Rapports humains

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Alors, pourquoi je ne suis pas tout à fait convaincu que « c’est mieux d’apprendre une langue parce qu’elle est très parlée » ? Si c’est votre critère principal, contentez-vous de l’anglais ou de l’espagnol. Et si vous apprenez les deux, ça vous fait quelques milliards d’interlocuteurs potentiels dans le monde entier. On ne comptera pas l’hindi ou le chinois mandarin qui sont dans le top 5 des langues les plus parlées, surtout pour des raisons démographiques. En termes d’expansion, l’anglais et l’espagnol vous suffiront amplement.

En fait, pour moi, ce n’est pas une bonne motivation. Le chinois est l’une des deux premières langues, est-ce que ça vous donne pour autant envie de l’apprendre ? Il y a fort à parier que si vous aviez à choisir entre l’anglais et le mandarin, le choix est vite fait. Et ne parlons pas de l’arabe, qui est la 3e du classement. Je vous parlais de prendre du plaisir dans votre apprentissage, donc ne privilégiez pas les langues les plus parlées, mais celles qui vous plaisent.

À l’heure où j’écris ces lignes, je parle mieux l’italien que l’espagnol car je préfère la première, or ils ne sont même pas 100 millions dans le monde à parler l’italien. Elle est classée 25e du monde en 2018, loin derrière le japonais ; à titre de comparaison, le turc, 20e mondial, est parlé par 80 millions de personnes… je suppose que vous ne parlez pas le turc. Je ne gagne donc pas vraiment au change. Est-ce important ? Pas pour moi. Que l’italien soit moins parlé que l’espagnol, peu me chaut. Ce qui compte, c’est que l’italien soit parlé. Dans « moins parlé », il y a « parlé ». L’italien n’est pas la langue la plus répandue, mais elle est parlée, par des millions de gens. Il me suffit de croiser une personne italienne pour être content de savoir le parler. Une seule personne.

Ne préférez pas les langues les plus répandues pour ce critère, c’est une fausse motivation. Pour le temps et l’énergie que demande l’apprentissage d’une langue vivante, ça ne vaut vraiment pas le coup d’en assimiler une si elle ne vous plaît pas à la base. Vous n’en tirerez pas de plaisir, ça sera contre-productif, et vous finirez par abandonner. D’autant qu’on pourra en dire ce qu’on veut, on l’a déjà vu, même l’anglais a ses limites. Aussi répandu soit-il, tout le monde ne le parle pas, donc même les langues moins populaires finissent par servir, voire être nécessaires. Ou alors parmi vous se terre une exception qui apprend le mandarin pour ça et qui s’y acharne avec plus ou moins de succès. Tant mieux pour cette personne, mais ce n’est qu’un cas isolé.

Je connais des gens qui apprennent le japonais avec passion, malgré son écrit difficile. Et le japonais n’est que 13e avec moins de 150 millions de locuteurs, agglutinés sur une île. C’est plus que l’italien, mais guère impressionnant à l’échelle mondiale.

Ensuite, dans l’absolu, être bilingue, ça ne sert à rien. Non, ce n’est pas une blague. Lisez la suite avant de vous insurger devant une telle ineptie.

Pourquoi parler couramment une langue est plus que suffisant au quotidien ? Avant de vouloir devenir bilingue dans une langue, demandez-vous dans quel but. Vivre à l’étranger ? Regarder des films et séries, lire des livres de manière autonome (et encore, ce n’est pas l’objectif le plus solide…) ? Votre conjoint(e) est d’origine étrangère et ça vous faciliterait la vie ? C’est plus pratique pour votre travail ou carrière ? C’est nécessaire pour votre avenir ? Dans ce cas, foncez. Si c’est juste pour vous la péter, ça ne vaut pas le détour.

Pour le rappel, être bilingue ne signifie pas « savoir se présenter et demander son chemin dans une langue étrangère », mais bien « parler, lire et écrire deux langues indifféremment, avec le même niveau ». On est entre le niveau courant et le biculturalisme. C’est à peu près le niveau C2 selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, voir sources). En tant que bilingue, vous ne faites presque plus la différence entre votre langue natale et votre langue étrangère qui, d’ailleurs, ne l’est plus. Autant vous dire que si vous voulez devenir bilingues, il va falloir voir plus loin que les applications et Internet. Vous devrez vivre la langue à fond.

