Chapitre 25 : Le baron de Rapkamar

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Andrei

10 mai 5132

Heureusement qu’Isgar a réussi à racheter nombre de mercenaires à Orania sans quoi nos forces eurent été bien plus maigres qu’annoncées pour ce début de campagne. En attendant la mort du grand-duc nos opposants se sont organisés autour du baron de Rapkamar. Selon mes informations il s’agirait d’un vieux briscard de presque huit siècles. Respectant Gueorgui au moins autant qu’il méprise Stanislas il avait refusé de rejoindre l’ost de son seigneur au commencement de la guerre de succession d’Isgar. Il semble toutefois qu’il soit prêt à faire cause commune avec Stanislas pour défendre son suzerain. Lorsque nous lui avons envoyé des émissaires afin qu’il rejoigne le prince Alexeï, il nous a simplement renvoyé leur tête avec ces mots :

« Honte à celui qui trahi son père ! Je peux vous jurer que mes fils, mes petits-fils, mes arrière-petits-fils et moi-même lutterons contre vous jusqu’à la mort ! Je préfère encore un roi traitant avec les humains qu’un ignoble vampire poignardant ainsi sa propre chaire dans le dos. En ce jour je vous promets du sang et des larmes et ce jusqu’à votre défaite finale !

Sacha, baron de Rapkamar »

Sa réponse fut la plus cinglante et la moins ambigüe de toute. Nombre de seigneurs s’étaient réfugiés dans une prudente neutralité ou s’étaient révolté en assurant Alexeï de leur profond respect afin de se ménager une porte de sortie au cas où l’affaire tournerait mal. Néanmoins l’exécution d’émissaires et cette haine que semblait nous vouer ce baron étaient unique. C’est sans doute pour cela que les opposants se sont rangés derrière lui : Il était clairement le plus motivé et s’il venait à être défait nul doute qu’il saurait attirer sur lui toutes les foudres d’Alexeï et épargnerait de ce fait les autres. Il était donc autant un chef déterminé qu’une assurance pour quiconque se soulèverait de façon plus feutrée, davantage en quête de récompenses que de justice.

Malgré tout, cela ne nous inquiéta pas davantage, ce n’était qu’un petit baron et il ne pourrait pas grand-chose face aux armées des plus grands seigneurs d’Ortov renforcées par des milliers de mercenaires. Nous entrâmes en campagne début avril avec la certitude de la victoire. Notre ennemi et ses soutiens disposaient de quatre mille hommes tout au plus, répartis sur tout le territoire, tandis que nous en avions plus de dix-mille tous concentrés autour de la capitale. La fragile coalition s’opposant à nous volerait en éclat à la première défaite.

Nous commençâmes par voler au secours de la forteresse de Kakalin qui était assiégée, toutefois lorsque nous arrivâmes l’ennemi avait décampé. Sur le chemin nous avions traversé deux villages. Ils avaient été pillés et les humains tués. Cela aurait été de bonne guerre et nous n’y aurions pas prêté davantage attention si nous n’avions pas vu les cadavres horriblement mutilés des vampires. Un panneau illustrait cette macabre scène : « Le destin des traîtres ».

De toute évidence la troupe ennemie avait menacé les seigneurs présents en les sommant de faire un choix entre Alexeï et Gueorgui. Comment auraient-ils pu imaginer que tel serait le sort de ceux qui refuserait de suivre la baron Rapkamar ? Contre toutes les règles de la guerre, contre le plus élémentaire respect dû à tout vampire ils avaient massacré indistinctement hommes, femmes et enfants.

Ce triste spectacle se présenta à nous plusieurs fois encore et au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans les terres contrôlées par nos ennemis nous nous faisions harceler par des archers et autres tireurs embusqués. Nous ne pouvions rentrer dans un bois ou emprunter une route sans que quelques flèches ne volent à notre encontre. Si les pertes qu’ils nous infligeaient n’étaient pas très importantes, elles suffisaient à démoraliser les lâches humains de notre armée.

