Chapitre 2 - Délivrance - Partie 2

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***

 Tout ce qui entourait la jeune femme s’apparentait aux habitants qui vaquaient autour d’elle. Un mélange de tout et de rien. Il en résultait une explosion de couleurs. Les habitats de Vitanova rivalisaient d’ingéniosité. Elle remarqua une petite plateforme où de nombreux éléments et objets étaient étalés, devant un homme assis à côté. Il veillait au grain. Une autre personne s’approcha comme pour regarder de plus près ce qu’il proposait, débutant un échange de gesticulations de négoce. Étroitement escortée par le père d’Abi et deux autres hommes, elle remarqua les regards appuyés, méfiants et suspicieux des personnes qu’elle croisait. Par un réflexe infantile, comme pour disparaître, elle baissa les yeux.

 Après avoir traversé plusieurs ruelles et une plus grande artère, où le père d’Abi dut user de sa puissance vocale pour leur dégager un passage, ils débouchèrent devant un bâtiment étrange. Il se démarquait des autres logements par son aspect technologique. Des excroissances pointaient sur le haut du logement. Des câbles couraient tout le long des parois pour s’engouffrer à l’intérieur. Un drôle de personnage se tenait sur le pas de la porte principale. En les voyant arriver, il se hissa sur la pointe des pieds comme s’il souhaitait voir ce que les trois hommes lui amenaient. Soudain, la forte voix du père d’Abi retentit, faisant sursauter la jeune femme.

 « Necko ! Au lieu de traîner devant ton rond, est-ce que tout est prêt ?

 — Oui. Je vous attendais. J’étais juste curieux de voir une Poisseux. C’est qu’ils se font rares, termina le petit homme avec un rire désagréable.

 — Si tu n’étais pas un petit génie de l’électronique, je t’aurais déjà mis un bon coup pied au derrière. Allez, file, on te suit », termina en riant le grand homme tout en emboîtant le pas du petit.

 L’étroitesse des pièces était renforcée par l’amoncellement erratique de pièces électroniques en tout genre. Des petites lumières diffusaient une lueur suffisante, mais qui ne présentait pas aux yeux de la jeune rescapée un sentiment de sécurité, comme elle avait pu le ressentir dans le rond de soins. La dernière pièce où ils pénétrèrent recelait en son centre un fauteuil appartenant à une ancienne navette entourée de pupitre en tout genre.

 « Nous y sommes. Vous vous sentez bien ? Ce ne sera pas long. N’est-ce pas, Necko ?

 La jeune femme ne répondit pas, continuant d’observer autour d’elle.

 — Oui, mon cher centurion Troval. L’affaire de quelques minutes, répondit le petit homme avec un petit mouvement burlesque quand il ajusta un pupitre qui risqua de tomber au sol.

 — Très bien », se félicita le grand homme en frappant dans ses mains.

 Le père d’Abi, Louis Troval, avait la charge d’une grande partie des événements qui rythmaient la vie au sein de Vitanova, ou la bulle, comme certains de ses habitants la nommaient plus aisément. Il était reconnu pour son bon sens, son volontarisme, et surtout, pour ses colères puissantes qui mettaient souvent un terme à d’interminables discussions.

 Le centurion se tourna vers la jeune femme.

 « Installez-vous. Ça ne prendra pas très longtemps, l’invita l’homme d’un geste de la main vers le siège.

 La jeune femme hésita un instant.

 — C’est sans douleur », annonça Necko, s’efforçant à afficher un sourire plaisant.

 Le siège, malgré son âge avancé, avait gardé toute sa souplesse. Elle se sentit enveloppée. La tête reposée en arrière, elle observait du coin de l’œil le petit homme s’activer sur les pupitres. Il ajusta de petites plaques blanches en haut du siège. Necko multiplia les allers-retours montrant de plus en plus sa circonspection. Louis Troval le remarqua.

 « À te voir gesticuler comme ça, Necko, c’est que quelque chose te chiffonne.

 — Je ne sais pas. Ce sont peut-être les récepteurs… Ils ne sont pas de la dernière génération et les Poisseux ne cessent d’améliorer leur matériel, souffla-t-il. Je reviens, lança le petit homme en partant, emmené par une petite danse burlesque pour éviter les hommes et les objets au sol.

 Necko disparut aussitôt dans une autre pièce. On l’entendait pester. Des bruits d’objets tombant au sol étaient aussitôt suivis d’un « Zut ! » appuyé. Au bout d’une minute, un « Aaah ! » de satisfaction retentit. Necko réapparut, le visage radieux.

