- 27 mars 2020 (La lumière du monde)

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Le premier ministre Édouard Philippe a annoncé le renouvellement du confinement en France pour une durée de 15 jours, jusqu’au mercredi 15 avril. Il a aussi indiqué qu’il pourrait être de nouveau prolongé à l’issue de cette échéance.

Elle : « On n’a pas vu le facteur depuis dix jours, c’est à cause du confinement ?

Moi : — Non, ce n’est pas ça.

Elle : — Tu crois qu’il a rendu son dernier colis ?

Moi : — Tu vas tout de suite arrêter avec ça. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas quelqu’un pendant quelques jours que cette personne est décédée. Avec moi, ça va, on se connaît, tu peux tout me dire, mais faut éviter de tenir ce genre de propos en ce moment. Tu vas faire flipper les gens.

Elle : — Je n’ai pas un si grand public que ça, tu sais. Il est pas mort, alors ?

Moi : — Le facteur ? Probablement non. Il y a eu un cas de COVID-19 à la poste centrale de Marcq, et donc la distribution du courrier a été suspendue.

Elle : — Ah zut, déjà que le temps est long, mais en plus si certains n’ont pas leur courrier… Tu peux me dire pourquoi on est toujours là, nous ? On pouvait vraiment pas se confiner à la campagne ?

Moi : — Ah bon, tu tiens à te mettre au vert, toi, maintenant ?

Elle : — Pas particulièrement, je comprends juste pas pourquoi t’es pas allée quelque part comme beaucoup de gens ici.

Moi : — Mes parents n’ont pas Internet et il y avait personne d’autre chez qui squatter.

Elle : — C’est bien l’idée que je me faisais de la campagne : c’est vraiment pas moderne. Et tu manques de relations. Donc tu es restée pour le Net. C’est ce qui t’occupe ?

Moi : — Oui, pour l’essentiel. J’ai encore pas mal de cours à assurer, avec leur lot de bizarreries…

Elle : — Ah bon ? Comme quoi ?

Moi : — Par exemple, l’une des entreprises où se trouvent cinq de mes stagiaires impose des visioconférences sans images à ses employés.

Elle : — Intéressant, comme concept. Et ils ont pensé à faire du téléphone sans audio, dans cette boîte ?

Moi : — Je leur soumettrai l’idée à l’occasion.

Elle : — Sinon, qu’est-ce tu fais en dehors de tes cours ? Tu mates des films ?

Moi : — Ben figure-toi que je n’ai pas encore eu le temps d’en regarder depuis le début du confinement.

Elle : — Mais qu’est-ce que tu fabriques ??? T’as pourtant plein de temps libre !

Moi : — Pas tant que ça. Pour commencer, j’écris plusieurs pages tous les jours. Je les poste sur Facebook, nos échanges.

Elle : — Oh ?! Je vais devenir une star des réseaux sociaux ?! Wunderbar!

Moi : — Du calme, Cocotte, je n’ai pas beaucoup de contacts sur Facebook. C’est pas demain qu’on va prendre des selfies avec toi.

Elle : — Et voilà, un espoir aussitôt déçu… Tu me laisses même pas le temps de rêver. (Un silence) Ah au fait, ne m’appelle plus p’tite Maguette ou Cocotte. Je veux pas avoir l’air con auprès d’Ursula. À partir de maintenant, ce sera Marie-Apolline.

Moi : — Marie-Apolline ?!

Elle : — Je trouve ça joli…

Moi : — Mmm, ça sonne très pensionnat versaillais. Marie-Apolline… On dirait que Marcq-en-Barœul a déteint sur toi…

Elle : — Sur ma carrosserie métallisée ?

Moi (soupire) : — Sinon, pour en revenir à la question des films, ceux que j’ai enregistrés au cours des dernières semaines ne m’inspirent pas pour le moment. C’est pour ça que je me précipite pas sur eux. J’ai par exemple en stock Cris et chuchotements de Bergman, enregistré il y a environ un mois…

Elle : — Ça raconte quoi ?

Moi (tapotant sur mon smartphone) : — Attends, je te lis le pitch : “À la fin du XIXe siècle, Agnès se meurt d’un cancer de l’utérus dans le manoir familial entouré d’un immense parc au bord d’un lac. Ses deux sœurs sont venues l’assister dans ses derniers jours, mais seule la chambrière Anna – qui des années avant a perdu sa petite fille – parvient à l’aider et à l’aimer. Karin, l’aînée, froide, impatiente et phobique, est mariée à un homme rigide qu’elle n’aime pas. Elle va même jusqu’à se mutiler pour éviter tout rapport sexuel…”

Elle : — Un rapport ? Comme les vitesses ?

Moi : — Non, pas ce genre de rapport.

Elle : — Ah, parce que moi, en troisième, j’ai tendance à baisser un peu en régime.

Moi : — On ne parle pas du même moteur.

Elle : — En effet, ça a l'air moyennement youpi, ton Bergman.

Moi : — Je l’ai vu une première fois il y a longtemps, et c’était déjà aussi gai qu’un percepteur sous Lexomil.

Elle : — Pourquoi t’as l’intention de te l’infliger une seconde fois ?

Moi : — Parce que la première fois, je n’avais pas tout bien suivi.

Elle : — M’est avis que c’est le genre de film qui prouve que finalement, t’as du bol de pas avoir de coloc pour le confinement. Regarde comment ça pourrait tourner.

Moi : — Oui, merci Bergman, coach de vie par la douleur…

Elle : — T’as rien d’autre en réserve ?

Moi : — Si. Les SS frappent la nuit. (Lisant sur mon smartphone) “Grand succès lors de sa sortie en 1957, ce film de Robert Siodmak dépeint le jusqu’au-boutisme criminel d’un régime nazi au bord de l’effondrement.”

Elle : — Bravo, gaieté et bonne humeur à tous les étages !

Moi : — J’ai aussi en réserve The intruder, un film en noir et blanc sur la haine raciale dans une petite ville américaine, dans les années 60.

Elle : — Je comprends que t’es pas trop pressée de te plonger dans ce bain de franche rigolade. Où c’est que tu vas pêcher tout ça ?

Moi : — Sur Arte. C’est une chaîne de télé culturelle franco-allemande.

Elle : — Ach so, ich habe verstanden. Après, on va s’étonner que les Allemands boivent des litres de bière ! Il faut bien ça pour leur donner un peu de joie !

Moi : — Chut, malheureuse ! Tu ne crois pas que ça va gêner… ?

Elle : — Das Auto à côté ? Pfff, non. D’abord, elle capte pas un mot de français. Ensuite, elle comprend pas l’humour non plus. Sont bas de plafond, les Allemands.

Moi : — T’as peut-être raison. Je me souviens d’un assistant allemand quand j’étais moi-même assistante de langues aux États-Unis. Un véritable éteignoir, celui-là. Et avec ça je te raconte même pas la qualité de leur pain !

Elle : — Tu l’as dit, on n’a pas fini d’être les meilleurs !

L’autre : — Peut-être, mais j’ai une architecture transaxale, moi. Tout le monde ne peut pas en dire autant.

Elle et moi : — QUI A PARLE ???

L’autre : — Vous ne pensez tout de même pas qu’après quelque quarante ans en France, je n’ai pas eu le temps d’apprendre votre idiome ? »

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