Chapitre 1 - Écume - Partie 8

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***

 La marche avait puisé dans les dernières ressources de la jeune rescapée. Désormais, elle était soutenue constamment par Flat et Santo. Heureusement, l’un des sas d’entrée de leur bulle de vie se dessinait devant eux. Il fallait l’œil expérimenté des trois jeunes gens qui l’accompagnaient pour la distinguer au milieu du bric-à-brac que constituait l’ensemble des plaques et autres rebuts de la présence humaine. Des décennies avaient suffi pour générer de premiers îlots, puis ceux-ci se transformèrent peu à peu en un immense terrain flottant s’étalant sur plusieurs kilomètres carrés.

 Ce n’était là que la face émergée du monde sous-marin que l’humanité avait constitué depuis la colonisation de Fomalhaut-Ae. À quelques dizaines de mètres sous les pieds des quatre jeunes gens, l’amas de débris et les bulles de vie formaient, ce que ceux qui l’habitaient nommaient chaleureusement : la déchèterie. Elle s’enfonçait sur plusieurs centaines de mètres. À sa base, fermement attachée, on rentrait dans les Hauts-Niveaux. Ces lieux contenaient la majeure partie des habitants de la colonie. Sous cette zone, arrimée à différents points, se trouvait le centre névralgique de l’ensemencement humain, le vaisseau mère, le Markind Fomalhaut. Immergé intentionnellement, il avait laissé croître autour de lui, toute une zone s’étendant horizontalement. On y trouvait notamment les fermes aquatiques, toutes les installations manufacturières et les usines automatisées. Enfin, s’enfonçant dans les profondeurs océaniques de la planète, les Bas-Niveaux renfermaient une population qui vivait de tout ce petit monde qui le surplombait. Au fil du temps, ils avaient rompu les liens du passé avec les niveaux supérieurs, se refermant sur eux-mêmes, améliorant toujours plus la qualité de vie de ses bulles. Pour Abi, Flat, Santo et les habitants de la déchèterie, ils revêtaient le nom de Poisseux.

 Flat et Santo, peinant sur la fin du trajet, furent heureux de déposer la jeune rescapée sur une plaque à proximité du sas. Abi s’équipa rapidement, récupéra de quoi équiper la rescapée et ajusta sa besace sur son dos. Elle s’approcha de la jeune femme ajustant son masque de respiration, dont la confection datait.

 « Nous allons pénétrer dans un tunnel immergé. La descente n’est pas très longue. Vous pensez que ça ira ? On peut patienter un peu.

 — Non. Allons-y. Je commence à avoir du mal à rester à la surface. Je sens que je serai mieux dans l’eau.

 — Je comprends. Votre combinaison doit toucher à ses limites. Allons-y », acquiesça Abi en se relevant et se dirigeant pour déverrouiller l’accès, après avoir dégagé d’un geste rapide quelques débris gênants.

 Santo se baissa pour proposer son bras pour aider la jeune Poisseux à se relever.

 « Merci », lui offrit en retour la jeune femme au teint blanchâtre.

 Le regard qu’elle posa sur lui le troubla un instant. Flat tournait en rond. L’inquiétude le gagnait de nouveau. Abi le regarda et devina la petite phrase qui suivait son mouvement dans sa tête. Elle va nous marquer. Elle va nous marquer. Abi s’approcha d’un pas rapide et assuré et frappa deux fois dans ses mains sèchement.

 « Woh ! Flat ! Elle ne va pas nous marquer ! Arrête avec ça ! Tu veux quoi ?! Qu’on la laisse là ? Après tous ces efforts ? » lança-t-elle sans détour.

 Flat sembla accuser le coup. Il bougonna deux ou trois mots inintelligibles avant de dépasser Abi. Il ajusta son masque et plongea dans le tunnel. Abi fit un signe rapide de la main à Santo et sa protégée pour les inviter à suivre leur compagnon. Abi se prépara à plonger à son tour. Elle resta un instant en surface. Couvrant l’horizon, des nuages noirs et lourds avançaient inlassablement dans leur direction. La tempête s’annonçait un peu plus forte qu’elle n’avait prévu. Pas de regrets. Mais Santo va m’en vouloir, pensa-t-elle brièvement.

 Il portait sur son visage la marque de ceux qui mènent, gèrent et dirigent les autres dans leurs quotidiens. Les rides tailladaient son front et le bord de ses yeux noirs, sous lesquels deux larges poches semblaient contenir une fatigue trop longtemps accumulée. L’homme de taille moyenne se démarquait par de larges épaules que sa combinaison et les bandes de couleurs renforçaient. Il traversa l’allée d’un pas que l’on n’aurait pas souhaité interrompre : celui d’un père en colère. À peine avait-il pénétré dans la pièce, qu’il cria à pleins poumons.

 « Abi !

 La jeune femme ne se retourna pas tout de suite et termina de ranger son matériel dans un container placé au fond de la remise.

 — Qu’est-ce que vous fichiez à la surface, toi avec les deux autres abrutis ! Avec un risque de tempête aussi haut !, éructa le père, la bave aux lèvres et les yeux remplis de fureur.

 — Nous avons fait de belles trouvailles. La fenêtre météo était largement suffisante. Et Santo et Flat ne sont pas des abrutis, bien que ce dernier m’ait tapé un peu sur les nerfs, énuméra calmement sa fille.

 — Tu ne te rends pas compte du danger ! J’étais en train de préparer une décurie de sauvetage.

Abi s’approcha et fit enfin face à son père. Elle le regarda avec une infinie douceur. Puis le serra dans ses bras.

 — Nous avions largement le temps et tu sais bien que les plus belles trouvailles se font juste après les tempêtes.

 — J’ai eu si peur, sanglota l’homme.

 Abi laissa un peu de temps passer puis annonça.

 — Nous avons sauvé une jeune Poisseux.

 — Quoi ?

 — Elle allait se faire dévorer par un tourbillon. Je ne pouvais pas laisser faire ça.

 — Elle est où ? On va avoir une descente Poisseux. Son pimplant a dû vous marquer, s’inquiéta aussitôt le père.

 — Elle est dans le rond de soins avec Santo et sa mère.

 Elle sentit son père se tendre de nouveau.

 — Vous nous aurez tout fait, vous trois. Je présume que tu allais y retourner ? Je t’accompagne.

 Abi tendit un objet à son père.

 — Tiens.

 — Un compenseur Poisseux neuf ! Ma fille, avec ça mon labeur sera plus léger, s’exclama-t-il. Merci. Ne traînons pas plus longtemps. Allons voir votre trouvaille sur pattes », termina le père dont la colère avait été balayée par sa fille.

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