II

18 minutes de lecture

 La jeune femme ferma le livre à regret et se leva. Avant d’aller dans la chambre que Garance et la petite dernière (pour quelques semaines encore !), elle enfila ses chaussures et prépara les affaires de sa fille. Il fallait être efficace avec Aiko, sous peine de la voir se changer en lion et partir seule à l’école chercher les grands. L’école, c’était sacré et elle attendait son tour avec une impatience absolument adorable. À peine eut-elle ouvert la porte qu’Aiko était assise dans son lit, le regard plein de sommeil, mais un grand sourire aux lèvres.

  • Coucou ma chérie ! On va à l’école chercher Maël et Garance ? Tu vas voir Abel aussi ?
  • Oui ! s’écria la petite fille en descendant de son lit pour se précipiter dans les jambes de sa mère.

 Elena s’assit sur le petit lit et récupéra les petits vêtements qu’elle lui avait enlevés pour dormir et qu’elle enfila avec empressement. En moins de dix minutes, elles étaient habillées de pieds en cape, prêtes à partir.

  Sur le chemin de l’école, Elena se demanda si elle allait vraiment oser demander à Myriem de l’emmener. D’ordinaire, elles faisaient tout en poussettes toutes les deux dans leur petite ville, mais manque de chance, sans voiture, impossible pour la jeune femme de se rendre chez son médecin et son amie était la seule qui pouvait l’y emmener. Elle serait donc forcée de prendre son courage à deux mains pour lui demander.

 Elle arriva bien avant l’heure de l’ouverture du portail, comme tous les jours. Elle s’assit sur le banc inondé du soleil printanier. La jeune femme détacha Aiko afin qu’elle profite du soleil pour courir un peu. Elles n’eurent pas à attendre longtemps avant qu’un petit garçon à la peau hâlée et du même âge qu’Aiko arrive en courant en criant son prénom. Derrière lui marchait Myriem.

 C’était une jeune femme souriante, à la peau dorée par le soleil du Maroc. Ses cheveux d’un noir de jais balayaient ses épaules en épaisses boucles qui tressautaient sous son pas dynamique.

  • Alors, Elena, tu es déjà là ? Si tu continues, ça ne sera pas la peine de rentrer le matin, tu les attendras directement ici ! plaisanta-t-elle.
  • Ce n’est pas de ma faute ! Impossible de prévoir le temps que je mettrai à venir, avec ça, fit-elle en désignant son ventre lourd.
  • C’est bien ce que je dis, tu devrais rester là et attendre !

 Son amie lui dédia un sourire éclatant qui la fit rire. Myriem était un rayon de soleil. Elle amenait de la chaleur quand la tristesse et la fatigue dominaient. Elle avait les pieds sur terre et aidait Elena à faire le tri entre imagination trop fertile et réalité. Elle tempérait la jeune femme, lui apportant le calme de la froide réflexion. Et ce jour-là, Elena avait cruellement besoin de cette objectivité.

  • Dis-moi, Myriem ? fit Elena.
  • Oui ?
  • Tu pourrais m’emmener chez le médecin ?
  • Bien sûr, répondit la jeune femme, mais n’oublie pas que demain c’est férié !
  • Oui, j’avais prévu mercredi, ça te va ?
  • Oui, de toute manière, le mercredi matin, j'ai le temps de ne rien faire avant de venir chercher les enfants à midi, ça occupera notre matinée ! Tu y vas pourquoi ?

 Elena ne répondit pas et tendit son cou, pointant la masse qui ornait la base de son cou.

  • Ah. Wow, lâcha Myriem.
  • On est d’accord, oui. Je vais prendre rendez-vous à 10h, pour que nous ayons bien le temps.

 Son amie n’eut pas le temps d’acquiescer que la cloche de l’école annonçant la fin de la classe sonna. Les deux jeunes femmes récupérèrent leurs enfants, occupés à dépiauter les buissons devant le portail.

