Chapitre 7 : En quête de réponses

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  Durant les jours qui suivirent, Célia se remit doucement de cette incroyable péripétie. Elle resta longtemps au lit, chouchoutée par Aelia. Cette dernière ne la laissait jamais seule, sauf pour lui ramener à manger. Presque chaque nuit, elle devait rassurer et apaiser son aînée qui se réveillait souvent en sursaut. Elle faisait toujours le même cauchemar, revoyant son village en ruine et cette femme en noir masquée la menacer. Elle racontait ce terrible rêve à sa sœur, qui partageait son effroi à chaque écoute.

  Pendant ce temps, les paladins avaient quitté Uleth au bout d’une semaine, clamant que cet accident fut causé par des conjurateurs accompagnés de créatures hérétiques. Une version que tous acceptèrent avec inquiétude, à l’exception de l’unique témoin de la scène. Du bois calciné, des caisses vides ainsi que deux grandes flaques de sang noirci, les soldats avaient tout abandonné ainsi. L’endroit était devenu pour Célia une sorte de lieu de recueillement. Son épée sanglée à sa taille, elle s’y tenait, le regard perdu et ses pensées tournées vers la Dame Légendaire. Elle avait encore du mal à croire que la guerrière qu’elle admirait tant était responsable de ce carnage. Elle pensait que seuls les démons étaient sa cible, mais elle s’en prenait également aux êtres vivants. Que Jael et sa famille eussent de mauvaises intentions ou que tout ce qu’ils avaient amassé fût le fruit de larcin, Célia n’en avait que faire. Elle voulait la revoir pour connaître la vérité.

  Une fois son énergie retrouvée, elle reprit l’entraînement derrière la maison. Elle inventait de nouveaux mouvements et forgeait peu à peu son propre style. Ses parents la laissaient tranquille tant qu’elle ne faisait rien de téméraire. Anyse venait lui amener à manger et de l’eau lorsqu’elle oubliait l’heure du déjeuner. Elle restait de temps à autre la regarder. Rocvin essaya d’apprendre à sa fille quelques techniques de base, mais elle avait déjà largement dépassé son niveau. Intrigués, les gardes s’intéressèrent à l’épéiste en herbe. L’un d’eux la provoqua amicalement en combat singulier, mais n’eut aucune chance face à la vivacité de la jeune femme. Ils étaient tous bluffés, la sympathique enfant de bûcheron et redoutable négociatrice les surpassait dans leur domaine. Les autres habitants d’Uleth ne prêtèrent pas vraiment attention à elle, à l’exception de Rick. Toujours curieux de la facture de la rapière, il tenta de la reproduire. Malgré son savoir-faire et sa grande expérience, rien d’aussi solide et raffiné ne sortit de sa forge.

  De son côté, Aelia éprouvait une tristesse grandissante. Depuis la mort des marchands et son altercation avec les paladins, la petite voyait sa sœur changer et devenir de moins en moins joviale. Quand elle lui parlait, elle ne répondait que par de courtes phrases dénuées d’émotion. Lorsqu’elle lui proposait d’aller aider les villageois dans leurs tâches quotidiennes, Célia lui rétorquait souvent la même chose.

  — Il n’y a rien à faire en ce moment. Les moissons aux champs sont terminées et nous sommes toujours interdites d’aller en forêt.

  Les inséparables passaient moins de temps ensemble et l’aînée se renfermait de plus en plus sur elle-même. Lors des déjeuners ou des dîners, lorsqu’elle pensait à venir à table, Célia demeurait silencieuse ou ne s’exprimait que quand on lui adressait la parole. Une fois rassasiée, elle retournait immédiatement dehors et n’allait se coucher que tard la nuit.

  Un matin, Aelia décida de faire quelque chose. L’enfant se réveilla avant Célia et essaya de cacher sa rapière. Mais devant la colère de sa sœur, elle la lui redonna assez vite. La tristesse se changeait peu à peu en désespoir. Elle la laissa tranquille, jusqu’à l’après-midi où elle eut une dernière idée. Elle chercha l’ancienne épée de Célia et l’emporta avec elle à l’endroit où elle s’exerçait. Elle l’interpella d’une voix forte.

  — Célia ! Affrontons-nous l’une contre l’autre !

  La jeune femme se tourna et regarda sa cadette avec incompréhension. Aelia souleva la lame comme pour se mettre en garde, mais son poids la déséquilibrait, ses bras tremblaient. Célia avança vers elle.

