Chapitre 11 : À la rescousse !

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  Le lendemain, Tyane tint sa promesse. Les chevaux allaient aussi vite que lors de la première chevauchée. Aelia prenait sur elle pendant que Célia restait alerte au moindre danger. Elles parcouraient un sentier montagneux donnant sur une vallée en friche. Elles avaient quitté les plaines d’Ashon et se trouvaient dans les Crêtes Dormantes. Le groupe se rapprochait de leur objectif : une immense falaise couverte d’une végétation verdoyante.

  — Les Forêts Envoûtées sont derrière. Pour y accéder, nous devrons emprunter un tunnel caché. Tenez bon, nous y sommes presque.

 La matinée se passa sans accroc et le déjeuner fut rapide. Les humaines sentaient leurs limites physiques atteintes, Tyane les rassura à nouveau sur le repos que les siens leur accorderont une fois arrivés à Sylvae. L’atmosphère devenait de plus en plus pesante. Les cavalières avaient l’impression d’être observées. Célia avait déjà ressenti cela et s’en inquiétait. Plus habituée, Tyane garda le rythme mais aiguisa sa vigilance. L’elfe vit au loin quelque chose au bord du chemin. Quelque chose de rougeoyant au sol et entouré de plusieurs formes noires. Lorsque sa vision lui permit de discerner la scène, elle n’eut aucune hésitation.

  — Des Neantys !

  Les monstres des ténèbres tant redoutés lacéraient des cadavres d’animaux. Deux loups avaient chassé une biche mais avaient trouvé des prédateurs plus fort qu’eux. C’était la première fois que les humaines voyaient des Neantys. Aelia évita de les regarder et plongea son visage apeuré dans le dos de son aînée. Tyane mit un violent coup sur les brides de sa monture pour lui ordonner de faire abstraction des démons et les contourner par la droite. L’équidé poussa un puissant hennissement et obéit à sa cavalière, suivit dans son sillage par celui des sœurs. Le groupe galopa loin de ces choses. Ces dernières laissèrent les pauvres bêtes aux charognards environnants et les poursuivirent.

  — Pourquoi les fuir ? cria Célia. Avec vos pouvoirs, vous pourriez… !

  — Vous seriez vulnérable et rien ne dit que d’autres ne vont pas apparaître !

 Malgré leur vitesse, les rampants les rattrapaient. Un mauvais pressentiment perturba l’elfe, qui dégaina ses machettes. Les fourrés aux abords du chemin s’écartaient au passage de deux grosses formes canines noires qui s’attaquèrent aux chevaux. Elles les blessèrent et les affolèrent. Tyane sauta du sien, celui des inséparables se cabra et s’enfuit. Si Célia arriva à se réceptionner maladroitement sur ses pieds, sa cadette tomba lourdement et hurla de douleur. Elle serra fermement sa cheville droite.

  — Aelia !

  Célia se précipita vers elle et la prit dans ses bras de manière protectrice. Elles entendirent des râles inquiétants et leurs visages s’emplirent d’effroi lorsqu’elles constatèrent que de nombreux démons les encerclaient. Les deux loups ténébreux restaient en arrière, fixant leurs proies de leurs yeux uniformément violets. Les rampants bondirent.

  — Attention !

  Tyane s’interposa et trancha les créatures par des enchaînements circulaires. Elle élimina les plus faibles, avant de s’attaquer aux canidés. Ces derniers poussèrent un long rugissement, d’autres monstres apparurent.

  Au bout de quelques minutes, l’humaine commençait à voir des signes de fatigue chez l’elfe. Une respiration de plus en plus haletante et une vitesse de moins en moins fulgurante. Le sentiment d’impuissance qu’elle s’efforçait de surmonter depuis le début de ce voyage ressurgit. Elle voulait combattre, mais impossible sans sa rapière.

  À bout de force, Tyane posa un genou à terre et essaya de retrouver rapidement son souffle, mais les démons ne comptaient pas lui offrir le moindre instant de répit. Soudain, ils s’arrêtèrent et se tournèrent vers la même direction. Des bruits de sabots montaient dans les environs, accompagnés d’un cri bestial.

  — Elle est là, chargez !

  Trois êtres au corps de cheval et au buste humain se joignirent à la bataille. Armé d’une lance plus travaillée que les deux autres, l’un d’eux s’approcha de Tyane et lui tendit une main pour l’aider à se relever.

  — Cela ne vous ressemble pas, cheffe.