 Comme tous les jours à la sortie des classes, les six enfants qu’elles cumulaient étaient surexcités. Myriem avait deux fils, le petit Abel qui avait l’âge d’Aiko et Yaël et une petite fille de l’âge de Garance, Balquis. Tous les trois avaient hérité du teint miel et des cheveux noirs et soyeux de leur mère. Ils avaient tous des yeux d’ébène, profonds, ourlés des cils fournis et bruns de leur père, donnant à leur regard une douceur veloutée. Elena se prit à admirer la beauté de ces enfants, regrettant que les siens n’aient pas pris la couleur dorée de l’Espagne qui coulait dans ses veines, mais celle d’albâtre de la Bretagne d’où Mathieu était originaire. Elle regarda de loin ses deux plus grands jouer avec Yaël et Balquis. Ils étaient beaux, évidemment, mais une touche de bronzage, était-ce trop demander à la nature ? Elle se prit à rêver son petit astre avec une peau tel un petit pain sortant du four et sourit.

  • Tu penses à quoi ? demanda Myriem, voyant son amie plongée dans ses pensées et étrangement silencieuse.
  • À Astrée, répondit la jeune femme. Je me demande comment elle sera ! Tu peux me donner la recette pour faire des enfants du soleil ? Trois fois que j’essaie et je n’ai pas encore réussi !
  • Tu as encore une chance, ne désespères pas ! s’amusa son amie. Mais bon, mon secret tu le connais ! Le Maroc, le Maroc, le Maroc !
  • C’est un peu trop tard pour ça, je le crains, fit Elena avec un petit rire. Je suis pratiquement certaine que ce dernier bébé sera tout aussi blanc que les autres, ignorant parfaitement mes gènes pleins de soleil !
  • Fallait mieux choisir !

 Elles continuèrent de plaisanter et de gérer leur troupe, criant aux plus grands de rester près des plus petits, qui tentaient de les rattraper. Comme souvent quand le temps était clément, les deux familles restèrent tard dehors, les enfants jouant dans le petit parc près de chez eux et les deux amies, discutant de tout et de rien sur le banc, se levant régulièrement pour aider les petits sur le toboggan, leur retirer bâtons et feuilles de la bouche et distribuer le goûter.

 Vers 17h, Elena prit congé de son amie, à regret. Cette parenthèse dans ses questionnements lui avait fait le plus grand bien. Myriem semblait si sûre d’elle-même quand elle affirmait que ce n’était sans doute rien, que la santé d’Elena était solide comme le roc dont sont faites les forteresses centenaires. Et en effet, la jeune femme était rarement malade, pourquoi s’inquiétait-elle autant ? Elle secoua la tête comme pour en faire tomber les soucis.

  • Mais Maël-heu ! cria la petite Garance, tandis qu’ils montaient les escaliers.
  • Qu’est-ce qui se passe encore ? demanda Elena qui surveillait Aiko qui montait à quatre pattes devant elle.
  • Il me pousse !
  • C’est pas vrai ! se défendit le petit garçon. C’est elle qui m’embête ! Elle essaie de tricher pour gagner la course !
  • Ça suffit maintenant, coupa la jeune femme. Vous n’avez pas le droit de faire la course dans les escaliers, vous le savez, c’est dangereux !
  • Oui, mais… commença Maël, avant de croiser le regard noir de sa mère qui n’autorisait aucune réplique.
  • Allez, dépêchez-vous de monter, maintenant.

 Peu de temps après, ils étaient tous entrés, les manteaux et les sacs éparpillés sur le sol de l’entrée tandis que les enfants, suivis aussi rapidement que possible par leur mère, filaient dans la salle de bain pour se laver les mains.

  • Maman, on peut mettre la télé s’il te plaît ?

 Les yeux suppliants, l’air d’un parfait petit ange, Maël se posta devant sa mère épuisée. La jeune femme réfléchit à peine une seconde avant de céder.

  • D’accord, mais je veux du calme et tu laisses ta sœur s’asseoir à côté de toi. Sans bagarre, d’accord ?
  • Promis maman, merci merci merci ! répondit le petit garçon en sautillant et en se dirigeant vers le poste de télévision.

 Le calme demandé par Elena ne s’installa que quelques minutes plus tard, lorsque Maël eut imposé le programme à ses sœurs qui regardaient la même chose en boucle. Mais la jeune femme n’intervint pas, laissant ses enfants se chamailler, malgré l’exaspération de les entendre crier. Elle ramassa les vêtements et chaussures épars, avant de se rendre dans la cuisine préparer le repas.

 Avant d’oublier, la jeune femme prit son téléphone et prit rendez-vous sur le site internet de son médecin. Au moins, c’était fait, elle pouvait continuer. La routine du soir recommençait, inlassablement, quel que soit son état de fatigue.

