Chapitre 34 : La vie d'un homme

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Lev

Nous avons été défaits par deux fois et Orania est envahi ! L’ambiance changea du tout au tout dans le camp, non pas tant à cause de ces échecs mais de la colère de Stanislas qui n’en finit pas :

« Comment avons-nous pu ignorer que Valentyn ait prit la mer ? Que fait notre maître des ombres ? Pourquoi le duc de Sartov a-t-il livré cette bataille inutile ? Croit-il que nous ayons tant de ressources que nous pouvons nous permettre d’en gâcher pour sauver son honneur ? »

Il ne cessait pas d’écrire à sa sœur et convoquait son conseil de guerre parfois deux fois par jour.

« Les humains sont-ils toujours fiables ? Et les vampires ? Ou en sont les tractations avec les seigneurs étrangers ? Comment se porte la logistique ? … »

Ces questions n’en finissaient pas et se succédaient entre elles sans véritable fil conducteur. On avait appris qu’Isgar levait une nouvelle armée mais aucune idée des effectifs qu’ils étaient parvenu à enrôler. On était au courant que l’ennemi projetait de s’enfoncer davantage dans notre territoire l’année prochaine mais sans savoir où précisément.

Ces informations parcellaires inquiétaient Stanislas plus que tout et l’idée de repasser une deuxième fois le col d’Ilpelev le hantait. Si l’ennemi reculait devant son armée il aurait abandonné ses conquêtes en Isgar pour rien. S’il laissait de trop fortes garnisons ici il ne serait pas sûr de vaincre Valentyn et Javor.

Après une énième réunion c’est moi qui fut le conseiller à rester auprès de lui. Il s’assit alors, se servit un verre de sang et me demanda :

« - Selon le rapport de la bataille de Chichmar les humains auraient détalé et leur chef se serait montré d’une incompétence confinant à la trahison… Qu’en pensez-vous, me demanda-t-il en me tendant la lettre ?

- Je doute fortement que les soldats que j’ai vus se battre à nos côtés soient incompétents. C’est la meilleure infanterie du monde et de loin ! Toutefois il est possible que loin de votre protection ils aient reçu des brimades imméritées qui aient pu les braquer et les faire douter. Je crains qu’en votre absence l’alchimie que vous avez réussi à créer entre les hommes et les chevaliers ne s’étiole. Les vampires sont incapables d’utiliser et surtout de motiver les humains comme vous le faites. A mon avis ce manque de considération a pu toucher le morale des hommes. Sans compter que ces derniers ont bon dos. Si les nobles échouent il est facile pour eux de leur faire porter le chapeau. Pourtant, si vous voulez mon avis, seul le général en chef est responsable de la victoire ou de la défaite. En l’occurrence il ne s’agissait pas d’un humain mais d’un grand-duc. »

Il resta pensif un instant puis se leva.

« Vous avez raison, ma sœur aussi estime que les hommes font offices de bouc émissaires idéaux. Toutefois je n’avais pas pensé que de telles tensions existaient entre humains et vampires. Peut-être avez-vous raison. Peut-être qu’ils ne peuvent se battre correctement ensemble sans moi… Je vous remercie de votre franchise, vous pouvez disposer et assurez-vous que les nouvelles recrues soient fidèles et correctement entrainées ! »

J’acquiesçais et étais sur le point de partir lorsque je me retournai :

« - Sire, puis-je vous poser une question ?

- Faites, faites.

- Quel sort réservez-vous au capitaine chargé de tous les maux ? J’ai lu qu’il était actuellement enfermé en attente de son châtiment. Nous savons tous deux qu’il n’est pas pour grand-chose dans cet échec.

- Il suffit ! Il n’est pas irremplaçable.

- Excusez-moi d’insister mais je pense qu’il est plus précieux que ce que vous imaginez. Il est très apprécié parmi les soldats sans compter qu’il est le fils du général. Si vous acceptez qu’on l’exécute je crains que cela ne jette un froid entre vous et les hommes. Même si vous feignaient l’ignorance, jamais plus vampires et humains ne pourront coopérer. Vous n’aurez dès lors plus une mais deux armées chacune prête à se jeter l’une sur l’autre. Et sans doute y mettront-elles beaucoup plus d’entrain que contre celle d’Isgar. »

Ces mots semblèrent le faire réfléchir. Stanislas n’est certes pas la plus grande éminence grise du royaume mais il a cette capacité à écouter et prendre en compte les arguments. Il eut été difficile sans cette qualité de délaisser une partie de son pouvoir à sa sœur. Il est aussi impulsif qu’irréfléchi dans l’action et sur le coup de l’émotion mais il le sait et, une fois à tête reposée, il est capable d’à peu près tout entendre et de faire siennes des idées qu’il n’aurait pas eues seul.

Le roi me répondit alors qu’il songerait au sort à réserver au capitaine au vue de ces nouvelles informations et me congédia de nouveau. Je ne sais pas si j’ai réussi à sauver la vie de cet homme mais je pense que oui.

Pour l’instant les températures baissent et le froid s’installe. J’en profite pour achever les préparatifs de mon voyage hivernal dans ma baronnie. Pendant la mauvaise saison j’aurai tout loisir de quitter quelques mois l’armée afin d’administrer mon fief et surtout d’y déposer Marie et ses enfants.

