Les Français sont nuls en langues

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Une légende dit que les Français sont nuls en langues. Une belle réputation, qui fait même l’objet d’une blague : « personne parlant plusieurs langues : polyglotte ; personne parlant deux langues : bilingue ; personne parlant une seule langue : Français ». Quand on voit le niveau général en classe, à la télévision où, pire, c’est un objet de dérision récurrent, ou bien les gens qui affirment être « nuls en anglais »… on ne peut qu’y croire, en effet.

Mais ce n’est qu’en partie vrai.

La majorité des Français sont incapables de communiquer avec des non-francophones sans l’aide de traducteurs automatiques. Ça ne veut pas dire qu’ils sont incapables d’apprendre ; seulement qu’ils n’ont pas appris pour diverses raisons.

Premier problème : les Français sont dégoûtés, voire effrayés, par les langues. La faute à une méthode scolaire dépassée, mettant l’accent sur l’écrit et la grammaire plutôt que sur l’oral et la pratique régulière. Le tout en engueulant les élèves qui n’arrivent pas à prononcer « the father » correctement (pour ceux qui ont vu Les quatre cents coups). D’ailleurs, le « niveau scolaire » évoqué par les locuteurs signifie généralement que leur niveau de maîtrise de la langue est très rudimentaire et qu’ils savent tout juste se présenter. Beaucoup de vocabulaire et de grammaire à apprendre par cœur, beaucoup d’écrit, peu d’écoute… et les élèves sont incapables de discuter en anglais – j’en parle parce que c’est la première langue à laquelle on pense généralement – ; à l’inverse, ils parlent bien français sans pour autant en connaître toutes les règles grammaticales (vous aussi, vous avez l’impression de ne plus connaître votre langue quand vous prenez un cours de grammaire ?). Et bien sûr, presque aucun jeu ou autre exercice d’application pour compenser… échec total.

Résultat : non seulement les Français sont persuadés d’être mauvais en langues, mais en plus ils en sont allergiques. Apprendre l’anglais après tout ce temps à essayer d’imprimer par cœur des verbes irréguliers ? Et puis quoi, encore ? Même pas en rêve ! Les langues, plus jamais !

C’est un peu comme les mathématiques, en fait. Je suis mathophobe, disons-le clairement (c’est pour ça que je parle des maths ; ça aurait pu être l’histoire-géo ou le français, le système scolaire en général est mauvais). Ça, c’est parce qu’on inculque les maths par le par cœur et qu’on est souvent intransigeant avec les élèves. Vous devez apprendre les cours, et c’est tout. Vous n’y pigez que dalle ? C’est votre problème. Et si vous êtes nul, vous passez pour un idiot (le cliché de l’intello premier de la classe est constamment présenté comme un génie des maths capable de résoudre une équation de 10 lignes en cinq minutes, après tout). Alors qu’avec un peu de pratique ludique et de vulgarisation, ce serait beaucoup moins hermétique. En plus d’être mauvais en maths, je les associe à de mauvais souvenirs et expériences par effet comportementaliste (genre d’effet de Pavlov inversé, si vous préférez) qui m’en dégoûtent. C’est pareil pour les langues.

Toutefois, l’anglais se popularise de plus en plus, même auprès de ceux qui disent ne pas en parler un mot. Je vais briser vos certitudes : même les plus incompétents, les plus monolingues d’entre vous connaissent au moins un mot anglais, voire une bonne dizaine. Un exemple plus qu’évident : le mot « weekend ». Quant aux plus instruits, ils en sont à plus de 10. Ils savent se présenter – le minimum –, demander l’identité, dire « oui » et « non », exprimer leur goût ou ressenti (« I like chocolate », « I love you »), dire où ils sont ou vivent (« I live in France »)… Ça couvre largement plus de 10 mots, sans compter les noms de fêtes et célébrations (qui ne connaît pas l’expression « merry Christmas » ou « happy birthday » ?). Et ça suffit largement pour impressionner votre auditoire, au passage.

Et je parle de l’anglais, mais le japonais connaît également un certain essor, surtout parmi les jeunes générations. Merci les mangas et anime japonais. Peut-être connaissez-vous des trucs comme « kawaii (可愛い) », « suki desu (好きです。) », « yamete kudasai (やめてくださいよ) », « konnichiwa (こんいちは) », « nani (何) »… etc ? C’est du japonais. « Mignon », « j’aime », « arrêtez, s’il vous plaît », « bonjour », « quoi ».


