54 : "Mea culpa !"

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« T’avais raison : j’ai été con. J’passe à côté d’ma vie, […] c’est vrai qu’j'écoute rien, j’écoute mal. T’avais raison ! Mais ça va changer, j’aimerais bien qu’tu sois là pour voir… »

Mélanie Laurent à Marie Denarnaud, dans Les adoptés (2011), son premier long métrage en tant que réalisatrice.

Neuilly-sur-Seine, le 15 août 1993

La pluie cogne et ruisselle sur le vasistas. L’été se poursuit sans anicroche, avec cette sérénité qui semble peu à peu me gagner depuis mon retour en grâce.

Paris-Orly, Rome-Fiumincino, Montréal-Mirabelle, Londres-Heathrow, Genève-Cointrin, New-York-Kennedy. Ma main dans celle d’un homme, d’un enfant, aéroport après aéroport. Une bagagerie de luxe, des billets d’avion Air France… Un spot publicitaire pour la célèbre compagnie aérienne tricolore. Image glamour d’Épinal, femme et mère épanouies, celles que je ne suis pas à la ville. Je grimpe à nouveau les marches de mon piédestal public, mais c’est toujours le désert de Gobi dans ma propre existence, je n’ai toujours personne à aimer. Non, je n’ai pas d’homme dans mon lit, et un môme aux abonnés absents. Une situation que j’espère voir évoluer un jour. Paul craint d’ailleurs que je ne parvienne à inverser la tendance. C’est pour ça qu’il a porté plainte… Pour l’heure, il fait le mort au bras de sa blonde dans le Golfe de Saint-Trop’, joue au père exemplaire qu’il n’est pas, mais il ne trompe personne, et surtout pas moi. Il recourt régulièrement aux services d’une nurse, et nul n’en est dupe. Le juge s’en rendra compte. Il se rendra compte qu’en un peu plus d’un an, j’ai beaucoup changé. Je suis devenue sobre, mature, responsable, apte à m’occuper de mon gosse, à être une bonne mère. Je me suis battue pour ça, avec le soutien de Margaux, pour me relever quand j’ai tout perdu : mon fils, mon mec, mon boulot, ma dignité, ma vie…

Sous la grisaille parisienne, j’ai inséré une cassette-vidéo dans mon magnéto. Indochine, un long métrage français en co-production ; une réalisation soignée signée Régis Wargnier et starisant la grande Deneuve. Oscarisé cette année même dans la catégorie « meilleur film étranger ». Stephen a dû enrager en l’apprenant en mars dernier. Riyad aurait dû le précéder. Riyad, long métrage de tous les paradoxes. Celui de notre consécration, celui de notre rupture. A cause de moi, de mon esclandre aux César – qui a malheureusement fait le tour du monde –, l’Oscar nous est passé sous le nez. Et Papi ne me l’a pas pardonné. J’aimerais pouvoir réparer le mal que je lui ai fait par égoïsme, panser sa blessure, revenir en arrière et tout effacer, tout recommencer. Parce qu’il me manque. Son amitié, sa chaleur, notre complicité me manquent. Il est indéniablement l’être qui me manque le plus au quotidien, avec mon père peut-être.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis. Depuis, j’ai remonté la pente, ai regagné les sommets, même si les réalisateurs et autres metteurs en scène me boudent toujours. Je sais que la chute a été dure pour lui aussi, que j’ai foutu près de vingt ans de sa vie en l’air et qu’il peine encore à s’en relever, qu’il n’a même plus ce répondant légendaire quand on l’attaque, quand on attaque son œuvre. Et qu’il m’en veut. Je l’ai poignardé en plein cœur, alors c’est légitime qu’il m’en veuille. Moi, je ne lui en veux pas, ne lui en veux de rien. Je pense même que c’est à moi de faire le premier pas, de lui tendre la main pour qu’on renoue ensemble, qu’on puisse tourner enfin cette douloureuse page ensemble, et en écrire de nouvelles. Je sais qu’il est actuellement en tournage dans la capitale pour son nouveau film. Je sais que c’est l’occasion, peut-être…

Générique final. J’ai fini de regarder Indochine avec un pincement au cœur. La prochaine fois que je regarderai Riyad, ce sera avec toi, Papi. Pour recouvrer ce sentiment de fierté que l’on devrait toujours avoir pour ce qui est sans doute notre chef-d’œuvre, et qui nous fait pourtant, aujourd’hui encore, tellement honte. C’est pour que tu puisses être à nouveau fier de toi, du grand cinéaste que tu es, de ce qu’on a construit tous les deux, que je souhaite aussi ardemment qu’on se retrouve, Stephen. Pour qu’il y ait un après Riyad.

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