  • Garance, mange, au lieu de jouer avec la nourriture, soupira Elena.
  • Mais c’est pas bon, geignit la petite fille.
  • C’est trop bon, les haricots verts. Goûte, tu verras, essaya de la convaincre Maël.
  • Ton corps en a besoin, tu sais. Je suis sûre que les fées mangent des légumes, tenta la jeune mère. Goûte au moins, c’est important.

 C’était le même cirque tous les soirs avec Garance. Heureusement que Maël et Aiko étaient plus simples de ce côté-là. Ça lui évitait des repas de bagarre. Elle regarda sa fille grignoter un haricot du bout des dents avant de se jeter sur son morceau de viande, délaissant également les pâtes, qu’elle avait pourtant pris soin de choisir à l’effigie de ses princesses préférées. La petite fille était en pleine forme, elle n’avait donc pas à s’inquiéter, mais elle aurait préféré la voir manger avec appétit, comme les autres.

 Elle ne réussit pas à convaincre Garance d’avaler quoi que ce soit d’autre que son steak haché et un demi-haricot, aussi capitula-t-elle et proposa fromage et dessert qui furent rapidement engloutis.

 Très vite, Elena enchaîna sur une toilette rapide, les pyjamas et le coucher.

 Elle avait quitté la chambre des filles à peine cinq minutes que des pleurs parvinrent à ses oreilles. La jeune mère se releva en soupirant pour rejoindre sa petite dernière, le ventre lourd de la soirée fatigante. Aiko refusait une fois encore de dormir, à son grand désespoir.

  • Eh bien, ma chérie, il faut dormir, maintenant, murmura-t-elle à l’oreille de sa fille après s’être agenouillée près d’elle.
  • Non, lança la petite fille en enlaçant le cou de sa mère. É pas dodo Aiko, maman. É venir avec toi !
  • Non, Aiko ! Dors, je suis fatiguée moi ! s’écria Garance, qui dormait dans un petit lit à côté d’elle et qui articulait difficilement, le pouce vissé dans la bouche.
  • Chut, les filles, intervint Elena. Ne vous battez pas. Je vais rester jusqu’à ce que vous dormiez.

 La jeune femme s’extirpa de l’étreinte d’Aiko pour rejoindre Garance, dont les petits yeux se voilaient déjà de sommeil.

  • Je t’aime ma toute petite chérie, dors bien. Aiko ne criera plus, ne t’en fais pas.
  • Je t’aime maman, susurra la petite fille en caressant la joue de sa mère.

 Elena borda sa fille et rejoignit son autre enfant, la recoucha, s’agenouilla près d’elle, alluma la veilleuse musicale et lui prit la main.

 Le temps était long, assise inconfortablement comme elle l'était sur le petit tapis de la chambre. L’heure tournait et la petite fille ne se lassait pas de se relever, d’être recouchée par sa mère qui s’impatientait. Elena avait mal aux fesses, au ventre, au bras et sa petite Astrée, au creux d’elle ne semblait pas d’accord avec le programme que sa grande sœur avait prévu pour la soirée. Elle poussait dans toutes les directions possibles, torturant sa mère de l’intérieur. Elena sentait la moutarde lui monter au nez, mais elle savait que s’énerver ne ferait que rendre Aiko encore plus pénible. C’étaient les pleurs assurés et une heure supplémentaire sur le sol froid, avec en prime la culpabilité d’avoir crié. Alors, Elena patienta. Discrètement, elle sortit son téléphone. 21h30. Mathieu rentrerait bientôt et elle n’aurait pas eu le temps de se poser dans le calme et le silence de la maisonnée ni d’étendre le linge. Elle détestait la pile de linge que salissait une grande famille.

 Peu avant 22h, la main d’Aiko lâcha la sienne, la respiration de la petite fille se fit régulière. Elena n’osa pas quitter son chevet tout de suite, consciente que c’était toujours à ce moment-là qu’elle se réveillait en sursaut, remarquant son absence dans son sommeil encore fragile. Bientôt, elle entendit la porte d’entrée et se décida à se lever, retirant doucement sa main de celle de la toute petite, se levant aussi doucement que lui permettait son état et marchant sur la pointe des pieds pour rejoindre le couloir inondé de lumière. Elle ferma la porte sans bruit et souffla enfin. Elle avait réussi la mission commando la plus compliquée de toutes : sortir de la chambre d’un enfant qui vient de s’endormir.

