Chapitre 43 : Le siège de Sartovmar

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Marie

Les deux mois et demi suivant le départ de mon aimé virent la vie poursuivre son cours. Les gens d’ici s’étaient habitués à notre présence et, en reconnaissance de l’aide que Lev leur avait apporté, ils ne ménageaient pas leurs efforts pour rebâtir ce fief et pour nous rendre, à moi et ma famille, la vie plus facile.

Denis grandissait et, petit à petit mes deux autres enfants acceptèrent son existence et se prirent également d’affection pour ce petit être aux deux dents pointues. Je me morfondais de ne pas pouvoir communiquer avec Lev mais il avait insisté pour que le peu de pigeons qu’il nous restait ne soit pas utilisé de peur d’éventer la nouvelle si la missive venait à atterrir dans de mauvaises mains. Il était apparemment connu de certains que nul vampire autre que lui ne vivait ici et le simple fait qu’une humaine écrive à son seigneur eut pu soulever la suspicion. Lui qui était si calme d’habitude était pris de panique à chaque fois qu’il envisageait qu’il puisse arriver du mal à notre enfant. Je suis forcée d’admettre que si je le vois avec les yeux d’une mère, lui le vois avec les yeux d’un dévot devant le messie. Denis semble être à lui seul l’aboutissement de sa foi et il le chérit comme un prêtre adore son dieu. Je me demande quel genre de père cela pourra donner et quelle sera sa réaction lorsqu’il sera enfin en mesure de le voir et le toucher… J’attends son retour avec impatience et j’espère qu’il saura concilier sa foi avec ses devoirs parentaux.

Pour l’instant des bruits de guerre se font entendre mais heureusement nul vampire ne s’est encore présenté. Il arrive de temps à autre des humains fuyant la guerre ou l’enrôlement et nous les accueillons du mieux que nous pouvons. Il se raconte des choses terribles : des sièges où règnent la maladie et la famine, des crimes partout où les troupes passent, qu’elles soient isgariennes ou oraniennes ou encore des dizaines de déserteurs exécutés quotidiennement. Certains rescapés se retrouvent parmi-nous mais il semble que les innombrables traumatismes qu’ils ont subis jusqu’ici les ai changés à jamais. Cet afflux de population a le mérite de repeupler quelque peu ce hameau mais déjà certains résidents craignent qu’ils n’apportent avec eux des vampires à leur trousse.

Par chance il semble que les opérations se déroulent plus au sud et que la côte soit relativement épargnée pour l’instant. J’ai néanmoins pris l’initiative d’organiser des tours de guet afin de pouvoir fuir si des cavaliers venaient à se présenter. En l’absence de Lev il m’incombe de protéger son fief et surtout son fils ! Je ne manquerai pas à ce devoir et je retrouve en quelque sorte ce rôle de guide que j’avais durant la révolte.

Lev

Lorsque j’eus fini de réorganiser notre infanterie entre les différentes armées je rejoignis les chevaliers sous les ordres de Stanislas et nous fondîmes vers le sud. Notre trajet fut éprouvant et nous devions même dormir à dos de cheval pour ne surtout pas compromettre la surprise. La chaleur de ce mois de mai était étouffante et nous suffoquions sous nos armures sans plainte ni gémissement.

Stanislas a ce don pour motiver ses troupes Il chevaucha à notre tête, la mine toujours haute, dictant le rythme et jamais il ne parut souffrir de sa blessure à l’épaule. Avec pareil exemple, venant d’un vampire qui n’avait toujours pas la trentaine qui plus est, notre moral ne pouvait pas flancher malgré l’inconfort de la situation. En tout juste cinq jours nous parvînmes à rallier les forces du duc de Sartov qui fut aussi surpris de notre arrivée que l’ennemi le serait, du moins l’espérions-nous. Ordre avait été donné de n’envoyer nul missive afin que l’information de notre victoire ne fuite pas et c’est donc par un messager que le duc apprit notre venue deux heures seulement avant notre arrivée effective.