Plus surprenant encore furent l’identité des tireurs en eux-mêmes : Il ne s’agissait pas que d’hommes effrayés par la perspective du combat. En effet ces derniers étaient dirigés par des vampires se servant d’arcs lourds, robustes et extrêmement létaux que nul homme ne saurait manier. Jamais je n’en avais vu de pareils mais le prince Alexeï m’assura que c’était là un instrument de chasse très répandu dans la région. Savoir que des chevaliers s’abaissaient ainsi à éviter le contact et à lutter cachés avec pareilles armes provoqua une sombre colère en moi et chez tous les braves qui marchaient aux côtés d’Alexeï.

Non contents de se révolter contre leur prince légitime, les vampires qui nous faisaient face s’avilissaient en combattant comme des humains. Leur art de la guerre était une insulte à notre race, une de plus. Cela semble être une habitude chez les suppôts de Stanislas. Les captifs furent suppliciés de la plus horrible des façons et leurs cadavres furent accrochés aux arbres afin de dissuader les prochains d’agir ainsi. D’après les renseignements que nous récoltâmes grâce à la torture Sacha leur avait dit que « Contre un parricide il n’y est pas d’honneur qui tienne ! Quoi que vous fassiez vous ne pourrez pas égaler son infamie ! S’il croit que le nombre suffira à l’emporter prouvez-lui l’inverse ! Cachez-vous ! Harcelez-le ! Brûlez ses terres, attaquez ses caravanes ! Assassinez quiconque soutient sa cause ! La justice est de notre côté, la victoire ne saurait tarder ! »

Exécuter pareils fanatiques est preuve de piété. Au moins nous savions à quoi nous en tenir ! Lorsque nous arrivâmes dans le fief d’un seigneur, que je savais être notre ennemi, après avoir essuyé nombre d’embuscades, nous ne fûmes pas dupes de leur attitude faussement accueillante. Les vampires de ce hameau étaient des assassins qui la veille encore essayaient de nous tuer. Sans semonce nous mîmes leur bourgade à feu et à sang ! « La terreur est la seule réponse à la terreur » argua le prince !

Après un mois de campagne le baron de Rapkamar continue toujours à se dérober. Cependant pour chaque village qu’il détruit nous en brûlons cinq. Pour chaque vampire qu’il assassine nous en tuons dix ! Qu’il se dérobe, qu’il fuit, qu’il tue tant qu’il le voudra, nous finirons par le vaincre ! Tout cela a au moins le mérite de forcer les indécis. Nombre de seigneur, de peur d’être attaqués par l’un ou l’autre des camps, décident de prendre parti. Bientôt il n’y aura plus de neutre en Ortov, nos ennemis seront clairement identifiés et nous pourrons massacrer ces sous-êtres luttant de façon ignoble pour une cause qui ne l’est pas moins !

Lev

Quel remu ménage dans le camp à mon retour. Je m’attendais à ce que l’amélioration de la logistique provoque pareille effervescence mais il ne s’agissait pas que de cela. L’assassin avait de nouveau frappé ! La nuit d’avant mon arrivée qui plus est ! La situation était si confuse que vampires et humains ne cessaient d’aller et venir dans le camp et sans même que j’eus besoin de tendre l’oreille les rumeurs les plus folles me parvenaient.

Stanislas serait mort, l’assassin aurait raté son coup ou encore un traître serait présent. Comment tant de rumeurs, si contradictoires entre elles, pouvaient s’être formées en si peu de temps et coexister au sein du même espace ? Tout en y réfléchissant Je m’efforçais de progresser vers l’épicentre de l’agitation. Je finis par parvenir à la tente dans laquelle l’action semblait s’être déroulée cependant il y avait bien trop de monde pour que je puisse entrer. J’attendis donc une demi-heure dans l’expectative.

A force d’être à l’affut du moindre son porteur de sens je parvins à discerner des bruits de luttes malgré la distance. Ces derniers s’estompèrent peu à peu. Après quelques instants d’attente, durant lesquels une sourde panique semblait avoir gagné le camp, Stanislas se montra à son armée. Les acclamations fusèrent immédiatement, plus sincères du côté des hommes que des vampires.

