70 : "Je ne suis pas que ça…"

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— Qu’est-ce qui a fait sortir le livre du tiroir ?

— J’peux pas très bien l’expliquer, c’est des choses qui arrivent comme une avalanche, comme… Comme un cri.

La journaliste France Roche à Romy Schneider, au cours d’une interview accordée en 1982 pour la sortie du film La passante du Sans-Souci, adaptation cinématographique du roman éponyme de Joseph Kessel, réalisée par Jacques Rouffio.

Maison de la radio

Avenue du Président Kennedy

Paris 16e

septembre 1995

Je ne suis pas que ça… Tout le monde en parle, partout. Chez Chazal, Pivot, Leymergie. Chez Denisot aussi. Tu éclipses toutes les sorties littéraires, cinématographiques, culturelles. Tes interviews s’arrachent. Ils veulent tous savoir pourquoi.

Solenn Avryle, qu’est-ce qui vous a incité à vous dévoiler, à vous mettre autant à nu dans ce livre, cette autobiographie ?

Ça remonte à un peu moins d’un an, quand la presse à scandales a relégué ces rumeurs sur ma prétendue liaison avec le Président de la République François Mitterrand. Ça m’a mise hors de moi parce que c’était un tissu de mensonges, mais en même temps, comment le public pouvait-il faire la différence entre une vraie info et une intox ?

Est-ce un moyen de régler vos comptes avec les médias, tout ce qu’ils ont pu colporter sur vous ?

Quand on embrasse la carrière d’actrice, c’est avant tout le métier qui nous fait rêver. Et c’est pareil pour toutes les professions dites publiques. On n’a pas vraiment conscience de tout ce que ça engendre d’un point de vue privé. Romy Schneider le disait elle-même : « On ne peut espérer tout avoir. Le succès a un prix qu’il faut payer. » Elle avait certes raison, mais ce n’est pas quelque chose auquel on se prépare. Et si je comprends la curiosité des fans – je l’ai moi-même été – j’excuse beaucoup moins la rapacité malsaine de tous ces pseudo-journalistes qui sont prêts à publier n’importe quoi pour faire monter le tirage.

Dans Je ne suis pas que ça…, votre bouquin, vous abordez de vous-même de nombreuses thématiques très personnelles : votre enfance, la complicité que vous aviez avec feu votre père, votre passion pour le cinéma, la naissance de votre vocation d’actrice, le ciment amical qui vous lie notamment au cinéaste Stephen Crozats et au jazzman Harvey Frydman, récemment disparu…

Sans oublier Margaux Rivière, mon amie d’enfance, oui. Elle a beau ne pas faire partie du star-system, son inconditionnel soutien m’est aussi précieux que celui qu’ont pu me témoigner Stephen ou Harvey. Je ne les remercierai jamais assez pour ça, ils font tous trois partie de ces proches à qui je dédie mon livre. A titre posthume pour Harvey, hélas…

Vous le dédiez également à Philippe Garance, la jeune victime de l’attentat d’Avignon. Un drame qui vous a profondément marquée.

Oui… J’ai toujours beaucoup de mal à évoquer cette tragédie survenue en juillet 89, alors que j’allais me produire sur scène, dans une pièce de Robert Hossein. Parce que je me dis sans cesse qu’aucune cause, quelle qu’elle soit, ne légitimera jamais l’atrocité de tels massacres aveugles. Non, aucune cause ne vaudra jamais la vie d’un enfant.

Et aviez-vous conscience, à l’époque, de ce que pouvait inspirer les idéologies que véhiculaient votre ex-mari Paul Werner, de cette haine qu’il pouvait susciter ?

Pas autant qu’aujourd’hui. Je ne m’intéressais pas vraiment à la politique en tant que telle. Et on n’en parlait pas entre nous : c’était un pacte implicite…

Un pacte que vous n’avez pas toujours respecté ?

L’attentat d’Avignon, l’enlèvement de notre fils par un groupuscule d’extrémistes, tout ceci a irrémédiablement fini par me poser question. Mais Paul n’acceptait aucune discussion à ce sujet.

Au point de devenir violent avec vous ?

Je l’ai écrit noir sur blanc, oui. Et je persiste et signe. Vous savez, les médias ont exhibé à mon insu ce que j’appelle « mes dérapages incontrôlés » sans même en rechercher les causes. On épinglait sans vergogne mon alcoolisme, mes pétages de plombs, mais je puis vous assurer que la violence, tant physique que psychologique, de mon ex-mari à mon encontre en est la source principale. Mon addiction n’était qu’un palliatif illusoire, mes excès l’expression nécessaire d’un mal-être grandissant, alimenté par Monsieur Paul Werner lui-même.

