Chapitre 15
Anaël se redressa, ses ailes s’écartèrent, il carra la mâchoire, prêt à se battre réellement même s’il n’avait aucun espoir de gagner. Les soumis gagnaient rarement contre les Dominants. Question de forces physiques. Oh les lycanthropes et quelques autres espèces avaient une chance contre des espèces aux physiques moins avantageux. Mais lui, il n’était qu’un angelot et devant lui s’étalait un panel de Dominants venant de peuples variés. Pas un seul ange. Pas un seul nymphe. Que des espèces jugées fortes et dangereuses. Il se battrait malgré tout, car il n’avait pas le moindre autre choix.
L’un des Dominants s’approcha, une saloperie d’homme-serpent, pensa Anaël. Au premier coup d’œil il était incapable d’en deviner l’espèce exacte, mais Anaël avait conscience de leur dangerosité. Il se tendit un peu plus, redressant encore ses ailes. L’homme avança tranquillement, déployant son corps immense sans la moindre crainte. Le soumis, lui, se tourna au fur et à mesure de sa progression pour le garder bien devant lui et bientôt, le stress grimpa en flèche en comprenant qu’il risquait d’être pris en tenaille. Il se rapprocha alors du mur pour lui montrer qu’il ne le laisserait pas passer. Cela tira un immense sourire au Dominant, l’angoissant encore plus.
- Un vrai rebelle alors. Dis-moi bonhomme, tu as conscience que je suis assez rapide pour te saisir quand je le veux, n’est-ce pas ?
Anaël ne répondit pas et recula un peu tout en sachant pertinemment que cela ne servait à rien. Il se souvenait bien du conseil à appliquer dans ce genre de cas, mais il ne pouvait pas le faire. Il y en avait deux, le premier était de se rapprocher d’un Dominant de confiance : il n’y en avait pas ici, même si Maître Arkes était présent. Le second était de s’envoler… Seulement, cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas vu le ciel. Il avait des ailes bien lourdes et encombrantes pour un monde défini par un plafond. Elles lui étaient purement inutiles.
- Rebelle. Pas maté. Pas brisé, mais presque.
Le soumis sursauta à ce qui était une insulte. Une fois qu’un soumis était catalogué comme brisé, il n’avait plus aucun espoir. On le laissait à l’abandon, le plus souvent sans la moindre chance d’atteindre sa zone. Il avait entendu des histoires terribles et savait que la majorité d’entre eux effectuait de basses besognes. L’homme-serpent s’arrêta et se redressa sur son corps de reptile, prenant une taille d’autant plus angoissante.
- Anaël. À genou. Maintenant.
Anaël émit un petit glapissement et recula, sans changer de posture. Le Dominant pencha la tête sur le côté et se remit à sourire tout en redescendant pour être à la même hauteur que les autres.
- Vous avez vu tout ce que vous vouliez ? demanda-t-il aux autres.
Plusieurs acquiescèrent silencieusement, mais l’un d’entre eux fit « non » du visage.
- Encore une chose, murmura-t-il tout en s’approchant.
Au milieu des autres, ce n’était clairement pas le plus impressionnant. Thérianthrope analysa rapidement Anaël. Autrement dit, il avait la compétence de se transformer en animal. Lequel ? Il tenta de le deviner le plus rapidement possible sachant que la moindre information pourrait lui sauver la vie, mais lorsqu’il comprit grâce aux maigres indices que le mâle laissait échapper, il ne parvint qu’à se figer. Cet homme pouvait se transformer en ours.
- J’ai une question Anaël. Est-ce que tu crois que tu pourrais me répondre ?
L’angelot hésita un instant puis acquiesça de la tête en tremblant.
- Tu es promis à Veni Gonay ce qui ne te convient pas visiblement. Et si on te proposait de choisir un Dominant ? Un parmi nous tous. Ce n’est pas une proposition. Simplement un exercice de pensée. Disons que tu aies nos dossiers. Tu aurais le temps de voir nos particularités, nos goûts, nos modes de vie… Est-ce que tu le ferais ? Est-ce que tu pourrais choisir un Dominant ? Tu es bien trop rebelle pour qu’un défenseur des droits t’autorise à sortir des clubs BDSM. Alors, est-ce que tu choisirais l’un de nos dossiers ?
Anaël s’était pétrifié quelque part au milieu du discours. Il n’y avait aucune faille dans ce que ce Dominant avait dit. En effet, c’était ça, l’offre qu’on lui présenterait dans le meilleur des cas. S’il n’était pas prêt à faire ce choix, les Dominants auraient de bonnes raisons d’essayer de le briser. Anaël baissa légèrement les ailes, vaincu.
- Oui…
- D’accord.
L’ours-garou se retourna vers les autres et annonça simplement :
- J’ai pris ma décision.
