Chapitre 21 : Le royaume d'Ortov

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Marie

Ma fille et moi sommes constamment espionnées et soupçonnées. En tant qu’ancienne prêtresse, nombreux sont les soldats de l’armée des semblables ne voyant en moi qu’une traîtresse. On nous fait répéter dix fois par jour le serment de fidélité aux vampires, on nous donne les tâches les plus ingrates et il n’est pas rare qu’on s’en prenne à notre intimité quand l’occasion se présente. La solidarité entre humains mise en avant n’est qu’une grosse supercherie et si pour l’instant mon honneur n’a pas été bafoué de façon trop extrême ce n’est que grâce à la constante présence de centaines de soldats où que nous allions. Sans cette multitude présente partout nul doute que ma fille et moi aurions déjà servi d’objet de réconfort à des hommes ayant autre chose que de nobles idéaux en tête.

Le sort de mon fils n’est guère plus enviable. Toutes les recrues issues des fidèles de Renaud sont maltraitées et les hommes sont contraints de courir dans la neige sans vêtement, de soulever des poids bien trop lourds pour eux et de ne dormir que quatre ou cinq heures par nuit. Mes tourments me paraissent même légers comparés aux leurs. Jamais je n’ai vu mon fils si maigre, exténué et malheureux. La moindre erreur est punie de moult coups de bâton et déjà certains de ses camardes succombent au traitement de leurs nouveaux officiers.

On nous rabaisse en chaque instant nous répétant que « nous avons brisé la concorde entre les hommes et les vampires et que, pour obtenir réparation, toute notre race doit payer le prix du sang. A cause de notre idolâtrie et notre orgueil nous avons damné tous nos congénères. Nul plainte ne sera dès lors acceptée et il est plus que naturel que nous prenions part à cette guerre que nous avons contribué à faire trainer en longueur.»

Pourtant je ne peux totalement être en désaccord avec eux. Au nom d’un faux dieu j’ai envoyé bien des gens à la ruine et parmi eux Jacques, Gontran et Laura… Je ne crois pas davantage en leur vision du monde qu’en celle que j’ai jadis défendu mais il me paraît normal que je paye le prix de mon égarement. Je ne me plains pas, aide ceux qui sont autour de moi et essaye de voir Vivien dès que je peux en lui apportant quelque nourriture.

Malgré tout être la lie de tous les humains qui nous entourent alors que c’est pour eux que nous avons lutté ne peux manquer de m’attrister. Même les prisonniers des dernières batailles ne sont pas aussi mal vu que nous, après tout ils ont également servir leurs maîtres et n’ont en ce sens pas trahi.

Puisse l’hiver finir vite sans quoi je crains de perdre mon dernier fils. D’ici là j’obéirai à ce qu’on me dira et si faire du zèle peut réduire un tant soit peu les tourments des miens je n’y manquerai pas. Cependant je ne peux m’empêcher de penser qu’il est dur de vivre sans Dieu. Quand bien même Renaud n’en était pas un, du moins pas tel que nous l’imaginions, le simple fait de croire en lui me donnait du cœur à l’ouvrage et me faisait espérer en l’avenir. Aujourd’hui ma seule perspective est de survivre avec les restes de ma famille… et rien ne me laisse présager que cela se produira.

Andrei

3 mars 5132

Long, tortueux et difficile est le chemin qui mène à la trahison. Il n’en demeure pas moins parfois le seul envisageable. C’est en prenant cette décision que j’ai réalisé l’attachement que j’éprouvais malgré tout envers mon roi et plus encore envers Anastasia aux côtés de qui j’ai passé plus d’un siècle. Je l’ai éduqué et vu petit à petit devenir une vampire à la fois superbe et d’une grande intelligence sans pour autant qu’elle ne tombe ni dans le cynisme ni dans la méchanceté... Du moins jusqu’à ce qu’elle propose de pervertir son âme et son royaume en les vendant aux humains. Je me suis accroché au maigre espoir qu’il ne s’agissait là que d’une folie passagère mais point du tout. L’apogée de la compromission fut atteinte lors du nouvel an durant lequel, en lieu et place de fêter la victoire de nos ancêtres lors de la guerre des sangs où le péril humain faillit nous engloutir, Stanislas et sa sœur ont au contraire fait rejaillir cette menace éteinte depuis des millénaires en en faisant nos égaux.

Avec les plus grands seigneurs présents nous avons alors décidé de faire défection et, à la faveur d’une tempête de neige, nous avons pu fuir à quatre-cents de ce maudit camp. Certains voulurent rentrer chez eux et ne plus participer à la guerre. D’autre au contraire comptaient bien sauver Orania de son roi. J’en faisais partie ! Certains rejoignirent leurs fiefs afin de lever des forces. Pour ma part, après plus d’un mois de voyage accompagné d’une dizaine de mes compagnons, je suis enfin arrivé à Ortov où la résistance s’organise ! Le fils du grand-duc, Alexeï, nous reçut et s’est dit prêt à proclamer l’indépendance de son royaume. Les plus grands nobles du nord, les comtes d’Arnov et d’Altmar en tête, ont d’ores et déjà rejoint la lutte.

