Le bonheur de bonne heure.
Je regarde les deux alliances qui prennent la lumière de la petite lampe de chevet sur mon bureau. Ces deux alliances, c'est ce qui me reste du jour où j'ai uni ma vie à l'Amour de ma vie. Ce jour où j'ai reçu son nom. Ce jour où nous nous sommes engagés sur un chemin de vie.
J'avais 15 ans et demi quand la porte s'est ouverte sur lui. Je l'ai vu et je me suis dit : "Il sera mon mari et le père de mes enfants". J'ai dansé dans ses bras, nous étions un couple de danseurs. Il est devenu mon cavalier et mon meilleur ami. Aimable et gentil, souriant et charmeur, il jetait sur nos 23 ans de différences un regard tendre et amusé, il faisait tellement moins que son âge et on m'en donnait toujours 5 de plus.
Passé le seuil de mes 18 ans, je pouvais marcher à ses côtés et entrer dans sa vie. Un jour, marchant à côté de lui, j'ai laissé ma main frôler la sienne et je ressens encore l'intensité de l'étincelle qui a embrasé mon cœur, au moment où ses doigts se sont refermés sur les miens. Et que dire de ce soir où il a enfin réussi, osé à poser ses lèvres sur les miennes. J'ai encore le goût de ses lèvres sur les miennes, tout est si fort, si intense, imprimé en moi.
J'ai si mal d'écrire ces mots et les larmes roulent sur ma joue, à l'évocation de ce bonheur qui était le notre. Il était la magie de mon quotidien, nous dansions au-dessus des pistes de danse, sans limites de temps, juste dans le plaisir de la musique et de la valse intemporelle.
Il aurait pu dire non, il aurait pu être pris, il aurait pu avoir peur de s'engager, mais non, tout s'est déroulé paisiblement. Il s'est laissé glisser dans cette aventure, avec confiance et solidité. Il a accompagné mes 18 ans balbutiants, il m'a aidé à grandir, à devenir femme, il a fait de moi son épouse, il a fait de moi une maman et il est devenu un merveilleux papa : attentionné, tendre, bienveillant. Il se réveillait la nuit pour me soutenir, quand, épuisée, j'allaitais un de nos petits. Il a été extraordinaire avec eux, ne les grondant que du bout des yeux, qu'il n'arrivait pas à faire "gros" pour les reprendre ou les discipliner. Il disait que c'était tellement facile pour moi de le faire, il disait qu'avec mes yeux et ma voix d'institutrice, je faisais ça très bien. Ça me faisait raler, mais je sais aussi qu'il faisait le job quand il était tout seul avec les trois loulous à bout de bras. Il a marqué les esprits, dans notre commune. Beaucoup se souviennent de lui, de sa gentillesse, de son sourire et de sa façon de vivre sa paternité, à l'heure où tant étaient grands-pères.
Notre Amour n'a jamais cessé de vibrer en nous.
Cela fait 14 ans que la maladie a gagné, cela fait 14 ans que j'avance sans lui, seule et un peu désemparée, seule et sans sa main sur moi, seule et sans ses yeux posés sur moi. Plus de danses pour lui et moi, juste le souvenir de toutes celles que nous avons dansées et qui font, parfois, tellement mal. J'ai vécu 14 ans avec lui, nous n'avons pas pu fêter nos 10 ans de mariage, je n'ai eu droit qu'à un tête-à-tête en face de sa tombe, le regard figé dans l'immensité du ciel, à guetter un signe.
Je sais que j'ai eu ce bonheur immense d'avoir touché du doigt le véritable Amour, celui qui fait vibrer chaque parcelle du cœur, celui qui fait tout voir en plus grand. Je sais maintenant pourquoi les larmes ont une telle saveur : c'est celle de l'intensité de l'Amour que je lui ai porté et que je continue de lui porter, au-delà de la mort.
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