi s’arrête.

En un éclat fugace, elle croisa le regard terrifié d’un bébé baku par-derrière la mêlée des boyards. Tous les petits pleuraient, réfugiés dans un coin du bassin, et les mamans coulobres les serraient contre elles pour les protéger de la scène à venir.

Alors la colère revint.

Non. Que je sois foutue si le convoi s’arrête ici. C’est hors de question !

Lorsque Pouet bondit vers un autre boyard, elle se jeta devant lui, les bras écartés pour faire barrage. Le tarascon s’arrêta in extremis, la gueule entrouverte à deux centimètres de son visage, lui soufflant son haleine de mort au visage. Elle hurla plus fort qu’elle n’avait jamais hurlé :

– ARRÊTEZ ÇA ! ARRÊTEZ TOUS !

Un dernier coup de feu détonna sous les voûtes de pierre. Puis plus rien. Derrière elle, le boyard qu’elle avait protégé s’était recroquevillé. De terreur, il s’était uriné dessus, et elle se demanda si elle aussi n’allait pas lâcher sa vessie. Le regard flamboyant de Pouet, si proche, lui promettait mille morts.

Tous les boyards la regardaient à présent. Ils fixaient cette fille dont ils s’étaient longtemps moqués – puis qu’ils avaient appris à craindre – défendre l’un des leurs devant un monstre qui pouvait tous les éviscérer en un instant. Cornélia ferma les yeux une seconde. Elle réfléchit fiévreusement.

« Crevures de métamorphes ! »

Elle devait paraître la plus humaine possible à leurs yeux. Alors, pour la première fois, elle se força à maîtriser ses instincts. Elle enchaîna la tzitzimitl à l’intérieur d’elle-même, tout au fond, et prit soin de ne surtout pas laisser ses sens s’accroître, ni sa vision flamboyer.

Et cela la déchira. Elle ne voulait rien tant que lâcher les rênes. Elle voulait semer la violence dans les rangs des boyards. Elle voulait venger toutes les nivées qu’ils avaient massacrées, celles qu’ils allaient massacrer.

Mais elle ne pouvait pas. Elle devait ramener le calme à tout prix.

Aaron et Aegeus la fixaient, sans mot dire, pleinement conscients du fil de rasoir sur lequel elle se tenait en équilibre.

Alors voilà ce que vous êtes, songea-t-elle. Voilà ce que ça fait de devoir se cacher dans une peau humaine alors que tout ce qu’on veut, c’est sortir les crocs.

– Est-ce que vous êtes tous devenus fous ? hurla-t-elle aux boyards. Je dois vous rappeler qu’on est chez Epona ? Que vous n’êtes même pas censés avoir vos armes !

Aucun n’eut l’air de regretter. Leurs expressions disaient assez bien ce qu’ils pensaient d’une femme à tête de cheval pacifiste, qui ne parlait même pas.

Tous des brutes, songea Cornélia.

Devant elle, Pouet étudiait son expression, l’air sinistre. Il sentait bien son agressivité et sa colère ; il ne comprenait pas pourquoi elle se tenait du côté de ceux qu’elle détestait – qu’ils détestaient tous les deux. Elle l’ignora, tourna sur elle-même pour fusiller les boyards des yeux, les uns après les autres, et mentit éhontément :

– Vous avez une preuve qu’Aegeus et Aaron étaient au courant de tout ça ? Parce que moi, non. Et si vous les attaquez, vous vous mettez toutes les nivées à dos !

Plus personne ne mouftait. Beyaz soutenait son regard en plissant les yeux. Il était peut-être en train de se demander à quel camp elle appartenait. Si seulement Epona avait pu arriver pour ramener le calme ! Mais les bains étaient séparés de sa demeure principale, et il faudrait encore de longues minutes avant que qui que ce soit n’arrive sur les lieux.

– Alors ? s’énerva-t-elle. Une preuve ? Quelqu’un ?

Sa vision oscillait sur les bords, légèrement radiante, un peu comme lorsqu’elle était tzitzimitl ; elle inspira à fond pour la stabiliser, pour revenir à ses yeux humains.

– Non ? Ça alors ! Bien ce qu’il me semblait !

– Mais c’est un crocotta, siffla un soldat entre ses dents. Et une vouivre. À quel moment on est censés leur faire confiance ?

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