Agonie

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Ma tête… Pourquoi Hazu gueule si fort ? Mais, tais-toi dont, mon garçon, je t’entends, pas la peine de crier !

Warren ouvrit les yeux. Le troisième soleil au zénith l’aveugla et ses tripes se vidèrent sur le sol de gravier. Sa jambe droite le faisait atrocement souffrir et il n’avait aucun souvenir des récents événements. Tout ce qu’il savait, c’était que la voix d’Hazu résonnait dans sa tête comme une migraine de lendemain de cuite. Quand ses pupilles furent habituées à la luminosité de l’après-midi, Warren découvrit Yokūbo, encore inconsciente, à quelques mètres de lui. Même si sa mémoire lui faisait défaut, la bouche monstrueuse de la gardienne restait gravée sur ses paupières. Dans une flaque de sang noir, il repéra le Tout. L’agonie de chacun de ses mouvements lui fit tourner de l’œil plusieurs fois, mais il parvint à s’emparer de l’artefact, avant de ramper hors de portée de la démone. Au prix d’un effort surhumain, il se hissa debout, reprit son épée et boita en direction du pont.

Un claquement de fouet ô combien douloureux lui zébra et entailla sa chair dans une gerbe vermillon. Il s’effondra au sol, un genou à terre et son épée plantée dans le gravier, comme un guerrier déchu. Bientôt, le liquide poisseux forma une marre rouge autour de lui. Impossible d’utiliser les Runes de sang dans son état et son épaule disloquée pendait mollement comme la trompe d’un Kephyr. Dans ses derniers instants, Warren se surprit à penser à Hazu.

Poussé par un cri bestial, le mercenaire se traîna, un mètre, deux mètres. Il refusait d’abandonner, de mourir ainsi, entre les griffes d’une succube meurtrière. Une chaleur visqueuse s’enroula autour d’une de ses jambes et le tira en arrière comme un chat attrape une souris par la queue. Soulevé dans les airs, Warren fit de nouveau face à son adversaire, la tête en bas, la langue démoniaque de Yokubo enroulé sur sa cheville.

La gardienne n’avait rien perdu de sa beauté, son corps de déesse intacte malgré leur affrontement. Ses yeux noirs brillaient d’une cruauté et d’une faim que seul le meurtre pouvait satisfaire. Elle secoua sa proie et le frappa contre un des murs du temple. Une empreinte sanguinolente souilla la chaux du bâtiment et Warren laissa échapper un cri de douleur. L’Ancienne recommença son manège, telle un chat qui martyrise sa proie. Au bout du troisième impact, l’homme ressemblait à une nouille de riz trop cuite et la démone perdit l’intérêt de le cogner encore une fois contre le mur.

A cette occasion, meut d’une énergie nouvelle, l’homme trancha d’un coup la langue reptilienne. Il s’écrasa de tout son poids, tête la première, sur le sol souillé de son sang. Les cris stridents de Yokubo lui perçèrent les tympans. Il était si proche de l’arche que l’adrénaline lui fit oublier toute douleur. Il se traîna, centimètre par centimètre, pendant que la démone, folle de douleur, tentait de contenir le flot de sang qui glicalit de sa langue coupée. Enfin, Warren sentit le bois du pont sous son visage et il s’évanouit.

Derrière lui, Yokubo frappait une barrière invisible qui l’empêchait de finir l’exécution de sa proie. La barrière magique vibrait sous chacun de ses assauts mais la geôlière se trouvait derrière des barreaux d’une prison qu’elle n’avait pas créée. Quand le dernier soleil se coucha, elle avait disparu, résignée.

Ce n’est que bien plus tard que Warren se réveilla. Il n’avait aucune idée de combien de temps il était resté inconscient sur ce pont mais ces blessures étaient guéries. Incrédule, il bougea son épaule, ses jambes, son dos. Rien, aucune douleur. Quand une main vint tapoter son crâne, son épée scinda l’air dans un arc de cercle parfait et découpa son assaillant, qui n’était autre que le serviteur au visage tatoué. Son corps laissait voir le temple en transparence. Alors Warren comprit.

Son temps dans le monde des esprits fut bref : les plans de l’Eternelle étaient aussi incompréhensibles qu’inéluctables. Warren fut recraché dans son plan d’existence comme un vulgaire pépin. Son fantôme réintégra son enveloppe charnelle, les blessures aussi douloureuses qu’il s’en souvenait. Le poids de la fatigue sur son corps meurtri lui arracha un grognement rauque et Warren se remit en marche. Il ne savait pas où il allait, mais la voix de Hazu dans sa tête guidait chacun de ses pas.

Après deux jours de marche, Warren n’avait plus de force et la voix de son ami c’était fait lointaine. Il s’effondra d’épuisement dans un fossé.

Oh par l’Eternelle, tu es vivant !

Cette voix, elle était de retour. Et ce parfum.

« Warren, oh, Warren ! Réveille-toi par pitié ! Warren, t’as pas fait tout ce chemin pour me crever dans les bras ! »

L’homme souleva son unique paupière encore mobile et observa les traits fins de son ami avant de sombrer dans l’inconscience.

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