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Jacques s'arrêta devant la chambre de sa sœur, prêt à frapper sur la porte; la jeune fille le sentit attendre puis repartir sans un bruit. Dans son lit, cette nuit-là, le conscrit contempla longuement le ciel, plein d’espoirs. Le lendemain, il ne se retourna que pour adresser un sourire confus à Constant, emportant avec lui toutes les promesses d’avenir faites en son nom. Aurélie ne pleurerait pas. Résignée, la jeune fille consentait en cette heure à tout sacrifice, sans réserve; sa conscience allait vers la guerre et son cœur à la paix. Les intérêts sublimes de la patrie ne passaient-elles avant ses émotions? Un châle sur les épaules, Aurélie prit la valise de son frère jusqu’à la gare – elle n’aurait pu le laisser partir sans adieu –. Leurs rires s’étaient tus. Jacques serra la main de quelques camarades amassés sur le quai; déjà, son absence faisait souffrir la jeune fille. Le reconnaîtrait-elle?

« Va faire ton devoir, cher frère ».

Jacques monta en voiture derrière d’autres appelés qui attrapaient en vol les chastes baisers adressés au loin par de timides inconnues. Qu’ils semblaient fiers! Le train s’ébroua puis accéléra. Aurélie regrettait de ne pas avoir fait promettre au jeune homme de ne pas mourir. N’avait-il toujours tenu parole? Un étrange corbillard l’emmenait à présent vers un horizon inconnu.

« Reviens-nous vivant; nous ne t’aimerons que davantage ».

Aurélie monta à l’église par les escaliers taillés dans le roc qui permettaient d’observer le faubourg depuis le promontoire – les vapeurs des trains à l’arrêt ou de passage en gare se perdaient dans le ciel où s’élevaient des oiseaux qu’elle ne parvenait guère à nommer –. Le père Ambert accueillit sa prière; celui-ci n’ignorait pas la gravité des combats sévissant à la frontière franco-belge.

« Les batailles se gagnent parfois si facilement, reconnut Jacques. Aurai-je du courage face aux Allemands? »

*

Quelques minces souvenirs que le jeune homme croyait depuis longtemps oubliés lui revinrent à l’esprit. Un jour, il avait gagné aux osselets contre le fils Larmont, considéré comme une terreur dans la cour de récréation, particulièrement par ceux qui ne craignaient pas la bagarre sans la chercher non plus; Jacques avait été fier de tenir tête à ce garnement sans lui asséner un coup de poing.

Un inconnu vint s’asseoir à ses côtés, troublant ses pensées.

— La guerre est là, déclara Antoine. Je ne la crains plus; enfin, je pars me battre.

Deux solitudes se rencontraient, une amitié se créait. Ensemble, les conscrits partaient vers la caserne comme ils avaient rejoint les bancs de l’école. Jacques comprit que le deuil de son enfance passerait par de telles amitiés. À lui de se créer une nouvelle identité sous l’uniforme qu’il endosserait bientôt; ainsi, le jeune homme abandonnait à Alban la responsabilité confiée par leur père, quelques mois plus tôt. L’aîné ignorait la rude vie militaire, ses brimades et le poids d’un barda qui pèserait plus lourd que ses propres souffrances. Penserait-il à sa famille? Son départ avait dénoué les liens qui l’unissaient à elle. Aurélie ne fut bientôt plus qu’une image dont il ne parvenait pas toujours à se rappeler, comme si Jacques se défaisait de la mémoire de son visage pour ne plus regretter sa présence; elle avait perdu toute réalité et devenait une pensée.

La guerre durerait...

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