Chapitre 6

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Aujourd’hui

Lilly,

Après s'être promené le long de la corniche, Peter me propose d'aller boire un thé chez lui, avant de me ramener chez moi. Et je ne regrette absolument pas d'avoir accepté : la maison de Peter est immense. J’en tombe amoureuse instantanément. L’entrée, tout en bois, possède une banquette pour s’assoir et mettre ou enlever ses chaussures.

  • Tu veux que … ?

Peter me répond d’un signe de main que c’est bon, pas la peine d'enlever ses chaussures. Pourtant, mon éducation m'oblige à le faire quand même, afin d'éviter de salir quoi que ce soit. Le salon est vitré et donne sur une piscine à la forme d’une tâche d’encre qui s’étale. Entourée de pots en terre contenant des plantes orientales, je suis dépaysée. L’un de ses parents doit être artiste c’est certain. Mais je n’ai jamais compris pourquoi les personnes ayant la chance d’avoir la mer à quelques pas, s’offrait également une piscine. La nature offre déjà ce dont nous avons envie, alors pourquoi préferer plonger sa peau dans des produits chimiques ?

Les murs sont décorés sobrement, chaque objet à sa place et ne donne pas une impression de surcharge. Par ici, un tableau présente une femme de dos, un voile masquant son postérieur, tenant à la main un livre. Sa poitrine tournée fierement vers un champs de lavande. Par là, une statut rappelant un homme dans les rizieres. J’adore cette maison. Je me sentirais presque chez moi. Il fait tellement chaud d’un coup, que j’enlève ma veste et la dépose sur le canapé. Je croise le regard de Peter. Mon coeur se crispe d’une chaude douleur. Dans cette ambiance, mes idées vagabondes dangereusement. J’étais bien plus forte et déterminée sur la plage. Là, où ma tête bloquait les messages envoyés par mon coeur et les signaux émis par un autre organe de mon corps.

  • Je vis ici avec mes deux pères, Lil.

Le regard de Peter reste sur moi. Ses lèvres dansent lorsqu’il parle. Il s’attend surement à ce que je sois sous le choc, que je pose des questions, mais non. C’est la vie. L’amour ne choisi pas, il te foudroie et tu dois vivre avec ça. Peu importe l’avis des autres, peu importe ce que ta famille attend de toi. L’amour te transperce et ce sera uniquement au reste du monde de s’y adapter. Et non l'inverse. Jamais.

Combien de guerres sont à la base nées de l’amour ? Combien de grandes inventions se sont faites sous le regard de l’amour ? Combien de combats se sont menés au nom de l’amour ? Idiots sont ceux qui pensent que l’amour ne fait pas tourner le monde, parce que c’est le cas. C’est ce sentiment qui bouscule nos codes et qui nous ouvrent les yeux sur la réalité. Ne vous mentez pas, il n’y a que quand vous avez aimé quelqu’un, que ses combats deviennent les vôtres. Les causes que nous soutenons sont parce que nous avons vu ce que l’injustices pouvait causer aux gens que nous aimions.

Mes premières et stupides impressions de Peter sont en train de vaciller. La première fois que je l’ai vu, j’ai tout de suite pensé qu’il était un homme à femmes, sûr de lui, le genre d’homme que rien ne peut ébranler, vivant avec ses deux parents mariés depuis 30 ans, s’aimant encore en façade devant les gens, mais se haïssant sous leur propre toit. Pour moi, Peter était l’archétype du fils unique, riche, dont la vie avait toujours été très simple, masquant son manque de confiance par la méchanceté. Mais il n’y a aucune méchanceté chez Peter. Non, il n'y a que de la bonté et de la bienveillance.

  • Tes parents font quoi dans la vie ? J’ai l’impression qu’ils ont beaucoup voyagé ?
  • C'est le cas, mais ils ont arrêté il y a quelques temps. Mon père est tombé malade, il a été opéré afin qu'on lui enleve la partie qui pourrissait son corps. Il est désormais en rémission, mais Daddy, enfin mon autre papa, refuse de lui faire prendre l’avion.
  • Il ne devrait pas le priver de voyages alors qu’il a frôlé la mort…

La vie est tellement courte. Je n’écoutais pas quand j’étais plus jeune et qu’on me disait profite de ta jeunesse car le temps file… « Après il sera trop tard ». J'ai le sentiment d'être déjà dans le "après". Quand on est obligé d'imiter, à 6 ans, la signature de sa mère pour payer les factures, quand on est obligé de mentir pour couvrir les marques laissé par la violence, quand c'est la vie qui a décidé bien trop vite, bien trop tôt ce qu'il me restait à faire, quand on doit éléver sa mère et partir travailler dès ses seize ans, il semble bien qu'à 24 ans la vie est déjà bien entammée. Ne parlons pas du fait d'avoir été violé, d'avoir eu le coeur brisé, d'avoir donné une part de soi à toutes ces personnes qui ont fini par m'abandonner. Il semble qu'il soit trop difficile de m'aimer, moi et mes cicatrices.

La mort te fait parfois juste une piqûre de rappel pour que tu n’oublies pas que le temps est compté. Dire les choses, prendre des risques, avant qu’il ne soit trop tard, est important. Même plus qu'important. C'est nécessaire.

