- 6 avril 2020 (Adam et Ève)

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Erreurs, déni, confusion : la pandémie a vite fait des ravages aux États-Unis.


Moi : « Bonjour ! Vous avez vu, il pleut !

L’autre : — Ben ça, pour ne pas le voir…

Elle : — On est tout le temps à poil, donc dès que ça tombe du ciel – pluie, crottes de pigeon, ou sauterelles –, on est en première ligne. Tiens d’ailleurs, pourquoi on dit “il pleut” ? C’est qui, il ?

Moi : — C’est personne, c’est le pronom neutre en français. Pourquoi une telle question ?

Elle : — Tu te souviens qu’il y a deux jours, je me posais déjà des questions sur le genre des mots. Pour parler des voitures, ça croule de mots féminins. Mais je m’aperçois qu’en fait, il y a plein d’absurdités ailleurs, comme : “il pleut”. C’est pas masculin ?

Moi : — En français, comme dans toutes les langues romanes, le masculin et le neutre se sont confondus.

Elle : — Heu ?

L’autre : — N’essaie pas trop de comprendre. Tout ce qui nous tombe dessus pour nous pourrir la vie – averses, grêle, neige, fientes, etc. –, cela se dit au féminin en français. Ce qui en dit long sur une langue façonnée par des grammairiens mâles. En allemand, ces mots-là sont tous masculins, bien sûr. Sans doute parce que nous savons d’où vient vraiment le mal.

Moi : — Sauf qu’une langue est le résultat de siècles et de siècles de pratique entre hommes et femmes, et n’est jamais la création d’une poignée de grammairiens ! J’ai comme dans l’idée que vous avez quelques préjugés contre les hommes, ou me trompé-je ?…

Elle : — Je te rappelle la théorie que tu nous as sortie sur les virus et ton voisin…

L’autre : — On avait plutôt l’impression que c’était vous qui…

Moi : — Moi ? Si j’ai quelque chose contre ces phallocrates autocentrés, suppôts du pouvoir absolu et du machisme qui pisse debout ?… Mais pas du tout ! Allons !

L’autre : — Mmm, c’est de l’ironie ?

Elle : — Grammairiens ou pas, faudrait peut-être inventer quelque chose de plus juste pour parler du temps qu’il fait, de nous, objets féminins, et de toutes les minorités…

Moi : — Figure-toi, Choupipolline, que ça existe déjà dans notre langue. C’est le style inclusif, censé être plus respectueux de la veuve et de l’orphelin.

Elle : — Ah bon ? Et concrètement, ça ressemble à quoi ?

Moi : — Eh bien, pour parler de toi qui es agenre, j’utiliserais de préférence le pronom personnel iel pour la troisième personne du singulier. Par exemple, “iel regarde le ciel (ou l’herbe) à longueur de temps.”

Elle : — Tu peux me tutoyer, tu sais.

Moi : — C’est juste un exemple. Je pourrais dire “Taon voisin-voisine est très agréable.” Tu vois, j’ai pris un adjectif épicène : ça s’emploie aussi bien au masculin qu’au féminin et ça évite les embrouilles.

Elle : — Wouah… Alors là, on enfonce méchamment les Allemands.

Moi : — Les Allemandes et les Allemands, tu veux dire.

L’autre : — Ah mais pardon, on pratique ce genre de sport aussi en Allemagne. On parle des Bürgerinnen und Bürger depuis longtemps. Il est également recommandé d’employer administrativement Elternteil, membre de la parentèle, préférable à Vater et Mutter.

Moi : — Maintenant que j’y pense, je me demande si de Gaulle, avec son Françaises, Français, n’était pas un précurseur du style inclusif.

Elle : — Un défenseur de la cause des femmes, j’imagine ?

Moi : — Plutôt quelqu’un qui avait le sens de la formule. La langue française est devenue comme les chiottes : on y sépare les filles et les garçons. C’est en principe pour qu’il y ait plus de tolérance, mais on pratique dans les faits une forme de ségrégation. On s’est battu pour enlever les étiquettes, et voilà qu’on en remet…

L’autre : — On vous sent un peu sarcastique.

Moi : — Pas du tout, voyons ! Que cellui ou ciel qui n’a jamais eu de pensées malhonnêtes me jette li primaire pierre. Je pense même qu’on ne va pas assez loin. Quand on dit Concitoyens, concitoyennes, comme le président Macron souvent ces jours-ci, on met le citoyen avant la citoyenne. Ça ressemble au kamasutra à première vue, mais en fait c’est la position habituelle, celle qui rend le féminin visible en même temps que le masculin mais tout en le mettant derrière et à part.

Elle : — Visuellement, ça donne quoi ?

L’autre : — Ça, c’est la forme polie de l’invisibilisation : faire entrer le féminin… en second et en silence.

Elle : — On te voit, mais t’es pas au bon rang !

Moi : — Mais on peut très bien mettre “concitoyennes” en premier avec un système auquel j’ai réfléchi. Ça complique juste un tout petit peu les phrases, mais avec les signes + et – et quelques points pour épeler, on y arrive. En fait, ce sont de simples opérations mathématiques. Par exemple : concitoyennes – “n.e.s.” + “s”.

Elle et l’autre : — Uuuuh.

Moi : — “Concitoyennes” moins “n.e.s.”, ça donne “concitoyen”, et “concitoyen” plus “s”, ça donne “concitoyens”, voyez. En utilisant cet ingénieux système, on serait toutes – “t.e.s.” + “s” égales – “l.e.s.” + “u.x.” les unes – “e.s.” + “s” aux autres – “s” + “s” et plus heureuses – “s.e.s.” + “x”. Vous suivez ?

Elle et l’autre : — On tâche…

Moi : — Et si je prends une chanson célèbre de Françoise Hardy, ça donne “Toutes – “t.e.s.” + “s” les filles – filles + garçons et les filles de mon âge / Se promènent dans la rue deux par deux.” C’est bien sûr un exemple parmi beaucoup d’autres. La chanson française devient tout de suite plus inclusive, n’est-ce pas ?

L’autre : — Dans le même ordre d’idées, parisiennes – “n.e.s.” + “s” têtes de chiennes – “n.e.s.” + s / parigotes – “e.s.” + “s” têtes de génisses – génisses + veaux. C’est bien ça ?

Moi : — Voilà. Un petit pas pour le féminisme, et un grand pas pour la limpidité de la langue. »

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