Superbe transition pour parler de notre exposition aux langues étrangères. La France est l’un des pays d’Europe qui utilisent le plus le doublage. Films, séries, journaux télévisées, émissions… bon, des fois, on fait un effort et on « superpose » le doublage à la voix originale. On entend les trois premiers mots du locuteur avant que la voix française ne vienne tout couvrir. Autant dire qu’on n’est vraiment pas aidés, entre la méthode scolaire mauvaise et notre manque d’exposition aux langues étrangères…

À l’inverse, les pays d’Europe du Nord et de l’Est, ainsi que le Portugal, ne doublent que les programmes pour enfants et sous-titrent tout le reste. Cela dit, je concède que suivre les actualités avec des sous-titres en mangeant, ça peut vite soûler… Toutefois, si d’autres pays le vivent bien… pourquoi pas nous ?

Au-delà du fait qu’ « on loupe tant de choses en regardant la version doublée » ou que « la puissance émotionnelle n’est souvent pas la même dans la version doublée que dans la version originale », le doublage est une énorme barrière dans notre contact avec les langues étrangères, en plus d’être plus coûteux que les sous-titres. Mais on n’est pas les seuls. L’Espagne et l’Italie, entre autres, font pareil, et on dit que les Italiens sont aussi doués que nous en langues. D’ailleurs, lors de mes voyages, certains Italiens parlaient très peu anglais ; j’étais très content de déjà connaître leur langue, à l’époque !


Un autre point qui pourrait être source du problème : les publicités sur Internet qui vous promettent « d’apprendre une langue en une semaine ». Je vous le dis d’emblée : c’est humainement impossible. Personne n’en est capable.

En une semaine, avec des séances quotidiennes, vous apprenez de quoi vous présenter (prénom, âge, origine, vos langues, vos loisirs, votre situation…), en admettant que vous ayez mémorisé le vocabulaire du premier coup. Vous bafouillez la langue avec un accent des plus français. C’est déjà pas mal, évidemment, mais c’est à des années-lumière de ce que vous promettent les pubs.

Préférez les méthodes partagées plus loin, il n’y a que comme ça que vous avancerez. Si vous êtes assez motivés pour investir financièrement dans du Assimil, Babbel, Mosalingua ou des cours particuliers, faites donc, ça vous regarde. Mais gardez bien en vue qu’il n’y a pas de méthode miracle, sinon ça se saurait et le monde ne serait probablement pas le même.


Tout le monde est capable d’apprendre des langues. On vous fait croire le contraire, volontairement ou non. Et c’est un mythe tenace contre lequel il faut lutter.

Et puis, entre nous, il serait peut-être plus logique de dire que ce sont les anglo-saxons qui sont nuls en langues, dans ce monde dominé par l’anglais, non ? Pourquoi se fatiguer à apprendre des langues quand la vôtre est parlée partout où vous allez ?


D’ailleurs, si vous trouvez l’anglais difficile, une petite suggestion : commencez par l’espéranto, la langue inventée par Zamenhof. Conçue pour être internationale et très accessible, ça réglerait bien des problèmes, comme la barrière de la langue ou l’hégémonie de l’anglais. Comme ça, vous verrez par vous-même que vous n’êtes pas nuls en langues.

Et pour ceux qui pensent que l’espéranto ne sert à rien, est une langue artificielle ou est vouée à l’échec :

→ aucune langue n’est inutile – le dernier chapitre vous en dira plus –, surtout celle-ci, qui vous ouvrira pas mal de portes ;

→ dans le sens ou les langues sont des constructions culturelles établies par les humains, elles sont finalement toutes artificielles – et quand on y pense, ce mot n’a aucun sens ;

→ c’est une langue parlée dans une centaine de pays par quelques millions de locuteurs, dont des natifs (« denaskulo »), répartis en de multiples communautés et possédant sa propre culture (littérature, musique, cinéma…). Aujourd’hui, elle est largement diffusée sur Internet notamment via YouTube ou Wikipédia et est apprise par des milliers de personnes sur Duolingo – 1 million dans la vidéo de Linguisticae sur le sujet. Elle a pourtant subi des jours sombres à cause des guerres et des oppressions politiques qui ont voulu l’éradiquer au cours du siècle dernier, sans succès, et on lui a préféré l’anglais pour des raisons, encore une fois, politiques. Si elle était réellement vouée à l’échec, il est peu probable qu’on la parlerait encore actuellement.

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