L’Art de la Tension
Maxine avait trouvé cette corde par hasard, roulée sur un étal de brocante : une grosse pelote couleur sable, rêche sous les doigts.
— Du jute Yunawa, du vrai japonais. Ça tient même suspendu, avait assuré le vendeur.
Elle avait aussitôt imaginé une série de clichés : un corps traversé de lignes, la peau devenue canevas.
Dans le salon, elle attacha Loïc avec application : cordes serrées sur ses bras et son torse, le laissant assis sur la chaise comme une sculpture brute. Son shorty noir soulignait son sexe endormi, encore sage.
— Regarde-moi ça… tu es mon mannequin Ikéa, mais en plus bandant, déclara-t-elle, appareil en main.
Elle commença par shooter les détails : la torsion de la corde sur son poignet, la rougeur qui s’imprimait, l’ombre de son ventre contracté. Puis elle tourna autour de lui, poussant légèrement son épaule pour modifier la pose :
— Penche un peu la tête… oui, comme un saint sur un vitrail… non, pas l’air martyr, l’air sublime.
Loïc soupira.
— Ça commence à serrer, tu sais… Et j’ai pas de coussin sous les fesses.
— Parfait, garde ce petit air de supplice.
Elle le fit pivoter légèrement pour capter la lumière de la fenêtre.
— Encore plus !
— Si je tombe, ce sera de ta faute.
— Alors reste beau même dans la chute.
Elle s’agenouilla et glissa sous la chaise pour photographier ses pieds liés, l’arche de son coup de pied.
— Je me sens comme une dinde de Noël, marmonna-t-il.
— Exactement. Une dinde chic.
Elle enchaîna les prises, montant sur la table pour une vue plongeante, se perchant sur l’accoudoir pour son profil. Loïc fit mine de se tasser.
— Sérieux, j’ai l’air d’un otage dans un film B, là.
— Chut, tu es un héros tragique.
Puis, en se plaçant en contre-plongée, elle écartant les genoux pour se stabiliser. La robe d’été s’ouvrit brutalement, glissant jusqu’à la naissance de ses hanches. L’étoffe resta suspendue comme dans un ralenti complice.
Loïc écarquilla les yeux, incapable de détourner le regard. Coincé par les cordes, il était condamné à contempler le triangle sombre qui se révélait entre ses cuisses. Son souffle s’accéléra, trahissant sa gêne.
Maxine suivit son regard et eut un sourire lent, presque cruel. Plutôt que de rabattre la robe, elle laissa l’étoffe glisser encore, se pencha, rapprochant son sexe de lui, jusqu’à effleurer la limite de ce qu’il pouvait supporter.
— Tu regardes ? murmura-t-elle. Réponds.
— C’est… pas très fair-play, souffla-t-il.
— Ce n’est pas censé l’être. Regarde encore.
Elle resta immobile, le laissant se noyer dans la vision. Puis elle se pencha un peu plus, ses cheveux tombant en rideau autour de son visage.
— Tu crois que c’est pour toi que je fais ça ? Non. C’est pour la photo. Tu fais partie du décor.
Loïc eut un petit rire nerveux.
— Tu es complètement tarée…
— Peut-être. Mais toi, tu es complètement dur, dit-elle en baissant les yeux vers le short tendu.
Elle avança une cuisse, se plaça de côté, fit mine de déclencher plusieurs photos imaginaires.
— Allez, tiens la pose. Sois digne.
— Tu joues avec mes nerfs, là…
— Exactement.
Puis elle se redressa lentement, laissant la robe retomber avec une lenteur théâtrale.
— Bien. On immortalise ton insolence.
D’un geste sec, elle dégagea le shorty. Le sexe bondit dehors, dressé comme une statue qu’on aurait dévoilée en grande pompe.
— Parfait. Maintenant, ne bouge plus.
Elle cliqua frénétiquement : contre-jour, contre-plongée, macro sur la couronne brillante. Elle se déplaçait à genoux, ses cuisses entrouvertes, ses cheveux dans la lumière, créant sans le vouloir des autoportraits partiels, obscènes et magnifiques.
Pour stabiliser sa « sculpture », sa main libre caressait, pressait, tirait juste assez. Parfois sa bouche venait aspirer brièvement, avant qu’elle ne reprenne l’appareil.
— Sérieusement, j’ai l’air d’un pervers en garde à vue, là… protesta-t-il.
— Exactement ce que je voulais, répondit-elle avec un sourire.
Elle le força à se pencher légèrement, la corde tirant ses épaules en arrière, projetant son sexe vers le haut comme une aiguille de cadran. Puis elle le fit s’incliner à gauche, créant un effet de diagonale dramatique avec les ombres.
— Tu vas me briser le dos ! gémit-il.
— Ton dos survivra. L’image d’abord.
Et pour couper court à ses plaintes, elle saisit sa mâchoire et glissa un foulard roulé en bâillon.
— Voilà. Plus de paroles inutiles. On laisse parler le corps.
Elle se recula un instant, le regarda en silence, savourant son mutisme forcé. Puis elle pinça doucement son téton.
— Ah, là tu fais un bruit intéressant, nota-t-elle. Parfait.
Elle déclencha, ravie, avant de revenir à son objectif principal. Loïc grogna, ligoté et muet, tandis que Maxine multipliait les clichés : la verge pointant vers la lampe, vers son visage, puis vers le plafond où l’ombre s’allongeait monstrueuse. Elle expérimentait le clair-obscur, les reflets de sueur, les angles impossibles. À chaque relâchement, elle stimulait juste ce qu’il fallait pour garder le marbre vivant.