  — Gardez vos sermons, Thanasios. Occupez-vous des deux loups, pendant que je protège ces personnes.

  Le centaure donna ses ordres à ces deux congénères qui s’exécutèrent. Ils firent face aux Neantys sans difficulté mais se heurtèrent au même problème. Le nombre de rampant ne diminuerait pas tant que les deux gros étaient en vie.

  Les créatures fantastiques fatiguaient, l’incroyable endurance de ces monstres n’était pas qu’une légende. Aelia et Célia restaient au milieu du cercle que les hybrides formaient pour les défendre, mais voyaient les Neantys se rapprocher peu à peu. Alors que le désespoir se faisait ressentir, quelque chose fendit l’air vers les deux canidés et les trancha net. Leurs corps se disloquèrent. Surpris, tous fixèrent l’objet maintenant planté dans le sol : une épée longue au tranchant brillant d’un éclat violet cristallin. Célia la reconnut immédiatement et tourna la tête vers la direction où elle fut projetée.

  Habillée de son grand manteau noir et protégée aux épaules par des lamelles de cuirs d’un côté et des filigranes métalliques de l’autre, la Dame Légendaire avançait d’un pas lent mais sûr vers son arme. Elle la récupéra et jaugea les rampants de son regard masqué. Les Neantys laissèrent les centaures pour s’attaquer à elle. Ils bondirent mais ne trouvèrent que son acier affuté et enchantée. Tous observaient avec admiration cette guerrière tant ses mouvements étaient impressionnants. Célia ne ratait pas une miette de ce spectacle. Elle pouvait enfin voir son héroïne combattre les démons. Elle était rassurée, l’incident avec Jael ne fut qu’un écart.

  Le dernier ennemi anéanti, la sauveuse se tourna vers le groupe. Son attention était focalisée sur l’aînée des sœurs. Célia lâcha Aelia, se releva et commença à marcher vers elle. Elle avait tant de choses à lui demander. La femme en noir l’attendait sans bouger et comptait répondre à certaines de ses interrogations. Lorsque Célia ouvrit la bouche pour parler, deux machettes passèrent quelques centimètres au-dessus de ses épaules et fusaient vers sa cible. La guerrière les balaya d’un mouvement d’épée et s’y attarda. Elle ramassa l’une d’elles, l’observa et fixa Tyane.

  — Elles sont imprégnées d’une magie similaire à celle d’un Neantys. Toi aussi, leur corruption t’a infectée ?

  À cette question, la colère de Tyane s’intensifia. L’elfe tendit un bras vers ses lames, qui disparurent et réapparurent dans ses mains. Elle chargea avec une férocité contrastant avec sa froideur habituelle. La Dame Légendaire bloqua son attaque, les deux combattantes restèrent dans cette position.

  — Votre arme n’est certainement pas sortie d’une forge des terres oubliées ! À quel peuple fantastique obéissez-vous et comment avez-vous obtenu un tel pouvoir ? Répondez, avant que je ne vous y force !

  Cette menace n’impressionna guère son adversaire, qui repoussa Tyane d’un coup de pied dans l’abdomen.

  — Je n’appartiens à aucun de ces peuples avides et hautains. Je me bats uniquement pour la survie d’Aldria et je compte aller au bout de ma mission.

  — Expliquez-vous !

  — Seulement lorsque le temps sera venu. Pour l’heure, je n’ai aucune raison de vous affronter.

  — Alors je vais devoir vous arracher ce que je veux savoir !

  Tyane enchaîna avec des coups rapides, visant surtout les articulations. La tuer ici et maintenant serait se priver d’informations cruciales. Sa cible esquivait par des mouvements simples. Elle sentait néanmoins l’air se fendre au raz de sa peau malgré ses vêtements, témoignant des incroyables compétences de son opposante.

  La colère montait dans l’esprit de Tyane. Elle n’arrivait même pas à érafler l’humaine et le fait qu’elle ne ripostait pas l’offensait profondément. Elle plongea dans les ombres pour ressurgir dans son dos, mais cette dernière bloqua ses machettes sans même la regarder. L’elfe persistait, mais la guerrière semblait invincible.

  Impuissance, Célia observait ce combat et trouvait la passivité de la femme en noir anormale. Son comportement contrastait avec l’agressivité dont elle avait fait preuve avec Jael et sa famille. De leur côté, les centaures s’inquiétaient pour Tyane, qui abusait de son pouvoir obscur. Ils voulaient intervenir, mais les ordres étaient clairs.

