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« Moi, je crois encore à mon âge qu’on peut parler de choses désespérantes et qu’il faut avoir le courage de les dire et lui est arrivé à un âge où il en a marre et il préfère que les choses se passent bien et que tout soit beau. »

Patrick Deweare, à propos de ses relations avec Claude Sautet sur le tournage du film Un mauvais fils (1980).

Port de Sevrier (74)

le 17 mars 2008

14:40

Appel entrant : Crozats.

Quelle heure peut-il être à Buenos-Aires ?

Quelle heure peut-il être à Bamako ?

J’y ai laissé une partie de ma famille, mes amis.

Mes frères.

Je ne suis jamais retourné au pays.

Pour quoi faire ?

Vivre dans une plus grande misère qu’ici, enterrer ma mère ?

Stephen insiste, mais je ne décroche pas.

Je préfère écouter le chant des pluies.

De cette pluie qui a repris de plus belle.

Je l’écoute s’échouer bruyamment sur le toit et le pare-brise de mon auto.

Les essuie-glaces, dans leur mouvement hypnotique, tentent bien de la chasser, mais elle revient, toujours.

Dire que parfois, dans mon village, on l’attendait pendant des semaines…

Dire qu’on dansait sous le déluge quand elle avait la bonne idée de se pointer !

Dire qu’on sautait de joie dans les flaques, dans cette eau bénite qui tombait du ciel, qu’on s’amusait à le faire comme le faisaient les enfants…

Maintenant, la pluie ne me fait plus rien.

C’est juste un rideau grisâtre qui ne me procure aucune émotion.

Qu’elle soit là ou pas, ça ne change rien.

Non, ça ne change rien au fait qu’il doit mourir.

Tout à l’heure.

Quand il sera tout seul comme un con, devant moi.

Il ne se demandera même pas pourquoi, il saura.

Werner saura.

Crozats se lassera bien de lui-même, je n’ai pas envie de l’entendre.

J’ai pas envie d’entendre sa voix nasillarde me prodiguer ces conseils que je ne suivrai pas.

Le téléphone continue de sonner.

J’ai posé ton arme à côté de moi, sur le siège passager, et je la regarde.

Je sais que tu aurais voulu le faire toi-même, Solenn, exécuter cette ordure pour qu’elle pourrisse en enfer.

Je sais que t’as essayé.

Je sais que c’est la main de Dieu qui t’en a empêché, ce soir-là.

Mais il n’empêchera pas cela deux fois.

La place de Werner n’est pas parmi les hommes.

J’ai vu, j’ai su le mal qu’il n’a eu de cesse de te faire, à croire que ça a toujours été l’unique but de sa vie : te faire souffrir.

Et je n’ai pas pu, je n’ai pas su le stopper dans cette entreprise, celle qui visait à te détruire.

Stephen était ton ami, Solenn, je le sais.

Le meilleur ami que l’on puisse avoir.

Celui qui se bat pour que tu t’en sortes, celui qui pardonne quand on le trahit.

Celui qui a raison et que je ne veux pas écouter.

L’amour, Solenn, l’amour m’a rendu moins fort que lâche.

J’ai tremblé devant ce monstre qui fut un temps ton mari, j’ai tremblé devant sa haine.

Comme toi tant de fois.

Jusqu’à ce que tu le regardes en face, que tu le défies sur son propre terrain : la politique.

Et j’y ai cru, j’ai vraiment cru que tu allais gagner cette fois-ci, ma belle.

Sauf qu’il avait plus de métier, de prédispositions à manipuler l’opinion que toi.

Tu étais trop entière, trop confiante dans la clairvoyance des gens ; tu pensais que ce qu’il était vraiment finirait par se voir comme le nez au milieu de la figure.

Mais les idéalistes ne gagnent jamais, ma Solenn.

Jamais.

Alors, il t’a battue, t’a écrasée à la déloyale, avec ses semelles de plomb.

Il s’est servi de tout ce qu’il avait bâti contre toi pour te mettre plus bas que terre.

Et il a gagné.

Mais pas ce soir.

Non, ce soir, il ne gagnera pas.

Les larmes que je verse, mon amour, celles qui me brûlent l’épiderme, ne sont pas des larmes de tristesse : c’est ma rage qui déborde.

C’est cette rage que je ne peux plus contenir.

Celle que personne ne peut arrêter.

Pas même Crozats.

Parce que je coupe mon portable, parce que je refuse cette main qu’il me tend.

Parce que je sais jusqu’où il peut aller par amitié.

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