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La mort n’attendait pas.

À entendre les cris d’un camarade qui, intoxiqué par les premiers gaz que certains soldats de son régiment avaient inhalés lors de l’offensive menée en Champagne, appelait sa mère, Jacques se rendit compte que la sienne n’avait plus de visage depuis longtemps. Quand l’avait-il embrassée pour la dernière fois? Le jeune homme savait qu’il avait reçu l’élan qui permet de vivre, comme il avait trouvé la force de continuer à espérer, malgré l’absence, malgré la guerre, parce qu’il avait été aimé; hélas, il n’avait su se confier, par pudeur, par prudence aussi. Jacques ne conservait plus qu’un souvenir lointain de ceux dont il confiait l’adresse à d’autres soldats qui, comme lui, souffraient de cet exil forcé en une terre maudite; face au parapet, chacun s’assurait toujours qu’un ami pourrait écrire aux proches demeurés à l’arrière. Certes, il avait fait sienne cette vie. Tant que ses jambes pouvaient porter ce corps sale et laid qu’était devenu le sien, Jacques avançait vers les lignes ennemies.

Devant, toujours droit devant.

Aucun roman ne lui avait fait entrevoir le dur quotidien de cette guerre atroce à laquelle il crut, quelque temps, devoir son immersion dans le monde; les morts des barricades prirent le nom de ses camarades, le dormeur du val adopta un pantalon aux teintes du ciel...

Jacques compris la bêtise des siens.

Tout ce qu’il ne dirait pas, il allait l’écrire; le poète confia ainsi sans honte ni pudeur ce qu’il vivait sur le front avec ses camarades.

Son quotidien avivait sa plume.


Odeur fétide,

Je te sens; je te respire.

Tu es en moi.

Odeur nauséabonde,

Je te méprise; je te rejette.

Tu m’étouffes.


La littérature était présente dans le vent qui soufflait, sur les gouttes d’eau qui suintaient contre les parois, au cœur de l’obscurité qui se posait lentement sur la tranchée...

Que les soirs de guerre paraissaient plus doux!

Jacques attendait avec une vive impatience les nuits de pleine lune durant lesquelles la belle rousse se levait; blanche, elle éclairait de sa lointaine lueur la route de Sainte-Menehould qu’il empruntait quelquefois. Le jeune homme s’arrangeait pour s’installer près de l’entrée de sa cagna, abandonnant à d’autres le peu de confort qu’offraient les recoins aménagés à l’abri du froid et des éclats d’obus. Son inspiration était comme la lueur émanant d’une bougie. Il ne négligeait aucun détail de sa vie militaire, n’oubliant ni ses frères d’armes ni ses officiers; ainsi dressa-t-il le portrait fidèle d’un soldat qui reniflait maladivement avant chaque assaut...

Jacques saurait ce qu’était sa guerre.

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