Chapitre 1 - Écume - Partie 2

4 minutes de lecture

 Comme pour chaque début de ses journées, Santo préparait son matériel après avoir avalé un morceau de kalgui, une barre à base d’algues protéiniques compressées. Elle lui assurerait de tenir jusqu’au prochain en-cas. Dès son réveil, il avait constaté avec plaisir sur un pupitre de contrôle que la tempête était enfin terminée. Il le savait : elle était aussi le signe d’une belle récolte à venir.

 Ses sacs en tissu résistant vides, positionnés en bandoulière, et sa gaffe à la main, il sortit de sa petite habitation. Elle était composée d’un amoncellement de bric et de broc mais qui, par ses soins, affichait un certain style se démarquant des autres. Il n’en était pas peu fier. Ce n’était en rien un glaneur de seconde zone. Bien que jeune, il avait un œil aiguisé et un flair étonnant pour dénicher les plus belles trouvailles.

 Dans la petite ruelle, la vie de la petite communauté battait déjà son plein avec une légère clameur teintée de rires d’enfants, de voix fortes et des bruits des roulements des petits chariots de transport. Il ajusta son habit et son bonnet épousant parfaitement son crâne lisse. Il salua de la main quelques connaissances et avança d’un bon pas en direction de la sortie de la bulle de vie, vers l’océan et ses trésors cachés.

 Si l’intérieur de cet espace de vie pouvait refléter un quotidien précaire, la bulle de vie, elle, démontrait une maîtrise technologique incroyable. Située à faible profondeur, cette immense structure sphérique permettait à cette population humaine de vivre en sécurité, immergée, pour éviter les assauts fréquents et terribles des tempêtes qui parcouraient l’immense et unique océan de Fomalhaut-Ae, quatrième planète du système trinaire Fomalhaut.

 Bien des siècles auparavant, dès l’arrivée du Markind Fomalhaut dans ce système stellaire, les premiers colons et membres d’équipage avaient dû se réinventer à l’approche de leur but ultime. La colonisation d’une lune de la planète géante Fomalhaut-b, nommée Dagon dans l’ancienne nomenclature humaine, avait poussé les humains dans leurs derniers retranchements, les obligeant à vivre dans l’océan situé sous la fine croûte du satellite naturel. Puis la découverte de deux planètes océans, blotties dans les disques d’accrétion de ce tout jeune système stellaire, avait rebattu les cartes. La colonisation réussie de Fomalhaut-Ad, devenue Vertis, et la découverte de Fomalhaut-Ae avait redonné un horizon plus clément aux humains.

 Santo prépara sa sortie dans un des grands sas situés à la périphérie de la bulle de vie. Il s’équipa de son masque de respiration aquatique transparent et de ses lunettes de protection. Il fut rejoint par deux autres jeunes humains, Abi et Flat. La jeune femme fit signe à Santo qui lui répondit aussitôt. Flat semblait traîner derrière elle.

 « Mon vieux, t’en fais une tête ! lui lança Santo.

 — C’est que j’ai passé une nuit mouvementée.

 — Tu n’as qu’à ne pas passer ton temps dans ce bouge, à t’encanailler, lui rétorqua Abi.

 — T’es pas ma mère.

 — Ah ça ! C’est sûr ! Ça ne se passerait pas pareil.

 — Vous n’avez pas un peu fini, vous deux ? Pensez plutôt à tout ce qu’on va récolter aujourd’hui. C’était une vraie tempête à trouvailles ! », conclut Santo, tout sourire, en tendant deux masques dans une main et deux paires de lunettes dans l’autre.

 Sur ces mots, Abi et Flat s’équipèrent rapidement, les yeux pétillants à l’idée de dégoter quelques trésors.

 Ensemble, ils passèrent les premiers sas étanches, avant de se retrouver dans un des puits d’accès rempli d’eau conduisant à la surface. La montée ne prit que quelques minutes. Santo attrapa de la main les barreaux de l’échelle, et de l’autre, commença à déverrouiller l’écoutille. Il donna une poussée qui se révéla infructueuse. Flat comprit aussitôt et se retourna. La tête en bas, il fit un signe rapide à son compagnon, l’invitant à s’écarter. Sous le coup puissant de ses deux jambes, la porte s’inclina. Quelques débris plongèrent autour d’eux. Abi en attrapa un à la volée, puis le relâcha, voyant qu’il ne relevait d’aucune utilité.

 Les trois jeunes vérifièrent autour d’eux les conséquences de la tempête. Aux alentours, le paysage avait changé, les collines de la veille avaient disparu pour laisser la place à d’autres, plus loin. Le sol, composé des restes et déchets provenant de l’activité sous-marine humaine, avait formé au fil des décennies une immense zone qui s’étendait sur des kilomètres, formant la face émergée de la déchèterie.

 Comme à chaque fois, la surface était en grande partie remodelée par les puissantes tempêtes. Il fallait redoubler de vigilance face aux différents pièges qui pouvaient survenir sur leur chemin. Surtout en périphérie, les plaques, les tuyaux et les câbles se montraient moins solidaires. Plus on approchait du rivage de l’île synthétique, plus le danger augmentait.

 « Pffiou ! Elle n’y est pas allée de main morte celle-là, fit remarquer Flat.

 — Impressionnant. Regardez là-bas, dit Abi en indiquant un amas au loin. On a bien fait de s’en occuper, il y a deux jours. Il est sur le point de sombrer.

 — Oui, on a bien fait de t’écouter. Je vais jeter un coup de lunettes à l’ouest, la tempête venait de par-là, déclara Santo.

 Tout en appuyant sur le bord de ses optiques, Santo se dressa sur la pointe des pieds pour maximiser son champ de vision.

 — Alors ? demanda Flat.

 — Attends trente secondes, je viens à peine de commencer.

 — Ah.

 — Quoi ? s’impatienta Flat

 — Aaaah.

 — Arrête ! Tu nous fais le coup à chaque fois Santo, intervint Abi en lui tapant sur l’épaule, ce qui eut pour effet de déstabiliser le jeune homme.

 — Attendez ! Là-bas ! Un peu plus au sud.

 Devant le ton un poil plus sérieux de leur compagnon, Abi et Flat l’imitèrent.

 — On dirait le flanc d’un véhicule… commença Flat.

 — C’est Poisseux ! confirma Santo.

 — … et pas des plus courants, ajouta Abi.

 — Quand je vous disais que cette tempête annonçait de belles trouvailles. Ça commence plutôt pas mal, non ? » annonça joyeusement Santo.

Annotations

Vous aimez lire Philippe Ruaudel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0