  L’épéiste repoussa encore Tyane, qui comptait se battre jusqu’au bout. Elle se releva pour lancer le prochain assaut, lorsque...

  — Arrêtez, vous voyez bien qu’elle ne vous attaque pas !

  Par réflexe, la Dame Légendaire tourna son regard vers Célia qui venait de crier. Cette seconde d’inattention donna une ouverture à Tyane, qui projeta une de ses machettes et lui écorcha la joue. Le sang coula, mais pas pour longtemps. L’humaine posa deux doigts sur la blessure, les glissa le long de son sillage, la faisant disparaître au fur et à mesure. À la vue de cela, Tyane n’en revenait pas.

  — Une créature des terres oubliées avec un pouvoir de soin ? C’est impossible !

  — Ce serait stupide de continuer. Comme je vous l’ai dit, je n’ai aucune raison de vous affronter et vous comprenez maintenant que me vaincre est peine perdue. Je vous laisse amener ces humaines à Sylvae mais pas sans vous avertir. Si vous osez leur faire du mal ou les forcer à faire de mauvaises choses, vous le regretterez amèrement.

  Ces mots proférés, la Dame Légendaire se retourna et commença à quitter les lieux. Hors d’elle, Tyane voulait toujours se battre, mais sa conscience vacilla et elle tomba au sol. Son corps la brûlait, une légère fumée noire en émanait. L’elfe serrait les dents et ne lâchait pas du regard cette combattante, jusqu’à ce qu’elle sorte de son champ de vision. Célia et les centaures se précipitèrent vers Tyane.

  — Vous avez encore trop utilisé cette puissance ténébreuse sans vous préoccuper des conséquences, reprocha Thanasios sans ménagement. Nous aurions dû vous aider !

  — Comment nous avez-vous trouvés ? Nul n’était censé savoir que j’étais en mission dans les Terres Oubliées.

  — Nous l’ignorions. Nos sentinelles nous ont rapporté une agitation anormale de la faune et une forte présence maléfique de l’autre côté de la falaise. J’ai décidé de mener moi-même des investigations et voilà que nous vous retrouvons acculées par des Neantys. Mais passons, qui sont ces jeunes personnes ?

  — Thanasios, je vous présente Célia, une Sans-Magie possédant des informations primordiales sur les Neantys et cette Dame Légendaire. Nous devons l’amener au plus vite, elle et sa sœur Aelia, devant Erulyn.

  Ses paroles précipitées de Tyane la firent tousser. Elle devait reprendre son souffle, mais ne pas trop traîner non plus. La nuit tombait et les chevaux s’étaient enfuis avec les lanternes accrochées à leur selle. Les hybrides ne cachèrent pas leur surprise, mais celui qui dirigerait le groupe resta calme et se tourna vers Célia. C’était la première fois qu’il rencontrait une humaine. Elle ressemblait à une elfe, mais avec des traits moins gracieux et sans longues oreilles. Ajouté à cela des vêtements abîmés et à la qualité bien inférieure à ce qu’il connaissait. Il laissa ces détails insignifiants de côtés et s’adressa à elle d’une voix agréable.

  — Je suis Thanasios, un des généraux de la tribu des centaures et membre de l’Ordre des Racines. J’ai du mal à croire que vous pourriez nous aider contre les Neantys, mais je me fie au jugement de Tyane. Vous êtes en sécurité désormais, nous allons vous escorter.

  Il fit un signe à ses subordonnés, qui se baissèrent pour permettre aux humaines de monter sur leur dos. Aelia ne pouvait plus tenir debout à cause de sa cheville, on l’aida à grimper. Tous reprirent la route à une allure modérée. Tyane préféra marcher que céder à la facilité en laissant Thanasios la transporter. Elle lui expliqua les raisons de son voyage et ses découvertes. Le récit semblait trop surréaliste, mais l’hybride reconnaissait bien le caractère solitaire de sa supérieure.

  Les inséparables n’osaient parler. Aelia scrutait les centaures de la tête aux sabots, n’arrivant toujours pas à croire que ce genre de créature existait. Curieuse, elle finit par poser une question qui provoqua leurs rires amusés.

  — C’est difficile de se déplacer avec quatre pieds ?

  — Ha ha ha ! C’est comme si c’était compliqué pour toi de bouger tes doigts.