Je passe également ces derniers jours sous la tente à achever de lire les ultimes écrits d’Anatoli. Il y racontait comment, une fois rentré en Orania, il vécut en ermite. Il vagabondait d’une grotte à l’autre et passait son temps à prier. Sa dévotion allait croissant avec les visions de plus en plus récurrentes qu’il recevait de son dieu. Pour ma part je n’y vois là que la folie d’un vampire de plus de mille ans enfermé jour après jours dans des lieux clos à l’abris du monde extérieur. Ses entrevues avec Valass, et il en a eu beaucoup selon ses dires, sont toutes plus extravagantes les unes que les autres et même sa façon d’écrire finit par être de plus en plus confuse au fil des dernières pages. Il décrit tantôt le désert sans fin, la fois suivante il parle d’immenses vallées souterraines grandes comme des pays puis, sans transition, d’océans se déchainant contre la terre elle-même. S’en suit un mélimélo de catastrophes naturelles, de guerres et de monstres titanesques. Tout cela s’achève en apothéose par une ville terrifiante et gigantesque à la description incohérente inondée de sang et représentant selon lui le triomphe de Valass lors de la fin des temps.

Finalement Anatoli n’aura été qu’un vampire s’étant perdu dans une foi mensongère. Il se sera jeté corps et âmes dans une quête mystique insoluble avec une conviction telle que cela n’aurait pu le mener qu’à la folie ou à la mort. Il finit par trouver les deux. Quand j’y songe je pense l’avoir délivré de bien des tourments en le tuant ce jour-là.

Juliette

C’est une mission bien singulière que ma maîtresse m’a confiée… Cette fois je dois apporter en personne une missive à un seigneur au nord d’ici… Moi qui ne suis jamais sorti de Valassmar voilà que je vais devoir voyager et entrer dans un camp militaire rempli de vampires. La peur et l’excitation se bousculèrent en moi mais c’est bien vite cette dernière qui prit le dessus.

Ma dame fut ravie de l’apprendre et elle m’enseigna comment lire une carte et ce que je devrais trouver une fois sur place. Tâche m’était donc donnée de m’infiltrer dans un campement dans la région d’Ortov afin d’y trouver un seigneur qu’elle m’a décrit comme « assez grand, large d’épaule châtain de cheveux et avec une moustache bien taillée. » Cependant les indications les plus importantes étaient « de repérer l’étendard représentant un colosse à la main rouge et que, prêt de celui-ci, devrait se trouver le chevalier au casque à pointes et au gant droit pourpre ». Une fois ce dernier découvert je devrai lui donner la missive en personne sans que quiconque d’autre ne le voit. Il fallait impérativement que cette lettre reste secrète de tous, même de moi, et je devais la détruire en versant un petit bocal d’encre dessus si jamais je me faisais attraper. Ainsi je ne pourrai pas donner la moindre information à qui que ce soit. Toujours dans cet esprit je ne devais naturellement parler de tout cela à personne et revenir à la capitale dès que ma mission serait accomplie.

Cette tâche était de toute évidence des plus importantes et ma maîtresse me fit bien comprendre que j’y risquerai ma vie voire pire… Une fois encore la peur m’atteignit mais de nouveau elle ne fut que passagère. Je savais que j’aurai dû trembler ou pleurer mais je n’y arrivais pas. Jamais il ne m’était arrivé quoi que ce soit de grave et j’estimais comme improbable que cela se passe autrement à l’avenir.

Après avoir vu la détermination dans mes yeux de plus amples détails me furent fournis. Déjà je devais me couper les cheveux afin de passer pour un garçon car une femme attirait immanquablement la curiosité, si ce n’est autre chose, dans un camp militaire. Mes traits fin, presque osseux ainsi que ma jeunesse ne laissant pas encore entrevoir mes formes à venir m’aidèrent et le simple rasage de ma caboche suffit à me faire passer pour le plus malingre des jeunes garçons.

Enfin je sus ce qui devait advenir une fois la lettre donnée. Lorsqu’il l’aurait lu je devrai sans doute attendre un certain temps sa réponse car ce n’était de toute évidence pas le genre de décision que l’on prenait rapidement. Pendant ce temps je pourrais me faire passer pour un commis de cuisine ou même un vagabond, le genre de personne que même les autres humains ne remarquent pas finalement. Surtout je devais épier de façon aussi discrète que possible le vampire en question afin de pouvoir rapporter ses faits et gestes et ainsi permettre à ma maîtresse de savoir s’il avait été honnête dans sa réponse, cette dernière devant être soit « oui » soit « non ».

Il semblait que c’était tout ce que j’avais à savoir et la dame me donna la missive après en avoir fini avec les derniers cheveux qu’il me restait.

Me voici en marche vers une mission des plus amusantes que je n’ai jamais eu à faire et déjà je m’émerveille des champs que je croise, des routes que je parcours et des forêts que j’aperçois. Comme convenu je reste pour le gros du trajet dans une caravane de marchandises afin d’être protégée des éventuels bandits et autres larrons de grands chemins. Toutefois ma vampire m’a dit compter sur ma « débrouillardise » et les quelques sous qu’elle me confia pour le reste. En fait elle avait même paru triste lorsqu’elle me laissa partir. Elle me dit : « Je suis désolée de te faire risquer tout cela mais je n’ai aucun autre moyen de faire parvenir cette missive sans que son contenu ne soit éventé. Sois prudente car beaucoup de nos espions se sont déjà fait tuer par le passé ou pire… Mais aucun n’était de ta trempe ! Bonne chance et reviens moi en vie ! ». Elle s’était plus inquiétée pour moi que mes parents. Ces derniers s’étaient énervés mais lorsque je leur ai dit que c’était une vampire qui m’avait ordonné de partir ils s’étaient résignés et n’avait plus touché mot.

C’est ainsi que jour après jour je découvre le vaste monde et la peur peine toujours autant à se faire ressentir tant tout se passe bien jusqu’ici.

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