Le temps s’étira. Quarante-cinq minutes. Une heure. Maxine en transe, mélange de photographe, maîtresse et amante, suait autant que son modèle. À force de déclencher, ses doigts tremblaient d’envie.
Quand l’érection commença à faiblir pour de bon, elle reposa l’appareil, plissa les yeux.
— Tsss… non, pas maintenant. Tu tiens le rôle principal, mon mignon, tu vas pas me saboter ça.
Elle écarta les cordes à la base du sexe, forma avec son pouce et son index un anneau serré. Elle le fit glisser lentement, en remontant, puis redescendant avec la patience d’un horloger.
— Voilà… respiration, congestion. C’est pure mécanique, tu vois ?
Loïc gémit derrière son bâillon. Maxine sourit.
— Ah mais chut, c’est pas à toi que je parle. C’est à lui.
Deux, trois aller-retours, et déjà la chair regonflait, fière, veinée comme une carte routière. Maxine pencha la tête, ravie.
— Magnifique ! Mais on peut faire encore mieux…
Elle bondit jusqu’à la salle de bain, revint avec un flacon d’huile de massage. Elle en versa dans sa paume, frictionna ses mains, puis enduisit la hampe luisante. L’effet fut immédiat : un éclat miroitant qui accrochait la lumière.
— Clic ! cria-t-elle en reprenant son appareil, ravie comme une gosse. Tu es une lampe torche vivante, mon petit phare.
Elle recommença son anneau, cette fois avec la glisse de l’huile. Ses mains glissaient avec une fluidité hypnotique, accentuant chaque relief, chaque veine. Elle alternait lenteur et petits coups secs, se déplaçait, changeait la lampe de place, modifiait l’angle des ombres.
— Tiens bon, mon joli… on va faire de toi une œuvre d’art totale.
Bientôt, ses cuisses étaient elles-mêmes luisantes d’éclaboussures d’huile, sa robe d’été collée à ses hanches. Elle savait qu’elle tenait là une série de clichés uniques… et un désir grandissant qui la ferait bientôt exploser.
Puis, fatalement, la digue céda. Maxine posa l’appareil d’un geste brusque, se jeta à genoux entre ses cuisses et engloutit la verge qu’elle avait entretenue comme une flamme. Sa bouche allait et venait avec frénésie, ses mains nouées à la corde frottaient sa robe relevée. Ses gémissements vibraient autour du sexe de Loïc, comme si elle s’offrait enfin le droit de succomber à ce qu’elle avait méthodiquement différé.
Son orgasme vint vite, violent, et laissa son corps secoué. Elle se retira alors, haletante, laissant Loïc frustré, toujours noué et gonflé. D’un geste vif, elle reprit l’appareil.
— Pas question de finir sans la dernière image, souffla-t-elle.
Elle ajusta la lampe, se mit en contre-plongée, visa. Sa main huilée reprit son anneau, méthodique, presque clinique. La verge palpitait sous ses doigts, chaque veine projetant son ombre sur la cuisse de Loïc.
— Oui, là… parfait, reste… reste…
Mode rafale enclenché. Elle déclencha pile au moment où le jet s’élança, lumière captant chaque éclaboussure, chaque tension de muscle, chaque goutte suspendue.
— Magnifique ! cria-t-elle presque en riant, comme si elle venait de réussir son tableau final.
Elle reposa l’appareil, essuya ses mains, puis se pencha pour embrasser Loïc sur le front.
*
Bien plus tard, allongée sur le tapis, doigts poisseux, robe collée, Maxine reprit l’appareil. Loïc, défait et hilare, la regarda faire. Elle fit défiler les clichés, commentant à voix haute :
— #12 – « Cartographie de peau » : la veine de lumière suit la corde. Une rivière vue du ciel. C’est beau.
— #19 – « Cathédrale de fortune » : l’éclairage bas dessine un vitrail sur ton sternum. C’est kitsch et sublime.
— #23 – « Autoportrait accidentel » : ma joue écrasée contre le nœud. On dirait un câlin forcé. Preuve qu’on a été vivants.
— #31 – « Collision céleste » : flou de mouvement, mes cheveux, mon rire, et la verge comme une comète. Ça mérite une expo au Palais de Tokyo !
— #34 – « Leçon de choses » : le gland qui perle juste avant le mouchoir. Dégueu et poétique : j’ai inventé la nature morte qui coule.
— #41 – « Écologie comparée » : mon buisson en premier plan, la verge en arrière. C’est débile, mais magnifique.
— #46 – « Manual for living » : juste ma main huilée, l’anneau qui resserre. Presque une photo technique, et pourtant la plus intime.
— #52 – « Apothéose » : éclaboussures en plein vol, ombre et lumière mêlées. C’est du Caravage, mon amour.
Elle s’arrêta sur un plan large, où l’on voyait surtout la confiance circuler entre eux.
— Celle-là, on ne l’exposera pas. Elle est pour nous. Pas besoin de légende.
Puis elle éclata de rire, se tourna vers Loïc.
— Par contre, celle d’avant, on l’encadre. Et on la met au-dessus de ton lit. Comme ça, toi et toutes tes futures amantes sauront exactement à quoi se référer.
Loïc secoua la tête, incapable de protester autrement qu’en riant.
Un dernier clic : leurs fronts se touchant, la corde relâchée entre eux. Pour un samedi, c’était parfait.
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