Quant à parler couramment, ce n’est pas être bilingue, mais « pouvoir tenir une conversation fluide sur une grande diversité de sujets avec votre interlocuteur et avec une certaine aisance ». Vous n’êtes pas à l’abri de maladresses, d’hésitations, d’oublis, de manque de vocabulaire, n’êtes pas forcément exemptés de lire les sous-titres et pas forcément capables de lire un livre étranger de manière totalement autonome, mais vous savez pratiquer votre langue étrangère au quotidien sans souci. Et ça, dans votre vie, c’est largement suffisant. Si vous êtes capables de comprendre et de vous faire comprendre dans cette langue qui n’est pas la vôtre, la mission est d’ores et déjà accomplie.

Ces deux points maintenant clarifiés, venons-en au fait. La découverte, la connaissance de sa propre langue, l’estime de soi, la reconnaissance, la santé mentale, tout ça… c’est bien beau. Mais l’une des meilleures motivations pour apprendre une langue étrangère réside dans la possibilité de faire des rencontres.

Oui, ça paraît évident, mais l’apprentissage d’une langue vous offre une myriade d’occasions de faire des rencontres de tous horizons, de vous ouvrir au monde qui vous entoure. Ça paraît cucul la praline, dit comme ça, mais c’est vrai. La raison la plus classique donnée par les personnes multilingues est d’ailleurs la suivante : « J’ai appris [telle langue] car ma copine est [telle origine] ». Enfin, « je t’aime » est la phrase internationale par excellence. Vous savez, à coup sûr, dire – sinon comprenez – au moins « I love you », « Ti amo », « Te quiero », ou encore « Ich liebe dich », voire « Ya lyublyu tebya (Я люблю тебя) », « Aishiteimasu (愛しています) » et, en bonus, « Mi amas vin » pour les plus fous furieux. Les jurons mis à part, c’est l’une des premières phrases qu’on apprend dans n’importe quelle langue, avec « merci » ou « bonjour » (essayez, vous serez surpris).

En tant qu’animal social et grégaire, le relationnel est un puissant moteur pour l’être humain, et l’une de ses principales raisons de vivre. Si vous voyez dans une langue un fouillis de mots bizarres et des règles de grammaire alambiquées, j’y vois des humains qui communiquent. Le fait de parler plusieurs langues révolutionnera vos relations et vous fera rencontrer des personnes que vous n’auriez sûrement jamais connues autrement et qui pourraient changer votre vie, personnelle et professionnelle, du tout au tout. Vous connaîtrez peut-être même une personne d’origine allemande, polonaise ou même vietnamienne qui pourrait devenir l’un(e) de vos meilleur(e)s ami(e)s.

Et, qui sait, vous pourriez peut-être vivre une aventure avec l’une d’elles ? Oui, vous me direz, « il y a suffisamment de quoi faire dans son propre pays pour ne pas aller chercher son bonheur ailleurs », mais si une personne anglaise, italienne, iranienne ou japonaise vous plaît au point de ne vouloir la rater à aucun prix, si vous ne parlez que votre langue natale, qui n’est pas la sienne, on fait comment ? D’autant que ça pourrait devenir la plus belle relation de votre vie. Tout peut arriver. À l’heure où les civilisations dépassent les frontières et où le mot « étranger » ne cesse de perdre son sens, c’est une question à ne plus ignorer.

Oubliez l’image stéréotypée du premier de la classe à lunettes qui fait des exercices de langues avec ses feuilles et ses manuels, elle est fausse. J’ai les lunettes, mais pas les manuels. Et je connais des gens avec qui pratiquer mes langues. Des Espagnols m’ont redonné goût à la langue et j’ai ajouté le persan dans ma liste suite à ma rencontre avec une Iranienne. Revendez vos livres de langues, pratiquez et allez rencontrer des gens d’autres horizons.

Et puis, vous connaissez certainement cette phrase de Nelson Mandela : « If you talk to a man in a language he understands, that goes to his head. If you talk to him in his language, that goes to his heart. », « Si vous parlez à un homme dans une langue qu’il connaît, vous parlez à sa tête. Si vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur. »

Il n’y a pas d’activité plus sociale que l’apprentissage des langues.

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