  • Ah Ele… commença Mathieu en l’apercevant.
  • Chuuuut ! l’interrompit la jeune femme en lui désignant le salon du doigt.

 Rapidement, ils regagnèrent l’autre pièce, où Elena s’autorisa enfin à respirer pleinement.

  • J’ai passé un temps infini à endormir Aiko, hors de question que tu la réveilles avec ta grosse voix ! expliqua-t-elle en s’asseyant dans le canapé avec lassitude.
  • Ah, ce soir encore ? répondit son compagnon en s’installant près d’elle. C’est terrible qu’elle ait tant de mal à dormir ! Ça a été aujourd’hui ?
  • Les enfants n’étaient pas décidés à arrêter de se battre et à manger, mais on fait avec ! Le plus dur a été l’endormissement d’Aiko. Et toi ?
  • On a eu quelques vols aujourd’hui, mais on a vite repéré les coupables grâce à la vidéo de surveillance, des gamins, comme d’habitude. Tu as demandé à Myriem ?
  • Oui, c’est bon pour mercredi matin, j’ai pris rendez-vous sur internet.

 Son compagnon hocha gravement la tête et enlaça sa femme. Elena se laissa aller sur l’épaule de Mathieu avant de saisir sa main et de la poser sur son ventre rebondi. Au creux d’elle, elle sentit la toute petite fille venir, elle aussi, se blottir dans la chaleur de son père.

 La journée du lendemain fut bien remplie pour la jeune femme, qui consacra son temps à arbitrer les disputes des uns et des autres, tandis que son mari, malgré le 1er mai, était au travail. Au moins toute cette occupation la distrayait-elle de la douleur lancinante qu’elle ressentait sur la clavicule et de l’inquiétude qui l’accompagnait. Là où elle était rassurée, c’est qu’Astrée continuait son bal incessant, sautant joyeusement sur sa vessie, poussant estomac, intestins, hoquetant à en faire tressauter le ventre de sa mère à intervalles réguliers.

 Le lendemain, la jeune femme prépara les enfants rapidement. Elle tournait en rond dans sa propre tête, tant l’appréhension la tenaillait.

  • Ça va aller, tu verras, lui glissa Mathieu en la serrant dans ses bras après avoir emmené Maël et Garance à l’école.
  • J’espère que tu as raison, oui, souffla la jeune femme avec un pâle sourire. Bon, je file, Myriem vient de me prévenir qu’elle était prête ! Je t’aime.

 Son compagnon l’embrassa, prit dans ses bras la petite Aiko aux yeux encore embués de sommeil, mais un sourire réjoui flottant sur ses lèvres depuis qu’elle avait mis ses chaussures, qu’elle montra fièrement à son père.

  • Oui, ma chérie, c’est vrai que tu sors rarement le matin, sois sage, d’accord ?
  • Vi papa ! promit l’enfant.

 Mathieu fourra son nez dans le cou de sa fille, lui tirant un éclat de joie pure, dont les trilles s’élevèrent comment autant de bulle qui pétillèrent aux oreilles d’Elena qui regarda Aiko avec amour. Elle enviait sa joie, son innocence. Elle grava cet instant dans sa mémoire, ce petit nez retroussé sous les baisers de son père, ce rire éclatant, ces petites dents blanches comme des perles bien alignées.

  • Allez, Aiko, on y va mon cœur ? Abel t’attend, mon chaton ! Tu te souviens d’Abel ?

 La petite fille acquiesça avec un sourire et tenta de s’extirper de l’étreinte paternelle.

  • Je t’envoie un message dès que je sors, ne t’en fais pas, fit Elena à Mathieu.
  • D’accord, mais ne stresse pas outre mesure, d’accord ?

 Elena sourit. Elle savait qu’il savait : elle était une personne qui ne pouvait s’empêcher de gamberger. Aucune chance qu’elle reste sereine d’ici son rendez-vous.

 Aiko dans les bras, Elena quitta son appartement pour rejoindre Myriem, qui l’attendait dans le parking.

 La petite Clio d’un bleu électrique attendait effectivement Elena en bas. Myriem en sortit, dans la fraîcheur matinale, toujours un sourire chaleureux aux lèvres.