La situation nous fut sommairement expliquée : L’ennemie assiégeait toujours Sartovmar avec peut-être vingt-mille hommes et un millier de vampires. Des murs avaient été érigés afin de se protéger de la maigre armée du duc qui ne disposait que de six mille fantassins et trois-cents chevaliers. Certains nobles conseillèrent au roi d’attendre notre infanterie qui avançaient à marche forcée dans notre direction et qui eut due arriver d’ici une grosse semaine mais Stanislas refusa net cette alternative :

« D’ici là nul doute que les troupes d’Aartov auront appris le résultat de la bataille du plateau ocre et la surprise ne sera dès lors plus permise. Nous allons détruire leurs forces ce soir et ce dont nous disposons est plus que suffisant ! Lorsque la nuit sera tombée, quatre-cents chevaliers enfilerons les effets des seigneurs d’Aartov tombés et pénétreront dans le camp. Une fois ceci effectué ils tueront les vampires se présentant à eux puis nous ouvriront les portes du camp. Le reste de notre cavalerie s’engouffrera dans la brèche tandis que quelques seigneurs guideront nos hommes à la bataille à travers les ténèbres pour qu’ils prennent également part au combat. La surprise et la fulgurance de notre assaut les mettront en déroute ! »

Le plan était risqué mais nul n’osa protester devant un roi aussi sanguin et jusqu’ici toujours victorieux. Le duc de Sartov enfila donc en personne l’armure du défunt Javor et emporta Tranche-Vie avec lui. Nous attendîmes donc cachés à l’orée d’un bois que notre cor, signal de l’assaut, retentisse. Nous attendîmes de longues minutes dans l’expectative, l’espérance de la victoire et la crainte de l’échec.

Après un temps que je serai incapable d’évaluer l’appel retentit et, sans hésitation, le roi ordonna la charge. Les seigneurs fondirent donc vers les portes du fort, ouvertes comme prévues, et desquelles s’échappait le fracas caractéristique des combats acharnés. Toujours virtuellement manchot je guidai pour ma part notre infanterie à la bataille à travers l’obscurité. Nous rejoignîmes alors nos forces tandis que la cloche du camp aartovien ne cessait de sonner et qu’hommes et vampires déambulaient autour de nous dans la plus grande confusion. Plus que la brutalité de l’attaque, c’est l’ignorance de la situation qui démoralise le plus l’ennemi dans ce genre de situation.

« Combien sont-ils ? La bataille est-elle gagnable ou dois-je fuir ? Comment vont réagir mes camarades face à l’imprévu ? ». Autant de questions fatales en plein combat et qui mènent presque inévitablement à la déroute. Cette bataille ne fit pas exception.

A peine mon contingent était-il arrivé que déjà les ennemis se précipitent vers l’autre extrémité du camp. De rares îlots de résistance s’organisèrent autour d’officiers plus compétents que la moyenne mais leur isolement rendait leurs tentatives vaines. Après deux heures de combat la plupart des chevaliers avaient fui, étaient morts ou prisonniers tandis que les hommes s’étaient rendus presque sans opposer de résistance dès qu’ils réalisèrent que les vampires chargés de les tenir avaient déguerpi.

L’audace du roi avait encore payé et sa bonne étoile n’avait pas cessé de briller pour lui en ce soir. Il semblait même que les dieux eux-mêmes voulaient le voir triompher tant son plan s’était passé sans accroc, chose des plus rares en temps de guerre. Comme je les comprends ! En détruisant toutes les valeurs du passé comme l’honneur chevaleresque, l’oblitération des hommes ou le droit du sang le souverain d’Orania pave le chemin d’un nouveau monde. C’est en voyant le soleil se lever sur ces centaines de cadavres, prix du triomphe d’un vampire dont l’ambition n’est autre que la conquête du monde, que je réalise que le massacre des aartoviens au plateau ocre fut un mal nécessaire. L’honneur vampirique, bien que j’en sois imprégné, est un obstacle à la libération des hommes. Si ces règles désuètes avaient été suivies jamais la conquête d’Aartov n’aurait pu être envisagée et cela aurait pu laisser un reliquat de conservatisme bien trop puissant. Tout doit être sacrifié sur l’autel d’Himka et Valass, des vieux royaumes aux plus anciennes dynasties en passant par les hommes jetés face à nous et jusqu’à mon honneur s’il le faut. Que Stanislas continue à servir son ambition, cette dernière repose de plus en plus sur les hommes et bientôt l’égalité ne sera plus un rêve mais un fait.

Humains et vampires seront de force comparable et n’auront d’autre choix que de s’agenouiller à égalité devant le même souverain et aucune des races ne pourra prendre le dessus sur l’autre sans rejouer la guerre des sangs ! Le roi, pour préserver ses conquêtes et son pouvoir, devra faire coopérer l’ensemble de ses sujets. De là naîtra une coexistence pacifique à partir de laquelle humains et vampires apprendront à se connaître puis, petit à petit, à s’aimer. Que Stanislas continue à bafouer toutes les règles, à enfreindre toutes les conventions, que son pouvoir ne repose plus que sur la force et donc sur les humains ! De cette tyrannie naîtra l’égalité !

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