6) Insomniaques

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Vanessa emprunta à son hôte un t-shirt trop ample qui lui servait, disait-elle, à traîner dans sa piaule pour composer des choses. Quelles choses ? Vanessa le demanda, sans obtenir aucune réponse précise. Quelques strophes, des refrains, rien de satisfaisant. De toute façon, répéta Nelly, elle n'aimait pas particulièrement jouer du piano. Alors pourquoi composait-elle ? Comme ça, pour passer le temps.

Avant d'enfiler le haut de coton qui sentait bon la lessive, Vanessa se libéra de la brassière qui compressait ses seins. Indispensable pour empêcher sa poitrine de la freiner en pleine course, de lui courber l'échine – et elle courait beaucoup.

— Au fait, t'as quel âge ? demanda Nelly comme elle s'étendait près d'elle.

— Quel âge tu me donnes ?

— Moins de trente ans.

— Trente-et-un.

— Tu fais jeune.

— On me le dit souvent.

— T'es immature. Et tu préfères les filles plus jeunes.

— Tout faux, Sherlock. J'me suis déjà tapé des femmes plus âgées que ma mère, si tu veux tout savoir. C'est pas ça qui m'importe.

— Tu sais quel âge j'ai ?

— Vingt-cinq ans ?

— Vingt-quatre.

— Quelle différence ça fait ?

— Aucune, j'imagine.

Un silence pesant s'installa, tandis que chacune demeurait sagement allongée de son côté du lit. Nelly avait éteint la lumière, mais la lueur des réverbères inondait la petite chambre à travers les stores déglingués. « Y a de quoi être insomniaque ! », maudit Vanessa sans dire mot.

D'ordinaire, tout se déroulait toujours selon ses plans, et la jeune femme n'avait pas pour habitude d'être prise au dépourvu. Elle accusait le caractère taciturne et distant de Nelly. Cette étrange créature, peut-être pas jolie mais certainement charmante, la troublait dangereusement. En son for intérieur, Vanessa se giflait furieusement : « Faut que je me reprenne. Que je reprenne le contrôle de la situation. »

Crispée sur les draps flasques, sa poigne se décala furtivement, à la manière d'une araignée, jusqu'à rencontrer la peau tiède de Nelly. Ses ongles courts rayèrent le revers osseux de la main flegmatique – cadavre figé sur le linceul froid – puis pénétrèrent, par effraction sans doute, chaque creux moite de cette palme bien vivante. La main arachnide de Vanessa enserra fermement ce double chétif, désormais prisonnier. Toutefois, les phalanges timorées de la proie complice répondirent aussitôt d'une pression délicate.

Enorgueillie de ce menu succès, Vanessa empoigna plus volontiers la patte fébrile mordue dans son piège. Elle amena la main frémissante jusqu'à ses lèvres avides et tissa, baiser après baiser, sa toile séductrice autour du gibier en sueur. La respiration contenue de Nelly trahissait quelque envie de se rétracter, en même temps qu'un plaisir hésitant. Alors le prédateur, glissant sa main sous la joue humide de la prise apeurée, murmura tendrement :

— Ne dis rien. Tu peux me faire confiance...

À ces mots, Vanessa souleva légèrement le bras nu de son amante. Achevant d'enrober la dépouille collante dans ses filets suaves, elle embrassa à pleine bouche le poignet croûteux, la salive infiltrant les vallons mutilés.

— C'est dégueulasse, Van ! s'écria Nelly. Tu vas choper une infection...

— Tu t'es désinfectée, c'est bon. Y a rien qui me répugne, chez toi. Je tiens à ce que tu le sache.

— C'est bon, c'est bon, je le sais.

— T'es sûre ? Parce que j'ai comme l'impression que tu me prends pas au sérieux, mon cœur.