  Cette réponse plongea l’enfant en pleine réflexion. Elle regarda intensément sa main droite, l’ouvrit et la ferma plusieurs fois. Elles ne s’étaient jamais demandé comment elle faisait quelque chose d’aussi simple, ce devait être la même chose pour eux. De son côté, Célia pensait à la Dame Légendaire. Le fait qu’elle soit apparue pour combattre les Neantys ne l’avait pas étonnée, mais que Tyane l’ait attaqué était surprenant. Son héroïne avait tenu tête à l'elfe et aurait pu la vaincre si elle lui avait rendu les coups. Quelque chose clochait, elle en était persuadée.

  Après une bonne heure de marche, le groupe s’arrêta devant une immense falaise escarpée. Elle était bien plus haute que celle qui bordait Uleth et recouverte de ronces d’une largeur anormale pour les humaines. Tyane s’avança et tendit une main, les faisant s’écarter et révélant un tunnel éclairé par des fleurs aux pistils lumineux.

  — Thanasios, guidez nos invitées jusqu’à Sylvae. Je pars avertir Erulyn de notre arrivée.

  Il accepta d’un signe de tête, pendant que sa supérieure disparut dans les ombres. Les centaures et les sœurs empruntèrent cette galerie.

  Une fois à l’intérieur, les ronces reprirent leurs places. Le dallage au sol était d’une propreté exemplaire, tout comme les murs, moins saillants et agrémentés de nombreuses sculptures. Elles représentaient des elfes armés d’épées, de lances ou d’arcs. Aelia et Célia les admiraient, lorsque l’attention de l’aînée s’arrêta sur l’une d’elles, bien moins entretenue que les autres.

  — Regardez celle-ci, dit soudainement Célia. C’est une humaine ?

  Elle pointa du doigt la statue d’une femme avec un sceptre dans la main gauche, se tenant dans une posture digne et à l’expression hautaine. L’absence de longues oreilles laissait penser qu’il s’agissait en effet d’une humaine. Le temps avait fait son œuvre et l’avait partiellement recouvert de mousse. Thanasios l’observa un moment avant de répondre gravement.

  — Il y a six millénaires, lorsqu'Alyona signa un traité de paix, elle était certaine de nouer une relation saine et durable. Cette statue fut érigée en l’honneur de Mel’Shana, l’ancienne impératrice des Sans-Magies. Nos ancêtres croyaient en sa grande bonté, mais elle n’était qu’une sorcière perfide et ambitieuse.

  — Si elle était si méchante, pourquoi ne pas l’enlever ?

  — Elle finira par se briser d’elle-même, je pense que c’est ce que les elfes attendent. J’imagine que la retirer reviendrait à renier l’une des décisions de leur déesse.

  Cette histoire venait compléter le récit de Tyane et appuyait le fait que les créatures fantastiques ne portaient plus vraiment les humains dans leur cœur. Cela attrista les sœurs, jusqu’à ce que Thanasios reprenne la parole d’une voix plus tranquille.

  — Depuis la guerre fantastique, nul Sans-Magie n’avait emprunté ce passage. Je n’ai pas connu cette époque mais sachez que c’est un honneur pour moi d’être aujourd’hui témoin de ce moment. J’espère que cela ouvrira à plus de tolérance vis-à-vis des vôtres. Le peu que j’ai vu me suffit à comprendre que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Vous serez les bienvenues dans nos villages si votre chemin vous mène jusqu’à eux.

  — Merci beaucoup, sourit Aelia. Ce sera avec plaisir !

  Plus le groupe avançait, plus le cœur des sœurs s’emballait. La fatigue de ce voyage laissa peu à peu place à l’excitation. Aelia en oubliait presque la douleur de sa cheville et Célia l’affrontement avec les Neantys. Elles aperçurent au loin une puissante lumière bleutée qui surclassait celle des plantes. Le bout du tunnel. Les inséparables demandèrent aux centaures s’ils pouvaient aller plus vite, ils acceptèrent sans pour autant dépasser le trot. De retour à l’extérieur, Aelia et Célia regardèrent autour d’elles et ouvrirent de grands yeux devant la magnificence du lieu.

  D’immenses arbres se dressaient dans ce lieu verdoyant. Quelques habitations se trouvaient à l’intérieur de leur tronc, en témoignaient les fenêtres creusées tout le long de ces derniers. Leurs feuillages géants n’accordaient que peu d’espace à la splendeur de l’astre lunaire. Des maisons, plus conventionnelles mais tout aussi jolies, étaient construites en bois et embellie de nombreuses décorations florales.

