13) Comme un lundi

2 minutes de lecture

Comme chaque matin, et non seulement les lundis, le bureau fourmillait d'adjoints affairés. Conformément à ses petites habitudes, le Major Lacroix était en avance. Le buste raide. Le visage halé et strict, couronné d'un nez droit. Les yeux perçants. Les cheveux blonds serrés dans un étroit chignon. À tout juste trente ans, et malgré sa taille modeste, l'irréprochabilité légendaire de Perrine lui avait valu le respect de la plupart de ses pairs, dans un milieu essentiellement masculin.

Après un week-end bien mérité, quoi qu'un peu solitaire, elle retrouvait avec entrain le cuir élimé de sa chaise et le bureau mastoc des administrations publiques. Déverrouillant le tiroir pour rafraîchir sa mémoire des affaires sordides laissées en suspens, elle constata, nullement surprise, que le dossier épineux de la semaine passée avait été emporté par sa coéquipière.

Le brigadier Walter et elle partageaient un passé, à vrai dire peu houleux, mais qui aurait largement eu de quoi faire jaser. Elles avaient fait leurs classes ensemble à l'école de police, puis, par une heureuse coïncidence, elles avaient fini par devenir collègues. Enfin, puisque leurs cortex en effervescence réclamaient toujours plus de temps de labeur, elles avaient jugé bon de prendre une collocation. À cette époque, Perrine était certaine que, l'amour de sa vie perdu de vue, elle n'aurait jamais rien d'autre à cœur que son travail. Quant à son amie, elle se vouait corps et âme – corrompue, au fil des ans – à faire la lumière sur les enquêtes les plus tenaces.

Pendant longtemps, elles s'étaient satisfaites l'une de l'autre : camarades, amies, équipières, et occasionnellement amantes. Un jour, pourtant, Perrine avait cru bon de cloisonner cette relation, marquant la distinction entre leur vie commune et professionnelle et, surtout, refusant désormais tout rapport sexuel, sous prétexte de maintenir une amitié plus saine. Cela faisait deux ans que l'accord tenait bon quand, au hasard d'une sombre enquête, elle avait retrouvé à la morgue son amour de jeunesse. Non pas sur la table d’autopsie, mais en la personne du légiste.

La joie intense des retrouvailles, les regrets ravalés et les excuses redites, maintes et maintes fois, avaient cédé la place à l'éternel défilé des grands projets de vie. Le manque et les remords avaient forcé la hâte et, très tôt, elles s'étaient mise à parler de mariage.

Tandis que sa compagne travaillait tout le week-end, Perrine l'avait passé dans les préparatifs : compter les invités, élaborer le plan de table, décider d'une salle, ou d'un château peut-être, commander le traiteur. Elle n'avait pas chômé et, après tant d'efforts, l'idée de retourner aux cadavres défigurés qui ponctuaient les pages des dossiers « à classer » semblait une perspective plutôt revigorante.

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0