Chapitre 52 : La nuit des larmes

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Lev

Trahison ! Tandis que je m’attendais à une nouvelle victoire de Stanislas voilà que ce dernier a envoyé à tous les nobles du pays une missive aux relents de triomphe mais pas celui escompté. Durant la pseudo-bataille de Kachav les humains des deux camps ont été conjointement massacrés scellant ainsi dans le sang des innocents la soumission d’Aartov et d’Isgar en échange de la conservation des plus anciennes et prétendues nobles familles de ces deux pays. Voilà donc ce que Stanislas IV appelle une victoire : le massacre de dos des hommes qui avaient jusqu’ici donné sans retenue jusqu’à leur vie pour leur roi ! A-t-il été mis au courant pour notre plan ? Aurait-il donc projeté de massacrer ses propres troupes de peur qu’elles ne se saisissent de ce qui leur revenait mille fois de droit ? Ou bien était-ce le résultat de quelque calcul politique ? L’un n’empêche pas l’autre mais je n’arrive pas à comprendre comment tout cela a pu arriver ? Comment, alors que l’humanité touchait du doigt la liberté, cette dernière s’est transformée en mort et en un asservissement encore plus brutal qu’auparavant ?

Mais ce carnage n’a visiblement pas suffi. Peu après que Stanislas a officiellement reçu la soumission des nobles d’Aartov et d’Isgar, le comte d’Or fit à son tour assassiner les hommes de son armée. La nuit tombée, après avoir éteint toutes les torches, ses vampires et lui massacrèrent scrupuleusement tous les soldats du camp. Rendu aveugles par l’obscurité ces derniers furent incapables de se défendre et périrent par milliers. Ce lamentable évènement est déjà surnommé la « nuit des larmes » par les vampires et, là où je vois une lâcheté sans borne et le pire des crimes tant envers Himka que Valass, les vampires y voient la preuve de leur supériorité, la manifestation de leur suprématie et la raison de la suzeraineté de Stanislas IV. En effet, suite à ce dernier évènement, le duc de Cracvonia ainsi que les barons et comtes qui l’avaient suivi dans sa contestation du roi ont renvoyé leurs armées et ont renouvelé leur vœu d’allégeance envers leur souverain tandis que le duc de Tarmak a promis sa petite fille en mariage à Stanislas.

Ainsi, pendant que les vampires festoient partout, je m’échine pour ma part à parcourir les étendues rocailleuses du nord d’Isgar à la recherche d’éventuels survivants de cette triste nuit. J’en ai pour l’instant retrouvé une vingtaine errant hagards entre les roches et les mauvaises herbes de ce morne pays mais je désespère d’en sauver davantage. Les vampires sont des plus méticuleux lorsqu’il s’agit du massacre d’humains. J’ai donc conduit les malheureux dans mon fief après leur avoir expliqué la trahison de leurs seigneurs. Certains se remettent bien, d’autres demeurent au bord de la folie.

« La nuit des larmes », celle des hommes bien sûr… Ce triste sobriquet a été choisi pour souligner la lâcheté des humains n’ayant prétendument fait que pleurer durant leur exécution. J’aurai bien aimé voir comment auraient réagi des vampires rendus aveugles et pris par surprise. Qu’il m’est difficile de ne pas détester ma race après cela. Pourtant je ne dois en aucun cas tomber dans le travers inverse de mes congénères et me mettre à les haïr. Néanmoins je n’oublierai jamais cette triste nuit et, plus que tout, les hommes vivant ici ne l’oublieront pas ! Générations après générations leur sera enseigné l’histoire de leur race et de ses malheurs avec cette nuit en ultime paroxysme. Que ces larmes de désespoirs se muent en larme de rage et que de ces dernières naisse la conviction qu’il faut en finir avec la soumission d’une race envers l’autre.

La leçon ne sera en tout cas pas oubliée de mon côté : jamais les vampires n’accepteront de plein gré l’égalité avec les hommes. Ils devront donc être forcés. Je doute également qu’un humain passe outre les torts du passé et, plus simplement, ceux qu’il aura vécu. Il serait naïf de ne pas croire qu’il profiterait de la moindre occasion pour se venger. Denis sera la réponse à tout cela ! Je l’élèverai pour qu’il soit l’élu imposant l’amour entre les races. Il faudra qu’à la tête du monde à venir ne règnent que des dhampires qui, par leur métissage, sauront calmer les haines réciproques puis, petit à petit, les changer en amour. L’avenir n’appartient ni aux hommes ni aux vampires mais aux dhampires ! Eux-seuls pourront régner avec bienveillance, équité et amour sur toutes les créatures dotées d’une âme ! Eux-seuls pour dépasser les ressentiments de chaque espèce envers l’autre ! Eux-seuls pourront exaucer le vœu d’Himka et Valass !