  — Nous sommes dans le petit village d’Avgang, jadis un passage obligatoire pour entrer dans les Forêts Envoûtées.

  Voyant des personnes sortir du tunnel, des gardes s’approchèrent et entourèrent le groupe. Leurs regards s’attardèrent sur Aelia et Célia, avant que le devoir ne reprenne le dessus sur la curiosité.

  — Général Thanasios, salua l’un d’eux d’un ton humble. Tyane nous a avertis de votre arrivée, ainsi que de deux Sans-Magies sous votre protection. Nous sommes à votre service.

  Le centaure réfléchit un court instant et tourna la tête vers Aelia.

  — Cette personne a besoin d’un guérisseur immédiatement. Sa cheville est foulée, elle ne peut plus marcher. Et si vous pouviez nous fournir quelques vivres pour le reste du trajet jusqu’à Sylvae, ce serait très aimable de votre part.

  — Bien, nous allons vous ramener cela.

  Il donna des instructions à ses congénères qui s’exécutèrent. Lui-même se dirigea vers l’un des bâtiments et en sortit quelques minutes plus tard avec une elfe aux longs cheveux blonds, habillée d’une tunique bleue et d’une jupe blanche. Ses traits juvéniles et son air enfantin laissaient penser qu’elle devait être à peine plus âgée que les sœurs. Thanasios aida Aelia à descendre et la fit s’asseoir. La guérisseuse s’approcha. D’abord plus intéressée par le physique de l'humaine que sa blessure, elle finit par apposer ses fines mains là où sa patiente avait mal. Au moment où une lumière couleur émeraude se manifesta au bout de ses doigts, Aelia sentit quelque chose de doux pénétrer sa peau et se répandre dans son pied. La douleur s’estompait peu à peu jusqu’à totalement disparaître.

  — Je n’ai jamais soigné une habitante des terres oubliées, indiqua l’elfe d’une voix enjouée. Vous n’êtes pas tant différente de nous, bien au contraire. L’absence de magie dans votre organisme facilite le déplacement de la mienne, c’est fascinant.

  Aelia ne savait pas comment prendre ces paroles, mais la sympathie de cette personne tendait à lui faire croire à un compliment. Elle s’intéressa surtout à son pouvoir.

  — C’est quelque chose qu’on peut apprendre ?

  — Seule la lignée de la grande Alyona possède ce don de manière innée. Pour ma part, j’ai mis plusieurs décennies avant de pouvoir refermer une simple griffure.

  — Plusieurs décennies ? Mais vous semblez être plus… !

  — J’ai tout de même cinq cent trente-quatre cycles, rit la créature fantastique. J’ignore combien cela représente pour vous, mais je pense que ma longévité équivaut à plusieurs vies humaines. Je ne suis plus toute jeune !

  Aelia avait du mal mais ne la voyait pas mentir. Elle la remercia avec un sourire sincère et se releva. Elle sautilla joyeusement pour s’assurer que sa blessure avait disparu et alla rejoindre sa sœur. Cette dernière observait surtout l’architecture des bâtiments et le mode vestimentaire des elfes.

  Les femmes étaient habillées de tuniques, de robes ou de jupes d’une élégance inégalable, dont la légèreté leur donnait un sentiment de liberté. Les tenues masculines étaient majoritairement faites de cuir, y compris celle des soldats. Quelque chose dans l’esprit de Célia lui faisait croire qu’ils étaient mieux protégés qu’avec de l’acier, en plus de favoriser une agilité qu’un chevalier en armure de plate n’aura jamais. Et ces maisons, elles auraient été qualifiées d’hérésies dans leur région d’origine. Célia trouvait tout cela impressionnant, mais le doute persistait en elle. Comme le jour où Tyane l’avait écrasé sans difficulté, elle se sentait inférieure à n’importe qui dans ce village.

  Lorsque les inséparables se retrouvèrent côte à côte, la plus grande parla d’un ton triste.

  — La magie est partout et nous sommes des Sans-Magies.

  — Tout le monde a l'air gentil, pourquoi ça changerait ?

  — Je ne sais pas. Quelque chose me dit que les problèmes surviendront tôt ou tard.

  À ces mots emplis d’inquiétude, Aelia prit le bras de son aînée et posa sa tête contre elle. Elles observèrent ensemble cet environnement que nul humain n’avait contemplé depuis longtemps. Loin de leur foyer et de leurs parents, les sœurs éprouvaient une pointe de mélancolie qu’elles ne pouvaient refréner.

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