Dans la seconde partie de votre ouvrage, l’actuel leader du parti Nation France en prend effectivement pour son grade, démolissant par là-même le mythe du prince charmant. D’ailleurs, le début de la page 95 de votre livre est à ce sujet plus qu’édifiante : « Une demande en mariage n’est pas une preuve d’amour. Si l’homme qui partage votre vie vous demande de lui faire un enfant, ce n’est pas non plus une preuve d’amour. Si un homme vous humilie, vous met plus bas que terre, vous frappe ou vous viole en vous traitant de putain, ce n’est pas de l’amour, c’est de la haine. Et ce même si cet homme est votre époux. » Au vu de ce que vous sous-entendez à travers ces lignes, et de ce que vous détaillez dans les pages qui suivent, pourquoi ne pas avoir mis un terme à ce calvaire plus tôt ? Par peur ?

Non… C’est peut-être ce qui retient d’autres femmes dans cette spirale infernale, mais pour ma part, mes chaînes avaient d’autres origines, plus lointaines. Parce que ce n’est pas si évident que ça de tirer un trait sur ses rêves d’adolescente, sur une sorte d’idéal, de Graal : celui de réussir pleinement sa vie personnelle et amoureuse. Et c’est également difficile d’accepter l’échec sans prendre en considération sa propre part de responsabilité. Apprendre de ses erreurs nécessite une vraie prise de recul qu’on ne peut avoir sur le moment, tant on a le nez dedans. Mais surtout, ce qu’il faut bien comprendre, c’est que j’ai été élevée à la sauce Disney, contes de fée et compagnie, comme toute petite fille bourgeoise qui se respecte. Avec une certaine idée du mariage aussi, ce lien qu’on m’a vendu comme étant indéfectible et éternel. C’est dans cet esprit que je me suis battue pour le maintenir à flot quand le nôtre commençait à prendre l’eau, à faire naufrage. Je suis restée jusqu’au bout en courbant l’échine, persuadée que l’amour pouvait triompher d’absolument tout, que chaque couple connaissait de telles crises, de tels passages à vide. Qu’il n’y avait rien d’anormal ou d’extraordinaire dans tout ça. Sauf que c’était un leurre… Je le réalise aujourd’hui, mais je n’aurais jamais dû autant me voiler la face, j’aurais dû réagir plus tôt. Et j’encourage chaque femme qui traverse la même épreuve à ne rien excuser, à ne pas se laisser faire, et ce dès la première gifle. Parce que c’est impardonnable, parce qu’il y en aura forcément une seconde, une troisième. Parce que sans ça, ça ne s’arrêtera pas, ça ira même crescendo, jusqu’à un point de non-retour…

Tu t’épanches, tu t’épanches beaucoup trop, beaucoup plus que nécessaire, et c’est ce qui va allumer la mèche d’un nouveau bras de fer avec ton ex. Plus encore que dans ta confession littéraire, tu balances tout dans ce micro, tout ce que tu n’as jamais osé dire, te fais porte-parole de ces femmes victimes de ces inqualifiables violences perpétrées par leur conjoint. Et ça va faire un boucan d’enfer. Un bruit assourdissant, à en faire trembler tous les murs. On va t’admirer pour ça, pardonner tous tes écarts au nom de ce que Werner t’a fait endurer toutes ces années. Le succès public de ton livre le confirmera, la courbe de ses ventes atteignant même des sommets jusqu’alors inconnus de la petite maison d’édition provinciale que tu as choisie pour sa modeste envergure, de façon à ce qu’aucune correction éditoriale ne dénature ton intention première d’auteure. D’interview en interview, tu t’emballes, grisée par l’euphorie médiatique que provoquent tes confidences conjugales. On ne retient que ça, reléguant au second plan tes nouvelles aspirations cinématographiques : celles de traverser le miroir et de passer derrière la caméra pour devenir l’égal de Stephen, ton Pygmalion. Non, on préfère souffler sur les braises du feu dévastateur qui couve et encourager la pyromane qui brûlera, tel Icare, ses propres ailes sans le vouloir. Le vent médiatique tourne et se détourne de sa première source pour s’intéresser de près à celui qu’on incrimine de tous tes maux, celui qui ne tardera pas à s’emparer de son lapidaire droit de réponse : ce connard de Paul Werner.

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