Piotyr

La guerre est presque finie. Il semble que les chacals se soient entendus entre eux et que cette parodie de bataille n’ait été qu’une mascarade visant à réunir les conditions de la soumission des nobles d’Aartov et Isgar. Depuis, les vampires arborant l’étendard d’Orania reprennent villes et forteresses tombées aux mains des insurgés humains. La plupart leur ouvre sans se méfier. Les autres subissent un siège en règle qu’ils perdent assez vite faute de préparation.

Pour ma part j’ai changé d’armure et me suis rendu auprès de Bojan, baron de Jalmar et fils ainé du duc de Tarmak. Ce dernier ne connaissait pas mon visage et a accepté de m’offrir l’hospitalité. Il semblait plus que ravi de la félonie de son père et j’eus à peine besoin d’aborder le sujet pour qu’il ne se jette dedans non sans fierté :

« Vous savez, cette bataille de Kachav fut une véritable bénédiction ! La guerre était perdue, mon père et moi nous imaginions déjà dépouillés de tous nos titres. Vous savez ce qu’on dit n’est-ce pas ? Dans ce monde le vampire commence au baron. Alors se voir ainsi ravalé au rang de simple seigneur était pour nous hors de question. Mon père a bien essayé de faire entendre raison aux seigneurs présents lors du congrès d’Imopor mais la reine d’Isgar et quelques fanatiques de Valass refusaient d’entendre raison. Pire, ils ralliaient des nobles à leur cause ! Si on n’affichait pas un front uni jamais Stanislas IV n’aurait négocié avec nous. Ce déchirement a failli nous être fatal. On est allé jusqu’à perdre le fief familial ; Tarmak, tombé entre les mains de simples humains ! Imaginez le déshonneur que ce fut. Ma propre mère a bien failli y rester ! On pensait avoir touché le front du trou mais, par miracle, Stanislas IV nous envoya une missive qui nous permettait de tout sauver à peu de frais. J’en ai une copie si vous voulez ! »

C’était plus que ce que j’espérais. Pendant un instant je me demandais même comment pareil vampire pouvait être fils de duc mais après tout, en dehors de son arrogance mal placée, il n’y avait plus rien à compromettre dans le stratagème du tyran. Vu la popularité de cet arrangement posséder une telle lettre et prétendre qu’on avait pris quelque part au processus de paix pouvaient même vous apporter les faveurs de bien des nobles.

Je dépliai donc le rouleau qui me fu tendu et me mis à lire :

« Messire duc de Tarmak,

Je connais votre position et l’état de vos forces. Je suis également au courant des déchirements qui minent vos négociations actuelles. Croyez-bien que je suis votre allié dans ce congrès. En ce moment même villes et forteresses tombent sous le joug humain et il me semble que votre propre fief ne soit pas épargné. Je suis d’ailleurs fort rassuré de savoir votre famille et votre cour en lieu sûr. La perte d’un seul vampire m’est, soyez-en sûr, insupportable, d’autant plus lorsqu’il s’agit de grands seigneurs au lignage immémorial comme le vôtre. Aussi je vous propose ici les termes d’un arrêt des combats et d’une paix honorable et profitable à chacun.

En premier lieu j’exigerai de vous vôtre soumission et la reconnaissance de votre part de mon titre de roi d’Aartov, d’Isgar et d’Orania ainsi que ma suzeraineté à votre égard. En échange je vous maintiendrai, vous et les vôtres, dans vos titres et privilèges.

Dans un second temps je tiens à ce que les prêtres de Valass, qui ont une forte influence dans vos pays et qui me sont grandement hostiles, soient exécutés ou tout du moins les plus influents d’entre eux. Je ne tiens pas à finir comme mon père et, si j’ai désormais confiance en mon clergé, le vôtre ne m’inspire que doute et réprobation. Pour le bien de la couronne il faut que les prêtres se soumettent au pouvoir temporel et que les récalcitrants soient éliminés.

Il sera également urgent de régler la question humaine ! Je ne tiens pas plus que vous à laisser les vampires à la merci d’hommes expérimentés, entrainés et bien armés. Il sera donc hautement prioritaire d’exécuter les éléments les plus compétents de nos deux armées !

Enfin, en quatrième point, afin de sceller cette alliance, je vous propose d’épouser votre petite fille Elena, perle d’Aartov si l’on en croit les poètes. Seront ainsi liées à la famille royale la noblesse d’Isgar grâce au mariage de ma sœur et celle d’Aartov par l’union entre nos deux maisons.

