Chapitre 2

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Ce soir-là, Chloé n'eût pas envie de rester dormir au manoir, ni de rentrer immédiatement à son appartement. Ce soir-là , depuis longtemps, elle se sentit à nouveau l’orpheline abandonnée du foyer lorsque sa sœur avait été contrainte d’en partir. A la différence près que cette fois, sa sœur allait partir de son plein gré. L’absence de ses parents une grande partie de sa vie avait été suffisamment éprouvante. Et voilà que maintenant il allait falloir se séparer de la seule personne de sa famille qui restait ? C'était tout simplement impensable. Comment Sabine pouvait même songer à accepter ?

Peter leur avait annoncé qu'il avait obtenu une promotion à Londres où il était né avant que ses parents décident de venir habiter en Languedoc, tombés amoureux du paysage pendant des vacances. C'était pour lui une extraordinaire opportunité professionnelle qu'il n'avait même pas songé à refuser. On lui confiait enfin la gestion pleine et entière d’un portefeuille de clients français expatriés. Eh bien soit ! Qu'il parte, mais laisse sa sœur en dehors de ça, puisque de toute évidence il n’aurait pas une minute à lui accorder là-bas. Sabine cependant avait été prise de la même excitation à l'annonce de cette nouvelle. S'en était suivi un repas entrecoupé de consultations de pages internet pour trouver les meilleures crèches pour le petit Benjamin.

« Oohhh !!! On pourrait même le mettre dans le même établissement que le royal Baby! »

Toutes les pages sur l'immobilier à Londres avaient été vues, et Sabine avait déjà repéré un 3 pièces tout près de Notting Hill. Chloé s'était un temps laissé gagner par la joie générale, jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive qu'ils étaient réellement sérieux.

Et la cerise sur le gâteau était arrivée telle un coup de massue éclaboussant le glaçage parfait au passage : pourquoi ne pas mettre le manoir en location en attendant pour qu'il ne s'abime pas ?

Pourquoi? Pourquoi??? Il lui avait fallu une bonne dose de maîtrise d'elle-même pour ne pas exploser. Comptait-elle vraiment laisser des étrangers souiller le sol de leur maison d’enfance ? Effacer de leur présence les souvenirs des années bénies où ils étaient tous réunis le dimanche midi autour du traditionnel mais néanmoins délicieux poulet-frites de leurs parents ? Et plus important encore : allait-elle à son tour l’abandonner ? Sa seule famille ?

« Je ne t'abandonne pas, bêta ! Tu es une adulte épanouie et occupée. Tu as ton affaire à gérer, et tes appartements ! Si je ne venais pas exprès le midi pour déjeuner au salon on ne se verrait pas de la semaine . Tu n’as vraiment pas besoin de moi sur place.

- Je ne savais pas que tu te forçais…

- Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais reconnais que ta vie est bien remplie. Quand tu n’es pas dans ta boutique, tu es avec Jonas à rénover cet immeuble près des quais.

- C’est mon gagne-pain Sabine ! Il ne s’agit pas d’aller faire la fête. Avec Jonas on fait les plans pour tirer le meilleur parti possible des surfaces et … Oh mais je ne sais même pas pourquoi on parle de ça ! Tu n’as pas remarqué que les week-ends je les passe avec vous ? Que je n’ai pas franchement de relations autres que celles de mon travail ? Sérieusement, tu veux devenir la petite épouse au foyer expatriée à Londres ? Tu es bien ici non ? Ton boulot d’agent immobilier te plait non ? Tu n’es pas bien ?

- Bien sûr que cela me plait. Mais je peux exercer mon métier n’importe où du moment qu’il y a des maisons à vendre. Mais c’est une chance de pouvoir tester autre chose.

- Et Benjamin, tu y penses ? Tu vas le couper de sa famille.

- Bien sûr que j’y pense . Ce genre d’opportunité ne se présente pas deux fois. Benjamin pourrait grandir en devenant bilingue. Tu ne trouves pas que c’est une chance ? Et puis on continuerait à se voir, ce n’est pas si loin Londres. On est en 2018 je te rappelle, avec tout ce qui va avec : les avions, les trains et internet bien sûr !

- A la bonne heure ! Peter pourrait partir la semaine et revenir le week-end alors.

- Mais enfin Chloé ! Tu dis n'importe quoi, j'ai 36 ans, je ne vais pas laisser mon mari partir sans moi, ni même priver mon fils de son père tout de même... C'est ma famille ! »

Ces mots l'avaient touchée en plein cœur. Et elle alors, qu’était-elle ? Elle adorait son beau-frère et son neveu et ne les avait jamais vus jusqu'à présent comme des rivaux. Créer sa famille était-il donc nécessairement synonyme d'oubli de sa fratrie ? Un arbre n'est-il pas capable de faire pousser de nouveaux fruits tout en restant enraciné ? Fallait-il à tout prix choisir ? Durant tout cet échange les hommes s'étaient tenus en retrait, l'un par culpabilité car il se savait être le responsable de ce chamboulement. L'autre par surprise car jamais encore il n'avait perçu une telle fragilité chez celle qui semblait toujours tout mener de front avec brio. Sauf peut-être sa vie sentimentale. Aux quelques événements familiaux dans lesquels ils s’étaient croisés, elle n’était jamais accompagnée du même homme. Aucun ne semblait avoir eu le tempérament nécessaire pour faire face à sa propre force de caractère. C’était donc là un trait bien caché de sa personnalité qu’il venait de découvrir. Mademoiselle la chef avait-elle réellement besoin de quelqu’un dans sa vie ?

Après cet échange un peu vif, elle s'était ressaisie et avait prétexté la fatigue pour écourter la soirée. Elle avait félicité le couple pour ce nouveau projet en feignant de l'accepter et de le comprendre pour ne pas ajouter l'humiliation du rejet à la tristesse. Tout occupés qu'ils étaient à organiser leur nouvelle aventure, ils l'avaient laissée partir sans remarquer qu'elle avait boudé son dessert, détail n'avait cependant pas échappé à Daniel. Il l'avait suivie des yeux lorsqu'elle avait pris congé sans ramener les assiettes à la cuisine. Les traditionnelles embrassades avaient alors fait place à un furtif salut. Puis elle avait trébuché dans l'entrée, et était sortie à la va-vite, sans manteau ni sac.

Elle était désormais assise là, face à la mer, écoutant le ressac incessant des vagues qui avaient jadis bercé ses jeunes années. Il y avait une légère odeur iodée indiquant la présence d'algues sur les rochers formant la digue. Le poste des maîtres-nageurs était son refuge. Tout en haut elle avait une vue surplombant la plage. Le toit et les murs de cette modeste construction constituaient un rempart efficace les tant contre les intempéries que contre les chagrins. Du moins le pensait-elle jusqu’alors. Car ce soir, elle était gelée et ne parvenait pas à apaiser sa peine. Elle était souvent venue pour méditer dans le silence de ce littoral, ayant enfin la Méditerranée pour elle seule. L'endroit était sans doute utilisé par d'autres promeneurs solitaires mais étant donné le peu d'habitants aux Cabanes, s'y trouver à plusieurs en même temps était plutôt exceptionnel. Il semblait y avoir un code d'honneur tacite qui y était attaché : quiconque arrivait en premier avait droit de cité. Les suivants devaient passer leur chemin.

Une voix d'homme vint troubler la mélodie de l'eau. Daniel ne connaissait manifestement pas le code en vigueur...

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