9) Cohabiter

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Le couple d'un week-end s'accordait sur un point : pour partager la vie de quelqu'un, il fallait au moins être capables de faire les courses ensemble. Du reste, leurs habitudes divergeaient âprement. Rigueur oblige, Vanessa s'informait avec précision de tout ce qu'elle consommait : de la provenance de ses légumes à la composition de son shampoing. À l'inverse, Nelly ne jurait que par les promotions et, à l'en croire, il n'y avait pas de petites économies. Un paquet de pâtes format familial devait tenir tout le mois, et la viande en barquettes premier prix s'entassait dans le congélateur ridiculement petit intégré au frigo. Les œufs s'achetaient par douze, peu importait le label, mais elle prenait toujours du lait allégé, facile à digérer. Autrement, elle aurait dégueulé ses cocktails quotidiens.

L'hygiène de vie désastreuse de Nelly exaspérait Vanessa. L'idée que sa moitié puisse avoir une estime de soi si basse qu'elle se néglige à ce point l'attristait davantage. Aussi, sur le ton impérieux qui avait fait sa renommée à l'école, autrefois, elle ordonna illico une nouvelle répartition des tâches ménagères : elle assurerait la cuisine et Nelly le nettoyage. Chacune participerait au budget en conséquences.

Nelly sourit de tant de sérieux et d'une telle prévoyance. Après tout, n'était-ce pas qu'une mascarade ? Le jeu frivole d'un week-end où toutes deux trompaient l'ennui ?

De retour à l'appartement, les bras chargés des commissions dont elle avait presque entièrement décidées, et les pieds criblés d'ampoules, la faute aux souliers aussi sexys que meurtriers, Vanessa déploya tous ses talents de cordon bleu. La jeune femme n'avait jamais considéré sa fibre culinaire comme un atout-séduction, quoi que ces collègues masculins se gaussaient fréquemment en la disant « bonne à marier ». En revanche, c'était sans doute le seul mérite honnête qu'on lui reconnaissait volontiers. On n'avait jamais loué ni ses mentions scolaires, ni son parcours exemplaire, ni ses entraînements acharnés, ni son endurance incontestable. Son soi-disant sex-appeal avait toujours éclipsé le reste et, sans aller jusqu'à cracher dans la soupe, être une bonne cuisinière lui paraissait encore une qualité moins macho.

Nelly exultait en lui expédiant des orgasmes à la chaîne : Vanessa, elle, se délectait de la voir engloutir son bol de soupe au yaourt, ne faire que deux bouchées du demi œuf qui flottait dans le potage et se resservir une louche copieuse.

— Dis, si tu ne veux pas de moi comme petite-amie, je pourrais peut-être rester ta nourrice. Et ton esclave sexuelle, tant qu'à faire.

Comme Nelly relevait de grands yeux, la bouche auréolée de courge veloutée, l'invitée ne put résister à l'envie d'en rajouter une couche.

— Tu boiras à mon sein et puis, en ce qui concerne les œufs...

— Tu deviens gênante, Van.

— Gênante à quel point ?

Au point, visiblement, que Nelly lui délègue la corvée de vaisselle et se retire prendre une douche, seule.

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