Une fois la foule calmée, le roi s’adressa à nous en ces termes :

« Soldats et chevaliers, cette nuit un meurtre des plus odieux a été commis ! »

La stupeur chez les hommes contrastait avec l’air entendu des vampires. Il était évident pour ceux un tant soit peu au courant des affaires du moment que pareil chose risquait de se produire. Les humains n’en faisaient évidemment pas partie.

« Heureusement, grâce à Valass, Guoergui, grand-duc d’Ortov, qu’on soupçonnait d’être la cible, n’a rien ! »

Aussitôt, dans une mise en scène toute théâtrale, l’intéressé rejoignit le roi sur l’estrade. De véritables cris d’engouement jaillirent du côté des humains. Ils n’avaient aucune idée de ce à quoi ils se réjouissaient. Ils ne connaissaient ce grand seigneur que de nom mais le ton pris par Stanislas et la soudaine apparition de celui qu’ils crurent un instant perdu sonnèrent en leur cœur comme l’aurait fait l’annonce d’une grande victoire. La naïveté de cette race trop longtemps laissée à l’écart des affaires de ce monde était à la fois touchante et déprimante. On aurait pu leur annoncer n’importe quelle nouvelle pourvu qu’on leur assure qu’elle était bonne et ils auraient tressailli de joie de la même façon.

Les vampires quant à eux étaient davantage soulagés que réjouit. Surtout ils anticipaient la suite du discours et à raison :

« Toutefois il y a malgré tout eu une victime en cette triste soirée… Le roi légitime d’Isgar, Yegor III, vient de périr sous les coups de cette ignoble créature ! »

A ces mots une femme aux cheveux semblables à ceux du grand-duc mais avec les yeux rouges fit irruption, ligotée, bâillonnée et maîtrisée tant bien que mal par quatre seigneurs dont Konstantin, mon rival des champs de joute.

« Cette sorcière a infiltré notre camp, non pour assassiner le grand-duc comme nous l’aurions pensé mais bien pour tuer le roi d’Isgar, le propre neveu de Valentyn ! Non content d’être un usurpateur, d’avoir fait exécuter sa propre sœur, voilà qu’il s’en prend à son neveu, sa propre chaire une fois encore ! Qui pourrait accepter pareil roi ? Personne ! Aussi désormais, selon les lois d’Isgar et de Valass, le souverain légitime se trouve être ma sœur, Anastasia première du nom ! Si je prêtai quelque dignité à Valentyn je m’attendrai à ce qu’il se rende de lui-même après pareils crimes mais je n’espère plus rien de tel venant de pareil être. Ainsi, à partir de maintenant, nous guerroierons au nom d’Anastasia ! En ce jour, comme au premier de mon règne, je vous promets la gloire et la victoire ! Chevaliers, me suivraient-vous ? Pour Orania ! Pour Isgar ! Pour Valass ! Pour la justice ! »

Et tout en prononçant cette dernière injonction, il sorti Brise-l’âme et l’enfonça dans le cœur de la prisonnière ! Aussitôt les vampires hurlèrent de rage et applaudirent en cœur le geste de leur roi ! Tous criaient vengeance ! Aucun doute, Stanislas savait exciter les plus bas instincts de ses chevaliers. Un discours tonitruant, l’appel aux valeurs les plus élémentaires de la chevalerie, des promesses de victoire et une exécution bien sentie. On se serait presque cru aux arènes tant l’effervescence qui régnait au camp y était comparable. L’assemblée était dans un état d’ivresse collective. En cet instant vampire et humains communiaient presque parfaitement dans la haine de Valentyn. Tel serait peut-être le ciment qui unifierait les races, un ennemi commun qu’ils ne pourraient défaire qu’en se battant coude à coude, d’égal à égal. On n’en était pas encore là mais cette perspective germa dans mon esprit et plus j’y pense, moins je la trouve improbable ou idiote. J’hurlai donc à mon tour et m’abandonnai à cette folie passagère, laissant de côté pour quelques instants toutes mes interrogations.

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