Ils acquiescèrent, les uns après les autres et sortirent de la pièce. Bientôt, il ne resta plus qu’Arkes qui était resté en retrait du groupe. Ils s’observèrent un instant. L’angelot défait par la simple compréhension qu’il allait devoir accepter de se soumettre ne serait-ce que pour éviter d’empirer la situation de manière dramatique… et le Djinn, froid et sûr de lui qui le regardait évoluer.
- Je suis content de ton comportement, finit par lâcher Arkes. Tu t’es bien comporté. Bravo Anaël.
L’angelot recula en inspirant, clairement anxieux, mais Arkes n’insista pas. Il partit simplement, suivant le reste du groupe et refermant la porte derrière lui. Anaël s’effondra alors, se recroquevillant sur lui-même. Il referma ses ailes autour de ses épaules et lissa lentement ses plumes en essayant de se rassurer et de se calmer lui-même. Ce serait réellement la meilleure chose qui pourrait lui arriver… Mais avoir un Dominant après tout ça, c’était également un cauchemar. Il couina et s’arrêta de bouger, observant son aile qui l’élançait violemment. Il avait encore tellement mal.
De l’autre côté de la porte, les Dominants discutaient tranquillement. Ils étaient tous d’accord. Le soumis qu’ils avaient vu était en mauvais état. Traumatisé sans doute. Terrorisé bien sûr. Mais également dangereux pour le moment. La question n’était pas tant « pourrait-il gagner ? », car à cela la réponse était « non ». Mais combien de dégât ferait-il avant d’être immobilisé ? Et combien de blessures recevrait-il dans le processus ? Anaël était dangereux pour lui-même autant que pour le Dominant qui se verrait visé.
- Même pas une première main… bande de connard, marmonna Artis.
- C’est comme ça… Il faut simplement que l’on rende un verdict, conclut Lead.
Arkes tira une chaise jusqu’à lui et s’assit, attendant qu’ils prennent la parole. Sans surprise, Lead fut le premier à se tourner vers lui.
- J’ai vu un soumis inapte à poursuivre le dressage engagé qui doit impérativement être confié à un dresseur ou un Dominant sélectionné. Son accord est obligatoire pour maximiser les chances qu’il accepte le dressage, sans quoi, c’est voué à l’échec. Voilà mon verdict.
- Merci Lead.
L’homme-serpent acquiesça mollement et alla s’asseoir derrière lui, attendant à présent à son tour les autres verdicts. Ce n’était pas inutilement cérémonieux. Ils s’engageaient à défendre le choix d’intervention d’Arkes, quitte à prendre contact avec le défenseur des droits de leur propre espèce.
- À mon tour, annonça Artis. J’ai vu un soumis pratiquement brisé, en situation d’autodéfense. Il se retranche derrière quelques mesures de sécurité et elles doivent toutes être respectées. Il accepte néanmoins de choisir un Dominant BDSM sur dossier, ce qui implique que nous avons encore une chance de l’aider avant qu’il ne soit irrécupérable. Ne pas la prendre est assassin. Voilà mon verdict.
- Merci Artis.
Artis grogna plus qu’autre chose et vint à leur côté pour s’y asseoir. C’était Lead et lui qui avaient interagi avec l’angelot, les autres n’avaient fait que regarder et ce serait plus difficile pour eux de prendre une décision. Nedac s’avança, les surprenant. Vu que son peuple était concerné, il aurait été légitime qu’il s’abstienne ou attende d’avoir la totalité des verdicts pour trancher. Ce n’était jamais évident de se dresser contre les siens et les sorciers étaient relativement solidaires. Alors ils s’attendaient tous à une mauvaise surprise, même si c’était leur ami et qu’il le resterait.
- J’ai vu un soumis torturé. Je ne reconnais pas le dressage qui a eu lieu. J’estime que ce soumis n’a pas été dressé, mais abimé volontairement. Les Dominants qui ont choisi de telles méthodes que ce soit en sélectionnant le dresseur, en le payant, en l’hébergeant ou en appliquant de telles méthodes ne devraient avoir aucun droit sur lui. Je me désolidarise de ceux qui défendront ces personnes, quel qu’en soit le peuple. Ce soumis doit être repris à zéro. Voilà mon verdict.
- Merci Nedac.
Le sorcier acquiesça doucement et soupira avant de rajouter :
- J’ai eu honte d’être un sorcier en le voyant… Ce n’est pas quelque chose que je défendrais.
- Comme quoi, y a des sorciers bien, le chahuta Lead en riant.
- À moi ! décida Hui tout en s’avançant.
Il lissa ses vêtements et se redressa, dévoilant soudain toute sa dominance. Le regard à demi-clos, il commença.