  — Tu n’arrives déjà pas à la garder droite, comment veux-tu f...

  — Battons-nous ! Si je gagne, tu passeras plus de temps avec moi !

  Aelia chargea sans attendre de réponse et tenta un coup latéral. Célia se contenta d’un pas en arrière pour esquiver. Dans son élan, la petite trébucha et tomba au sol. Elle se releva aussitôt et refit la même attaque, l’aînée l’évita encore. Aelia serrait les dents et grognait. Elle était déterminée, bien qu’elle savait qu’elle n’avait aucune chance. Elle enchaîna des offensives lentes et brouillonnes, sans jamais toucher Célia. Cette dernière l’observait et cherchait à comprendre pourquoi elle faisait ça. Son corps frêle n’était pas assez véloce pour manier avec aisance une simple épée. Mais plus ce combat avançait, plus elle trouvait Aelia courageuse. Elle n’abandonnait pas et semblait vouloir lui prouver quelque chose. À nouveau à terre, la cadette était déjà essoufflée et avait de plus en plus de mal à soulever son arme. Un gloussement suivi par un rire amusé arriva à ses oreilles.

  — Ne te moque pas de moi, je suis sérieuse ! cria Aelia le visage rouge.

  Célia se mit à rire aux éclats et à poser un genou devant son adversaire. Pour la première fois depuis plusieurs jours, un sourire apparut sur ses lèvres.

  — C’est gentil à toi de t’inquiéter pour moi. Tu t’es bien battue, disons que personne n’a gagné.

  L’aînée se releva, rengaina sa lame et aida Aelia à se remettre debout.

  — Je vais un peu mieux, grâce à toi. Merci, tu es adorable. Désolé de t’avoir fait de la peine.

  Aelia lui pardonna, comprenant que les récents événements l’avaient profondément marqué. Elle était heureuse de revoir la Célia qu’elle connaissait. Pour s’amuser ensemble, cette dernière essaya de lui enseigner quelques mouvements. La petite se sentait plus à l’aise avec la rapière plus légère. Elle avait du mal à appliquer, mais elle n’en avait que faire. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était passer un bon moment avec elle. Aux premières lueurs du crépuscule, Aelia proposa d’aller admirer le coucher du soleil sur la palissade. Sa sœur accepta et les deux montèrent sur le chemin de ronde.

  Elles s’accoudèrent sur la barrière et regardèrent droit devant elles. La plus âgée fixait intensément l’entrée de la forêt, avec une expression sérieuse. Son héroïne était peut-être là-bas, à combattre les ténèbres ou à tuer d’autres anges malveillants.

  — Tu penses que la Dame Légendaire affronte des démons en ce moment ?

  — Si aucun n’attaque notre village, c’est qu’elle veille sur nous, non ?

  Une hypothèse que Célia approuvait, surtout qu’elle sortait de la bouche de sa cadette. Enfin quelqu’un croyait en elle et ne se moquait pas lorsqu’elle évoquait la guerrière en noir.

  Un long silence plana, seul le bruit des oiseaux et de la place centrale arrivait à leurs oreilles. Aelia sentait que quelque chose pesait sur la conscience de Célia, qui semblait se retenir d’annoncer quelque chose d’important. Elle la connaissait mieux que personne et savait ce qu’elle s’apprêtait à dire. Elle prit l’initiative, sans détour.

  — Tu comptes partir la retrouver, n’est-ce pas ?

  — Je ne peux plus rester à moisir ici pendant que quelque chose nous menace. Les anges pillards, les démons obscurs et potentiellement d’autres créatures fantastiques. Je dois aller la chercher.

  La cadette n’était pas surprise. Elle se doutait depuis un certain temps que Célia préparait quelque chose de ce genre, la Dame Légendaire hantait bien trop ses pensées. Elle était presque étonnée qu’elle ne se soit pas déjà enfuie en cachette.

  — Je viens avec toi.

  — Non, c’est bien trop dangereux ! Je serai plus sereine en te sachant en sécurité. Tu diras à nos parents que je vais à Gilios pour y travailler comme marchande.

  Sans un mot, Aelia alla se blottir contre Célia. Cette dernière allait la repousser, mais ce doux geste et cette chaleur lui rappelèrent qu’elle tenait à elle plus que tout. Une séparation qui ferait souffrir aussi bien l’une que l’autre.