Voilà pour les principaux sujets et voici ce que je vous propose pour que chacun d’eux se réalise dans les meilleures conditions possibles, avec la perpétuelle certitude que chacun des partis aura intérêt à suivre le processus prévu à l’avance. Il faudra d’abord que vous prétendiez rejoindre le parti de la lutte. Prenez pour cela prétexte des révoltes humaines en cours. Une fois ceci fait regroupez vos forces au sud contre mon armée. Nous ferons ensuite en sorte de nous rencontrer pour une prétendue bataille décisive. Naturellement vous pourrez choisir de livrer cette bataille sérieusement mais je doute de vos chances de succès. Je vous propose donc plutôt ceci : nous laisserons nos fantassins respectifs mutuellement s’affaiblir. Lorsque ma ligne commencera à l’emporter grâce à son entrainement, vous tuerez la reine Ina, âme de la résistance à mon égard, ainsi que ses plus fidèles suivants, prêtres ou chevaliers. La surprise et votre surnombre grâce à l’apport de vos nombreux vassaux vous assureront le succès. En même temps ou après avoir réglé cette question, selon votre arbitrage, vous chargerez avec vos nobles vos propres humains.

Je n’aurai ici nul intérêt à profiter de votre faiblesse pour vous détruire. En effet je ne gagnerai alors qu’un pays ingouvernable, probablement en guerre civile et en rébellion ouverte contre moi. Sans compter que je ne pourrai dès lors pas me séparer de mon armée qui devra être employée à rétablir l’ordre renforçant de ce fait encore la méfiance qu’éprouvent de nombreux vampires à mon égard. Cela pourrait même provoquer une révolte de certains seigneurs dans mon propre pays.

J’aurai donc tout à gagner à, à mon tour, charger ma propre armée afin de la détruire. Les pertes déjà engendrées, la fatigue d’une journée de combat et la surprise nous garantirons une victoire facile. Vous pourrez alors formellement me prêter allégeance sur le cadavre des prêtres et des hommes. En cas de trahison de votre part à ce moment n’oubliez pas que j’aurai encore une pleine armée au nord sous les ordres du comte d’Or, bien plus entrainée que celle du sud qui plus est !

Lorsque ceci sera fait, que j’aurai la certitude de la soumission des royaumes d’Isgar et d’Aartov j’ordonnerai l’exécution de ma seconde armée dont les humains, naturellement, n’auront été mis au courant de rien. La surprise et les ténèbres de la nuit seront donc l’assurance d’une nouvelle victoire. Là encore ne pensez pas à me trahir car devant l’exécution de mes soldats les ducs de Cracvonia et ses complices deviendront sans doute d’un coup mes plus fidèles soutiens et seront prêts à faire marcher l’armée qu’ils auront réunies contre vous.

Ainsi le point d’orgue du processus de paix sera atteint lors mon mariage avec votre petite fille dans la cathédrale de Valassmar ! Je ne doute pas que vous répondiez positivement à cette missive et ce quelles que soient vos attentions. Les faits me diront si vous acceptez ou non. N’oubliez pas qu’à la moindre trahison de votre part j’aurai les moyens de vous détruire, vous et votre famille et que je le ferai sans hésiter, bien qu’à regret. Je vous laisse mettre dans la confidence les seigneurs dont l’accord vous paraîtra assuré. Si jamais le secret venait à être éventé trop tôt cet arrangement sera naturellement annulé et la guerre reprendra comme elle le devrait avec le dénouement que nous imaginons tous les deux. Je vous conseille donc de mettre au courant les gens concernés au plus tard.

En espérant que vous aillez la sagesse d’accepter et dans l’espoir que notre prochaine rencontre se fasse en tant que suzerain et vassal et non en tant qu’ennemis.

Stanislas IV, comte d’Urnia, Grand-duc de Sussmar, d’Aartovmar et de Valassmar et roi d’Isgar, d’Aartov et d’Orania. »

Voilà donc le contenu de la lettre qui signa l’arrêt de mort d’Ina et des espoirs de résistance au tyran. Voilà donc ce qui fit que les vampires troquèrent leur âme pour des titres et qui remplaça la guerre par la trahison et le meurtre. Que tous ceux qui ont pris part à cette duperie et au meurtre de prêtres qui s’en est suivi brûlent en enfer ! Que tous ceux qui s’en sont réjoui soient damnés ! Plus que tout, que le duc de Tarmak, meurtrier d’Ina et plus grand complice du tyran, se voit, avec ce dernier, réservé la pire des places de l’au-delà et puissent-ils être à jamais torturés par Valass en personne.

Je dus, en plus de cette révélation, subir les vantardises de Bojan qui se réjouissait de voir sa fille devenir reine. Il ne cessait de me répéter qu’il était attendu à Valassmar pour la cérémonie et qu’il devrait partir dans trois nuits. Il ne s’en vanta qu’une.

En effet de mon côté je commençai à garnir les enfers de tous ces traîtres à leur Dieu en pourfendant mon hôte dans son sommeil avant de m’enfuir. Hélas sa fille n’était pas là. Me voilà donc encore davantage recherché. Je ne sais pas combien de ces apostas je parviendrai à occire mais je n’aurai de cesse de les traquer et de les tuer. Jamais je ne cesserai et si je dois demeurer le dernier fidèle de Valass en ce monde, je serai celui-ci !

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