Chapitre 10

4 minutes de lecture

Il y a 10 ans,

Lilly

Ma mère arrive avec un gâteau, tout marron, un peu brulé sur le dessus, mais elle sourit. Je crois qu’elle est dans son bon jour. 13 bougies dégoulinent de cire sur le glaçage un peu maladroit. Je ne suis même pas sûre que ce soit elle qui l’ai fait. Lorsque je vais souffler ces bougies, j’aurais 13 ans. Treize. Cela porte malheur d’après les superstitieux. Mais en ce qui me concerne je ne sais pas ce que la vie pourrait me réserver de plus.

Ma mère est tellement enthousiaste qu’elle contamine tout le monde. Je me surprends à imaginer une vie simple : les visages de mes amis qui m’entourent, vieillissent au fil des années, les histoires nous éclaboussent un peu en route, tentant de nous séparer mais nous sommes plus fort que les tempêtes, nous sommes liés par un lien invisible qui unit nos vies envers et contre tout. Alors nous ressasseront en rigolant ces folles histoires bien des semaines plus tard, rendant ces mots tranchants bien plus lisses. Ma mère, souriante malgré le visage meurtri par la vie et ses choix, heureuse de déposer un gâteau devant le visage poupin de mon fils, à qui j’aurais donné le nom de mon père. Moi, si jeune, sereine et simple, habillée en robe longue et volante. Mon mari qui se glisse derrière moi, et m’embrasse la joue, les mains autour de ma taille. Sa barbe me chatouillerait le cou, et je rigolerait d’une rire que seule les gens que la vie a épargné, peuvent chanter.

  • Allez Lil, souffle-les ! Et rappelle-toi, c’est toutes d’un coup sinon ton voeux ne se réalisera pas !

La voix de ma mère me ramène sur Terre.

Je hausse les épaules. Comme si cela allait changer véritablement quelque chose. Chaque année je fais le même souhait, un peu long, un peu niais, mais toujours le même, et il reste enfermé dans le coin de ma tête jusqu’à l’année d’après.

Je souhaiterais que rien ne change, que les personnes qui m’entourent aujourd’hui seront encore là l’année prochaine, que les personnes que j’aime du fond de mon coeur restent en bonne santé encore des dizaines d’années et que si un malheur doit s’abattre, qu’il s’abatte sur moi. J’ai les épaules assez solides pour encaisser.

Les 13 bougies s’éteignent, et ma mère applaudit. Mes amis autour de la table me sourient, et viennent m’embrasser en chantonnant une dernière fois « joyeux anniversaire ». Les boîtes de cadeaux m’attendent, mais je déteste les ouvrir. Un cadeau a toujours été signe de remplacement. Je les échangerais sans aucune hésitation, contre une seconde de plus avec eux.

Je me forte à enregistrer ces souvenirs, d’en faire des photos mentales que je pourrais ressortir lors des journées de pluies.

Clap de fin.

Mes amis sont rentrés, leurs parents sont venus les récupérer tôt, car dans les petites villes comme celles-ci les gens parlent et commèrent entre eux. La terrible histoire que je traine se sait, elle rampe comme une larve visqueuse derrière moi, visible par tout le monde, mais impossible d’y mettre des mots devant moi.

Clap de fin.

Ma mère est dans sa chambre, endormie, sa cigarette presque éteinte dans le cendrier.

Je récupère les verres vides, et comme je l’ai toujours fait, je fais la vaisselle, passe l’aspirateur, range le bazar présent bien avant ma fête et rend cette maison bien plus accueillante et chaleureuse. J’ai trouvé un petit brin d’encens que je fais brûler en terminant de réinstaller les coussins.

Le miroir de l’entrée me renvoie un reflet que je ne veux plus voir. Cette jeune femme coincée dans un corps trop enfantin. Si les gens voyaient ce qu’il y a derrière ces grosses joues, cette poitrine qui veut se developper et ma petite taille, ils n’oseraient plus jamais me traiter de cette façon. S’ils voyaient ce qu’ils se passent entre les quatre murs qu’ont m’a longtemps obligé à nommer « maison », ils n’oseraient plus rire aussi bruyamment devant moi. Me narguant d’un bonheur et d’une époque que je ne récupérerait jamais. Ces cernes sous mes yeux qui trahissent les insomnies à répétition, ces lèvres si droite, inhabituée à sourire et ces longs cheveux qui cachent encore certaines cicatrices.

Une fois la maison étincelante, imprégné de vanille, je m’assoie sur le canapé, un papier et une enveloppe à la main. Sur cette dernière, j’y inscrit une date : 14 septembre 2010.

Clap de fin.

Dans un an, quand j’ouvrirais cette lettre, je serais la fille que j’ai décrite dans ces lignes.

Clap de fin.

Toc toc toc. Je sursaute au bruit de la porte d’entrée. Qui toque encore au porte ?

  • Lilly ?

Toc toc toc. J’ouvre la porte, mon sac de cadeau sur l’épaule. L’homme baisse la tête à mon niveau. Il s’attendait surement à se retrouver face à ma mère. Moi aussi. Nous sommes deux adultes déçus.

  • Lilly Rosbow ? C’est Michael, il est l’heure de te ramener chez toi.

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