rencontre avec un chauve

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 J’ai toujours eu du mal à décrire quelqu’un. Je ne suis toujours pas sûre de la couleur des yeux de mon amie d’enfance et je suis incapable de donner une description détaillée de mes propres enfants. Il m’arrive même de ne pas reconnaitre des personnes que je connais quand je les croise dans la rue, tant le physique des gens m’importe peu (anecdote véridique : il m’a fallu plus de dix secondes pour reconnaitre ma propre sœur sur la Grande Place de Lille).

 Je me fais l’effet d’un extra-terrestre qui devrait différencier deux humains : « Ben je sais pas, Fixihion, ils ont deux jambes, deux bras avec dix autres mini-bras au bout, une seule tête et ils sont plutôt souples. La couleur des cheveux ? J’en ai aucune idée ! pour moi il n’y a rien qui ressemble plus à un humain qu’un autre humain, je suis ébahi que tu arrives à reconnaitre les mâles des femelles ! » Bref, vous voyez l’idée.

 Ce matin, j’ai commencé un nouveau boulot. Beaucoup trop de nouvelles têtes à mémoriser. La boîte avait pas mal recruté et nous sommes une petite dizaine de nouveaux. Bien évidemment, nous n’avons pas échapper à la sempiternelle journée d’intégration et au traditionnel tour de table.

 J’ai toujours été attirée par les bizarres, les atypiques, les marginaux. Les mecs chelous, ceux dont tout le monde sait au premier coup d'œil qu'il faut s'en méfier. Pas moi. Je me fiche royalement de ce dont ils ont l’air, mais dès qu’un homme sort de l’ordinaire il me tape dans l’œil. Alors quand il est arrivé en bermuda et chaussures déglinguées, transpirant, avec son casque de vélo sous le bras et son air perdu, oscillant entre le punk à chien et le roots à pétards, j’ai été séduite.

 Il est grand. En tout cas, assez pour que ce soit significatif, et il est chauve. C’est le deuxième chauve qui me tape dans l’œil ce mois-ci, alors que vraiment, un crâne sans cheveux dessus, ça me désarçonne : à quoi on s’accroche ? La main glisse sur une surface désespérément lisse ? Il y a une telle sensualité à passer ses doigts dans des cheveux et à s’y agripper qui fait que les chauves m’ont toujours laissée sceptique. Et puis des lunettes sur ce crâne désert ? C’est d’un étrange… mais il y a des choses qu’on ne commande pas, et malgré cette absence totale de prise capillaire, je dois admettre, le personnage m’a tout de suite plu.

 Je regarde peu les gens, encore moins dans les yeux, c’est très flippant. En plus, il parait que je ne sais pas mentir alors si c’était pour qu’il remarque mon attirance, je préférais me faire discrète. (Spoiler : raté.)

 C’était sans compter sa prise de parole. Sans déconner, il pourrait raconter n’importe quoi que cela me serait complètement égale, je n’ai strictement rien écouté des mots qu’il a prononcé. Sa voix est passée à travers moi et a vibré dans mon corps. Une caresse de l’intérieur. Un massage des zones sensibles de mon cerveau. Un embrasement de mon imaginaire. Son timbre venait se poser sur mes oreilles, sur mon cou, sur ma bouche. Ça m’enveloppait complètement et chaque son qu’il prononçait poussait ses caresses plus loin. J’étais tellement surprise que j’ai levé les yeux vers lui sans pouvoir cacher l’émoi qui s’étalait sur mon visage. Mon geste était si brutal qu’il a tourné le regard dans ma direction. Il était aussi posé et détendu que j’étais fébrile et désordonnée. Comment il fait pour me sourire en parlant ? c’est quand même incroyable de savoir faire ça. Est-ce que les autres l’ont remarqué ?

Est-ce qu’il entend mes pensées ? Est-ce qu’il entend mes yeux lui dire que je le désire ?

J’ai rêvé ce clin d’œil ou quoi ?

 Une petite demi-heure plus tard, on travaillait en groupe et par un incroyable concours de circonstance que j’avais soigneusement mis en place, je me suis retrouvée à côté de lui. Parle-moi, démon infernal, dis-moi quelque chose. J’acceptais volontiers de passer pour une idiote en posant des questions stupides. Parle mon petit, parle encore. Parle-moi. Parle tout bas. Dis-moi des mots à l’oreille. Son chuchotement est encore plus vibrant.

 Il m’a demandé si j’avais froid.

 Froid ? non pourquoi ? Merde, j’ai la chair de poule. J’ai enfilé ma veste alors que j’étais brûlante et j’ai discrètement tenté de respirer profondément.

 J’ai passé une heure à côté de lui et je suis incapable de vous parler d’autre chose que de sa taille, de son crâne et de sa putain de désirabilité. Typiquement le genre de mec qui me ferait faire n’importe quoi. J’imagine ses grandes mains un peu rugueuses me caresser les hanches et son souffle contre mon cou. Tant pis pour son crâne, j’ai assez de cheveux pour deux, c’est dans ma crinière que ses mains s’emmêleront. Je me contenterai de m’agripper à sa nuque et de passer mes jambes autours de sa taille.

Vers onze heures, enfin, pause-café. Putain, il n’est même pas midi et je suis déjà bouillonnante. Je ne tiendrai jamais la journée ! Je suis sortie dans l’air frais, non pas fumer, j’ai arrêté il y a des années. Mais bon dieu, j’ai besoin de me rafraîchir l’esprit ! Malheureusement, il est sorti aussi. Pourtant il ne fume pas non plus, j’aurais repéré l’odeur. Il s’est étiré de toute sa longueur (mais ce mec est gigantesque en fait !) et sa chemise s’est légèrement soulevée. Un ventre ferme (merci le vélo), une mince ligne de poils partant du nombril qui disparaît sous son caleçon et son regard qui surprend le mien. Il ne m’en fallait pas plus pour que ce mec devienne mon obsession du moment. Pourtant il m’a achevé avec un dernier geste. En se penchant pour reprendre son sac besace rapiécé, il a tendu le bras et sa main a effleuré ma cuisse. A travers mon jean, je sens encore la douceur de ses doigts. Il a pris un air sincèrement désolé et s’est excusé dans un sourire du genre "je n'en pense pas moins" avant de retourner à l’intérieur. OK. Les jeux sont ouverts, que la partie commence.

 Mais pour ça, il faut que je sois capable de le reconnaître demain parmi les cent-soixante-quinze personnes de l’open-space !

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