  — Tu me protégeras, pas vrai ? demanda timidement la cadette.

  À cette question simple mais ô combien importante, Célia se remémora les promesses qu’elle avait faites à sa sœur, mais deux en particulier : la rendre fière de son aînée et surtout la défendre contre tous les dangers. Bien qu’elle était certaine qu’Aelia n’aurait ni la force ni l’endurance de la suivre, il était temps de lui montrer que ce n’était pas des paroles en l’air. Elle soupira et sourit.

  — Cela risque d’être un long voyage.

  Les inséparables rentrèrent la nuit tombée. Les parents et leurs enfants riaient autour d’un dîner composé de légumes cuits et de pain. Célia était cette fois plus ouverte aux discussions et à l’amusement. D’abord surpris, Anyse et Rocvin comprirent qu’Aelia y était pour quelque chose. La cadette savait toujours trouver les mots pour ramener sa sœur à la raison et elle venait encore de le prouver. L’aînée annonça sa décision de se rendre à Gilios avec Aelia pour devenir marchandes, comme Rocvin lui avait proposé.

  — Vous allez réussir sans l’ombre d’un doute, assura la mère, tout sourire. J’espère que vous reviendrez nous voir de temps en temps.

  — C’est une promesse. Lorsque nous aurons gagné assez d’argent, vous pourrez venir vivre avec nous.

  — Je respecte votre choix et je suis même heureux de l’entendre, mais n’oubliez pas les dangers à l’extérieur, rappela Rocvin, le visage sérieux.

  Le repas s’acheva. La famille alla se coucher.

  Le lendemain, la nouvelle s’était répandue dans tout Uleth et les habitants souhaitèrent aider les inséparables pour leur voyage. Les paysans leur préparèrent plusieurs miches de pain, pendant Tolan leur sala un peu de viande fraîche. D’autres villageois participèrent à leur manière, leur offrant un sac à dos chacune, deux gourdes, quelques pièces d’or ainsi que deux capes avec capuches. Ces nombreux cadeaux d’encouragement touchèrent les inséparables du fond du cœur. Elles s’en voulaient presque de mentir sur leur destination et comptaient un jour revenir et leur rendre la pareille. Rocvin leur indiqua qu’un village se trouvait à mi-chemin vers Gilios, avec une auberge pas trop chère. Elles pourront y faire escale la nuit tombée avant de finir sereinement leur route au petit matin.

  Le moment du départ arriva, sous un ciel nuageux à la fin de l’après-midi. Célia sangla sa rapière à sa ceinture et mit le sac à dos rempli de bonne nourriture. Celui d’Aelia était plus léger pour ne pas trop la fatiguer. Prêtes, les sœurs se tournèrent vers tous ceux qui étaient là pour leur dire au revoir.

  — Nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait pour nous, remercia-t-elle.

  — Prenez garde aux mauvaises rencontres, avertit Rick. Que les dieux vous guident et vous protègent des démons. Que la fortune vous sourit !

  Les parents ainsi que Nyeli allèrent les câliner une dernière fois. Les femmes retenaient leurs larmes, se rappelant de la tendre enfance des deux, heureuses de les voir déployer leurs ailes. Les inséparables se mirent en route sous les encouragements des leurs. Sur le chemin qui traversait les champs de céréales maintenant nus de plantations, les paysans qui labouraient la terre les saluèrent et leur souhaitèrent bon courage. Les sœurs leur répondirent d’un signe de main et suivirent la voie vers Gilios. Une fois hors de vue d’Uleth, Célia prit un instant et balaya les environs du regard. La cité fortifiée s’élevait au loin droit devant. À gauche, une immense prairie sans arbres ni trace de civilisation. Et à droite, l’entrée des bois que les filles connaissaient si bien.

  — Par où on commence à chercher ? demanda Aelia.

  — Si on cherche des informations à la capitale, on risque d’attirer l’attention, ou pire, les paladins pourraient nous arrêter. Les Plaines d’Ashon sont grandes, elle peut être n’importe où. Pour le moment, je pense que nous pouvons commencer par la forêt. Elle se cache peut-être dans une grotte ou caverne proche.

  — Je te fais confiance, allons-y.

  Et c’est ainsi que les inséparables débutèrent ce qui pourrait être un long et périlleux voyage, à la recherche de la Dame Légendaire, à travers Aldria.

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