  • Oh, Dad sait, mais il prétexte d’avoir des problèmes de dos ou d’autres choses pour ne pas partir. Je sais que c’est égoïste mais je le rejoins sur ce point. Dad a aperçu une vie sans mon père et il n’y voyait plus les saveurs, le monde avait perdu de sa couleur. Selon lui, c’est mon père qui apporte la lumière au monde, alors il préfère, certes se sacrifier pour un monde plus simple, mais à deux, plutôt que de vivre à deux un court temps.
  • C’est beau… Tu crois en l’amour toi ?

Je continue ma visite du salon qui a lui seul pourrait être un musée. Je touche du bout des doigts le reste des statuts et des tableaux qui ornent le mur.

  • Bien sûr, j’espère un jour avoir la chance de connaître cet amour profond et sincère, que rien n’ébranle.

Je souris. Peter a suivi mon parcours en sens inverse et se retrouve à quelques centimètres de moi. Je sens l’odeur de son parfum, la chaleur de sa peau qui se mélange à la fraîcheur de la mienne. Ses doigts se posent sur mon bras, ils descendent doucement le long, créant une vague de frissons. Ses doigts s’agrippent aux miens. En une seconde, je me sens complète. Je sens ces fils invisibles qui me relis désormais à lui. Nos êtres fusionnent, c'est au delà du physique. Je ressens un lien psychologique qui se crée.

  • Et où sont tes papas ce soir ?

La peur de me retrouver face à eux d’un instant à l’autre a dû se ressentir dans ma voix, car Peter me rassure rapidement. Je ne souhaite pour rien au monde que ce moment s'arrête, brûlante d'envie de le sentir encore plus proche de moi.

  • Ils sont partis en week-end chez ma tante Lynda, et ne rentre pas avant dimanche soir très tard.

J’ai envie de poser plus de questions, d’en savoir plus, mais je suis fascinée par ce salon, et j’ai hâte de voir la suite, alors je me détache de lui à contre coeur pour admirer un grand tableau presentant un homme riant au bord d'une eau turquoise entouré par un parasol, une bouteille de Champagne et une serviette bleu electrique. Seul le bas de la maison est visisble sur cette peinture, laissant entrevoir que cette habitation doit être aussi grande que cette maison. Mais... ! Me focalisant un peu plus sur la toile, je constate que l'eau turquoi ressemble étrangement à la piscine se trouvant à côté de moi.

- Pete, c'est un portrait ?

Il s'avance, profitant de ma question pour me faire sentir à nouveau sa présence.

- C'est Dad quand il avait 32 ans. C'est le cadeau d'anniversaire de Paps. Daddy riait aux éclats. Il venait d'appendre que je débarquais dans leur vie. Paps a pris une photo, puis une fois qu'il a développé la photo - car oui Lil, a une époque pas si lointaine, nous développions encore des photos - il en a fait un tableau.

Il pense que je viens de quelle époque ? J'ai connu ça moi aussi, les appareils jetables qu'on emmenait en sortie scolaire, qui était le plus souvent un portrait d'un doigt ou d'un cadrage foireux, plutôt qu'une belle photo réussie comme celle-ci

  • Tu crois que l’amour est comme un cadeau surprise ? Genre qu’il apparait sans prévenir et que seul ton coeur est dans la confidence ? Comme lorsque tes potes organisent ton anniversaire surprise et qu’ils te trainent partout avant de t’emmener dans le lieu tant attendu ?

Je le sens se tenir derrière moi, son petit doigt aggripe l'un de mes doigts. Je lève la tête vers lui et j’observe son visage s’avancer vers le mien. Il embrasse tendrement ma joue.

  • Je ne sais pas je n’ai jamais eu d’anniversaire surprise, répondis-je
  • Quoi ? Impossible !

Le rire de Peter remplis tout l’espace et chasse tous mes mauvais souvenirs. Cette mélodie efface les bouteilles d’alcool, les abandons, les cartons de cadeaux vides, les rires mesquins et méchants, puis avec le temps, les départs en vacances la veille de mon anniversaire, les messages d’amour d’une journée d’amis qui disparaissaient avant d'avoir le temps d'envoyer un second.

La vie m’a fait apprendre des leçons, mais celle de l’abandon, je n'ai jamais réussi à la comprendre. Quand on mise sur la durée, on fini déçue, mais quand on se consacre aux choses éphémères, on est blessée. Alors j’avoue que je me suis perdue parmi ces moralités.

Le regard de Peter se pose à nouveau sur moi, ses bras encercle mon corps. Durant cette soirée, nous n'avons fait que nous chercher, parler de tout et de rien. Mais le plus important c'est cette communion qui vient de se créer et dont nous sommes tous les deux conscients. Tout redevient sérieux et calme. Aussi calme qu’un moment comme celui-ci peut être. À quel moment Pete a eu le temps de mettre cette musique en fond ? Les battements de son coeur sont si puissants que j’en entends à peine les paroles. Je sens ma peur, qui était resté tapi jusqu'à présent, se reveiller. Son visage descend vers moi. Il va m’embrasser… Ses mains se font plus puissantes autour de mes hanches et je sens son désir tellement dur contre mon ventre.

- Pete, je devrais rentrer… Enfin, il faut que je rentre.

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