 « Tu pourras remercier Santo et ta fille, Louis », indiqua Necko en montrant un boîtier d’un blanc immaculé.

 Il attrapa d’un geste rapide un outil qui lui permit d’ouvrir l’objet comme un coquillage. Il en extirpa deux plaques blanches similaires à celles placées au niveau de la tête de la jeune femme.

 L’opération fut rapide et il s’installa de nouveau devant ses pupitres.

 « Alors ? s’impatienta le centurion.

 — Son pimplant est mort. Cela confirme la première analyse.

 — Pas de risque d’être marqué. Mais, ça ne va pas nous faciliter la vie. Il n’y a rien à faire ?

 — Non, il est totalement grillé. Je n’ai jamais vu ça. Il ne répond même pas aux appels passifs. À part lui ouvrir le crâne pour le récupérer et tenter de trouver quelques indices…

 À ces mots, le centurion sentit la jeune femme se raidir.

 — Rassurez-vous. Il plaisante, répondit le grand homme en lançant un regard appuyé à Necko haussant les épaules. On n’en viendra pas là. Cependant, nous avons toujours un problème de taille. Nous ne connaissons toujours pas votre nom et l’origine de votre naufrage. Nous n’irons pas plus loin aujourd’hui. Je vous ramène chez Nella », annonça Louis en tendant la main vers la jeune femme pour l’aider à s’extirper du confortable siège.

 La jeunesse est souvent synonyme de curiosité. La nouvelle de la traversée de la bulle d’une Poisseux vers le local de Necko s’était répandue comme une traînée de poudre. Le chemin du retour fut plus mouvementé. Le centurion dut faire preuve de son autorité et demander l’assistance de ses hommes à plusieurs reprises. Les réactions étaient mitigées : certains cherchaient à s’approcher de la jeune Poisseux, d’autres montraient une hostilité non dissimulée.

 Heureusement pour la jeune femme, Santo et Abi les rejoignirent. Ce fut comme une bouffée d’oxygène pour la jeune femme, se sentant noyée au milieu de tous ces regards et expressions. Malgré cela, au détour d’un virage, elle s’écroula. Le stress et la fatigue l’avaient vaincue. Aussitôt, un des hommes et Santo la relevèrent. À raison de plusieurs pauses et relais, le petit groupe parvint, tant bien que mal, à rejoindre, ce qui lui apparaissait comme un havre de paix : le rond de soins de Nella.

 À leur arrivée, tandis que Santo emmenait la jeune femme s’allonger, le centurion eut toute la peine du monde à contenir la colère de Nella.

 « Vous êtes vraiment inconscients ! Ça ne pouvait pas attendre un jour ou deux qu’elle se rétablisse !

 — Nous n’en avions pas pour longtemps, Nella. L’aller s’est bien déroulé…

 — Le retour, moins bien, apparemment… lui rétorqua Nella en fixant le centurion dans les yeux.

 — Ce sont les jeunes. J’avais beau les repousser et leur hurler dessus. Ils revenaient constamment par vagues successives. Voir une Poisseux en vrai. Enfin, tu sais bien… tenta Louis.

 — Ton manque d’anticipation m’a surpris, Louis. Elle est fragile. Son état psychologique est très instable.

 — Physiquement, elle avait l’air de bien se porter pourtant. Elle est malade ?

 — Être enceinte n’est pas une maladie, Louis, annonça Nella à voix basse.

 — Quoi ?

 — Oui, j’ai effectué des analyses de contrôle et le résultat est sans appel. Elle attend un enfant. Cette jeune femme est au début de sa grossesse.

 — Elle le sait ?

 — Non. Bien sûr que non. Je vais lui annoncer quand elle sera rétablie.

 — Très bien, Nella. Si j’avais su…

 Nella lui répondit en haussant les épaules et regarda en direction de l’endroit où dormait la jeune Poisseux.

 — Pauvre gamine. Seule. Perdue. Sans repère. Elle devra affronter tellement de choses dans les prochains mois… Si seulement nous en savions plus sur elle.

 — Oui. Mais c’est mal parti. Necko n’a rien pu faire. Son pimplant est mort, indiqua Louis regardant dans la même direction.

 — Je m’en doutais un peu. Il lui faut au moins un prénom. Ça facilitera la communication et renforcera sa confiance envers nous.

 — À mon avis, elle se sent proche de Santo et Abi. Je vais leur en toucher un mot.

 — Oui. C’est une bonne idée », conclut Nella.

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