Sans laisser à Vanessa le temps de replonger les lèvres charnues sur le rouge profond des taillades, Nelly l'enjamba, agrippa sauvagement le cuir de ses cheveux et étouffa d'une bouchée langoureuse la gueule prédatrice qui réclamait sa chair et aspirait ses fluides. L'embrassade perdura, comme une lutte. Leurs deux corps se cherchaient, s'imbriquaient, se raclaient, puis se repoussaient frénétiquement pour se heurter de plus belle. Lorsqu'une crampe improbable lui engourdit la langue, Nelly rejeta la tête en arrière pour croquer l'air frisquet de la chambre sans chauffage, comme au sortir d'une pénible apnée. Emportée par le flux exalté qui submergeait les draps, l'effarouchée perçait son cocon de froideur. Sa paume fébrile se faufila sous le t-shirt trempé de Vanessa, ripa malhabile sur son ventre musclé avant d'empoigner la pulpe rassurante du sein déjà durci. L'autre gémit un peu, excitée et en même temps blessée par les ongles abîmés qui griffaient dans leur maladresse. Soucieuse d'endiguer toute les inquiétudes de sa compagne, pourtant, Vanessa serra les mâchoires et endura sagement ; ne pensant qu'au plaisir, méprisant la douleur.

Trois nouveaux ricochets sur ses abdos prononcés. La main tremblante de Nelly s'engouffrait, incertaine, sous l’élastique de la culotte. Vanessa joignit ses doigts au siens, en vue de la rassurer. Mais déjà la proie curieuse s'aventurait sur les voies étriquées de l'antre carnassier ; contorsionnée entre le tissu imbibé et la faille ruisselante qui, compulsivement, se repliait tout contre ses articulations. Vanessa ne sut dire, si elle les aspirait cupidement, ou si ces ongles cassants plongeaient pour de bon dans ses entrailles brûlantes. Leurs dents de scies cinglantes n'étaient plus pour lui déplaire. Ses parois utérines vibraient sous les décharges d'éraflures hasardeuses. Le pouce faisait le guet en harcelant son clitoris.

— Plus fort, commanda Vanessa qui resserrait ses cuisses autour des hanches maigres.

Les doigts encastrés fendirent plus vigoureusement son con, la forçant à s'accrocher au cuir rugueux du bétail acharné, pour retenir le cri qui vira au grincement. Aigu. Sifflant. Elle souriait franchement en ravalant toute sa satisfaction. « Pas trop tôt, pas tout de suite... », Nelly devrait mériter son butin.

Face à sa prise domptée, Vanessa jugea plus commode de faire d'une pierre deux coups : noyer d'un tourbillon salivaire ses gémissements croissants. Cependant, les gorges essoufflées ne soutinrent bien longtemps cet ultime baiser. Possédée par le va-et-vient qui la ramenait immanquablement et plus profondément au buste transi de Nelly, la jeune femme expulsa un beuglement jouissif. « Tant pis pour les voisins. »

Les doigts tordus de l'autre s'extirpèrent avec précautions de son bas-ventre, la cyprine y aidant. Elle sentait son vagin qui fourmillait encore, jusque dans le bout de son nez.

Comme Nelly se retournait, en quête d'un mouchoir, Vanessa la retint et entama de sucer les phalanges engluées dans sa propre mouille.

— T'es pas possible, soupira Nelly.

— Vas-y ! rétorqua-t-elle la bouche pleine. Dis-le ! Je suis une grosse dégueulasse.
— J'irais pas jusque là.

Elles échangèrent un regard mi-las mi-complice, puis Vanessa attira sa conquête contre son sein et entreprit de lui masser le poignet.

— Tu veux quelque chose de moi ? demanda-t-elle.

Nelly secoua la tête.

— J'ai eu tout ce que je voulais.

Vanessa jubilait, mais un poids importun s'empâtait sur sa langue.

— Dis, Nelly, tu comptes me mettre dehors, dimanche soir ?

— On verra bien. J'ai encore deux jours entiers pour me décider, je te rappelle.

— Parce que je suis mordue...

— Où est-ce que tu t'es mordue ?

— Nulle part. J'ai le béguin pour toi.

— On verra ça, quand tu me connaîtras.

— Je te connais déjà. Je cerne vite les gens.

La plénitude se répandant, elle commençait à s'assoupir ; de même que l'autre entre ses bras.

— Dis, Nelly ?

— Quoi encore ?

Vanessa égara un baiser sur son crâne ébouriffé et lui caressa la tête pour la complimenter :

— Tu n'as pas à rougir de tes capacités.

— T'es con, ma parole ! Laisse-moi te prévenir, je fais pas ça tous les jours. J'ai pas ton endurance.

— T'en fais pas, je t'entraînerai.

— Tu me fatigues déjà...

Cette nuit-là, défiant l'insomnie, deux corps nus, enlacés, narguaient la froideur de la nuit, dans la pâleur blafarde d'un lampadaire voyeur.

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