- J’ai vu un soumis blessé nécessitant des soins incompatibles avec la tenue d’une séance de dressage. Un repos complet devrait être respecté avant d’envisager en retour en séance. De plus, les blessures observées montrent une totale incompétence en la matière, ce qui indique que le dresseur et ceux qui l’ont engagé sont inaptes à la tâche. C’est pourquoi je défends le fait que ce soumis change de milieu et qu’un défenseur des droits angéliques défende ses droits personnels. Voilà mon verdict.
- Merci Hui.
Ils n’étaient plus que deux, mais Miniha s’avança sans aucune forme d’hésitation. Il était classique de faire passer les moins expérimentés à la fin afin de leur offrir du temps de réflexion, mais également un panel d’arguments.
- J’ai vu un ange de niveau inférieur en position meurtrière avec des ailes mutilées. J’accuse.
Il y eut un long frisson général et les Dominants se redressèrent un peu, surpris. Leur ami était si discret !
- J’accuse le défenseur des droits angéliques de ne pas avoir défendu les droits d’Anaël. J’accuse le dresseur qui a effectué cette barbarie de ne pas être apte à dresser de nouveau un soumis. J’accuse les personnes qui ont engagé ce faux dresseur d’avoir commis une faute de jugement qui demande réparation auprès d’Anaël. En réponse aux accusations, Anaël doit recevoir soin, aide et droit. En réponse aux accusations, les accusés doivent être rétrogradés. Voilà mon verdict.
- Merci Miniha.
Il acquiesça sèchement et vint s’asseoir avec les autres. Un verdict à base d’accusation, ça n’avait pas l’air d’être si grave aux yeux d’un débutant tel que Vikar, mais ça l’était, car le défenseur des droits de Miniha aurait alors la possibilité de faire peser cette accusation. C’était horriblement déconseillé, car cela venait tendre les rapports entre les différents peuples, mais cela se faisait dans des cas rares et graves comme celui-ci.
- C’est à moi, je suppose. J’ai vu un soumis abimé et non respecté dans son intégrité physique. Le dressage mené semble avoir été contreproductif, c’est pourquoi je pense qu’il doit obtenir le droit de choisir son propre Dominant afin qu’il puisse se réinvestir dans cette situation. Continuer le dressage reviendrait à vouloir le briser totalement. Voilà mon verdict.
Les autres se levèrent dans un seul mouvement et remirent à discuter avec animation. Ils allaient repartir dans les petits clubs où ils travaillaient à l’occasion et à chaque fois qu’on leur demanderait, ils répèteraient ces mêmes mots qui s’étaient magiquement inscrits en eux grâce à cette cérémonie. S’ils étaient menacés à leurs tours, ils appelleraient autant de défenseurs des droits que nécessaire.
- Ne t’inquiètes pas Arkes, on est costaud.
- Ils n’ont pas eu de bol quand même… marmonna Miniha.
- Ouais, tu pourrais être pote avec des Dominants normaux… mais non, monsieur Arkes, il s’entoure uniquement de Dresseur, éclata de rire Lead.
Arkes acquiesça sèchement. C’était vrai au fond. Ils n’avaient vraiment pas de chances. Ils étaient tombés sur un Dresseur impossible à corrompre avec de l’argent, appartenant aux Djinns -ce qui était connu pour être une véritable plaie- et ayant des amis de valeurs. Ou peut-être que c’était simplement un juste retour des choses pour des personnes un peu trop habituées à ce que tout tourne toujours dans leurs sens, écrasant les autres sans plus y faire attention.
Un peu après qu’ils soient tous partis, Arkes retourna dans la pièce où Anaël s’était assis, visiblement défait. Il se raidit horriblement en voyant le Dominant arriver et avancer, mais comme à son habitude, Arkes ne chercha pas à établir le contact physique avec lui. Il se contenta de s’asseoir non loin de lui et il parla d’une voix tranquille.
- Ton histoire fait beaucoup de bruits. Mes amis ont été contactés pour poser un verdict contre toi. Ils ont tous décidé de te soutenir.
- Tous ?
- Oui, tous. Je voulais simplement te le dire pour que tu y réfléchisses. On va te demander énormément d’efforts, mais tout un tas de Dominants vont en faire bien plus encore pour te protéger. Cela ne vaut pas rien, tu ne crois pas ?
Anaël ne parvint pas à répondre. Il se mordilla la lèvre, incertain. Pourquoi ces Dominants voudraient-ils l’aider ? Il ne comprenait vraiment pas. Il était encore perdu, quelque part dans ses pensées, à contempler cette idée lorsque le petit elfe apporta deux futons qu’il déroula au sol pour leur nuit. Le Maître les laissait rester ainsi ensemble. Silencieusement, Anaël se blottit contre l’autre soumis. Il n’arriverait pas à dormir, mais ainsi, il se calma lentement.
Annotations
Versions