La conspiration semble dater de bien avant mon arrivée et ce n’est pas un mal. Lorsque le grand-duc s’en alla rejoindre Nikolaj puis Stanislas il emmena avec lui le gros de ses troupes et nombre de celles de ses vassaux quand bien même ils ne prirent pas personnellement part à cette guerre. Il fallut donc reconstruire une armée digne de l’antique royaume d’Ortov. Le prince Alexeï, comme il veut qu’on l’appelle, assure qu’il devrait avoir quinze-mille hommes sous ses ordres à l’arrivée des beaux-jours et que c’en sera plus qu’assez pour défaire ce « faquin de Stanislas ». Les injures qu’il ne cesse de proférer à l’encontre de mon ancien souverain ne cessent pas de m’attrister quand bien même je sais qu’il a raison. Je ne puis m’empêcher de me rappeler le jeune vampire qu’il était, désireux de devenir preux chevalier et de mener mille guerres. Il n’en mènera finalement qu’une et il faudra, dans l’intérêt de notre race, qu’il la perde.

Le désormais prince est confiant dans sa victoire prochaine. Il s’est arrangé avec Valentyn pour que sa petite sœur lui soit mariée dès que l’indépendance d’Ortov sera proclamée et reconnue par Isgar. La jeune Ina sera alors envoyée à Sussmar par bateau et une alliance sera forgée par le sang. Cependant, malgré toutes ces nouvelles encourageantes, je ne pouvais m’empêcher de rester sceptique vis-à-vis de la réaction de son père. J’avais peu discuté avec lui mais il était de notoriété publique qu’il était peut-être le plus loyal des vassaux de Stanislas. Mes tentatives de le faire déserter n’avait obtenu en réponse que des refus catégoriques. Nul doute que si je n’avais pas formulé ces demandes à mot couvert il m’aurait dénoncé et fait exécuter.

Alexeï semblait au courant de la situation, il me répondit :

« Mon père ne vaut guère mieux qu’un chien ! Il sert un roi qui l’humilie sans cesse, lui et tous les vampires vivant au nord. Depuis que mon ancêtre, le dernier roi d’Ortov Kasimir premier du nom, s’agenouilla devant le conquérant nous avons toujours été considérés comme des sujets de seconde zone. Nos fiefs sont les plus pauvres du monde, nous sommes traités en vaincus depuis des millénaires et malgré cela ma lignée fut la plus fidèle de toute à la couronne. Parmi les anciens vampires de ce royaume déchu, seuls les grands-ducs reçurent un traitement de faveur. Il ne s’agissait pas d’estime mais de récompenser la servitude. On nous honorait et nous récompensait comme on l’aurait fait d’un limier ayant ramené une belle proie. Jamais nous n’avons été les égaux de ceux du sud. Tandis que jamais roi ne fut moins digne d’être servi que ce Stanislas, jamais grand-duc ne fut plus fidèle à son souverain. Une fois que j’aurai proclamé le royaume d’Ortov ressuscité, je suis curieux de voir qui mon père choisira de suivre. Son fils qui lui offre une couronne ? Ses sujets qui le réclament à cor et à cris ? Ou bien trahira-t-il son propre sang, son peuple et jusqu’à son amour propre en guerroyant contre son ainé et ses vassaux ? Le pire est que je ne suis pas certain de la réponse à cette question... Qu’importe... S’il venait à se déshonorer à ce point les isgariens m’ont assuré que la colère du Dieu vampire ne manquerait pas de s’abattre sur lui... quand je vois les calamités qui se sont abattues sur Orania l’année dernière et la ferveur de Valentyn j’ai tendance à croire leurs dires. Quant à ma mère elle est tiraillée entre la fidélité due à son mari et l’amour qu’elle éprouve pour ses enfants... Je me vois contraint de la maintenir dans le château pour l’instant mais, si Valass le veut, elle finira par nous rejoindre sans ambiguïté. »

Me voilà donc aux ordres non plus d’un roi mais d‘un prince, pourtant d’une noblesse de sang et d’esprit bien supérieures à mon ancien maître. Je lui donnais toutes les informations utiles concernant la guerre qu’il mènerait et il me nomma maître des ombres de son royaume en signe de reconnaissance.

En ce trois mars j’eux l’honneur d’assister en première loge à la proclamation d’indépendance du royaume d’Ortov faite par le prince Alexeï. Me voilà donc officiellement en guerre avec les vampires desquels j’étais le plus proche et pourtant jamais mon cœur ne fut autant en accord avec mes actes. Puisse Valass nous bénir car notre cause est juste. Voilà désormais Orania amputée et en guerre contre trois royaumes. Je suis curieux de voir comment Stanislas va réagir. Comment va-t-il se compromettre encore davantage auprès des humains afin de se sauver ?

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