  • Eh bien, tu en as mis du temps ! Un peu plus et j’allais à ton rendez-vous sans toi ! Comment ça va ?
  • Ça va, répondit la jeune femme en saluant son amie d’une bise amicale. J’aurais préféré que tu y ailles sans moi. Je remonte, si tu veux. Au passage, je te laisse Aiko, elle avait très envie de voir Abel !

 Et pour illustrer ses dires, la petite rousse lâcha la main de sa mère et se précipita dans la voiture que Myriem avait ouverte, pour rejoindre son copain de jeux.

  • Je suis désolée, je te laisse l’attacher, je suis tellement grosse que c’est impossible pour moi dans un espace aussi réduit !
  • Tu m’étonnes que c’est impossible, je pense que Mathieu te poussera jusqu’à la maternité en roulant si ça continue comme ça, se moqua son amie en attachant Aiko près de son fils. Et monte, hein, je t’interdis de retourner chez toi !
  • Tu n’es vraiment pas drôle, tu sais ! rétorqua Elena avec un grand sourire.

 Les deux amies montèrent dans la voiture. Elena resta silencieuse pendant les quelques minutes que durèrent le trajet, répondant sporadiquement à Myriem qui tentait de la distraire en lui racontant les dernières frasques de ses enfants, tout aussi imaginatifs en termes de bêtises que les siens. Au moins, chez elle n’y avait-il pas d’appareil dentaire à perdre !

  • Allez, respire, ça va aller, tu verras, l’encouragea Myriem, tandis qu’Elena hésitait à sortir de la voiture qui était garée en face du cabinet médical.

 La jeune femme inspira un grand coup, se détacha et sortit. Myriem récupéra les deux enfants à l’arrière et elles entrèrent dans la salle d’attente, bien vite à cette heure matinale. Les enfants ne se firent pas prier pour aller récupérer les vieux Playmobil et autres poupées à l’allure douteuse.

 Quelques minutes après leur arrivée, la porte du cabinet s’ouvrit le Dr Andrégnan, une jeune femme blonde, aux cheveux très bouclés, une blouse blanche sur le dos, par-dessus une tenue raffinée.

  • Madame Delarosa ?
  • C’est moi ! répondit Elena, bondissant comme un ressort.

 Elle rassembla ses affaires et prit Aiko par la main. La petite fille regarda le médecin, incertaine. Sa mère avança pour entrer dans le cabinet, mais Aiko se figea. Un cri de terreur sortit de sa bouche, de grosses larmes roulant sur ses joues. Elena se mit à sa hauteur, la prit dans ses bras, tentant de la calmer et de comprendre la peur de sa fille. Mais rien n’y fit. Heureusement, Myriem était là.

  • Laisse-la-moi, elle va jouer, ne t’en fais pas !
  • Tu es sûre ? demanda la jeune femme, embêtée.
  • Bien sûr ! Abel et elle joueront et toi, tu n’auras pas à surveiller cette petite touche à tout ! affirma son amie.
  • Je te remercie, vraiment ! répondit Elena, soulagée. Excusez-moi, Docteur, fit-elle à l’adresse du médecin qui lui adressa un sourire plein de compréhension.

 Aiko passa dans les bras de Myriem, rassérénée une fois hors de la vue de la table d’examen qui se trouvait juste en face de la porte.

  • Cette fois, c’est la bonne ! plaisanta Elena à l'adresse du Dr Andrégnan tout en entrant à sa suite.
  • Ce n’est pas la première qui refuse de me voir, je dois faire peur avec tous ces cheveux, plaisanta le médecin.
  • Elle n’aime pas tellement les cabinets médicaux, lui confia Elena. Sûrement le mauvais souvenir des vaccins !

 Elles se dirigèrent vers le bureau et chacune s’assit d’un côté.

  • Alors qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui ? demanda le Dr Andrégnan.

 Rapidement, Elena lui raconta la masse, sa découverte et la douleur qu’elle engendrait.

 Sans plus attendre, elle eut droit à un examen complet. Elle fut pesée, mais rassura le médecin : son poids différait de trois bons kilos comparé au dernier pris chez la gynécologue, mais la balance était différente et elle savait à quel point ça pouvait être trompeur. Le médecin lui demanda de se déshabiller. La jeune femme n’avait pas prévu un examen aussi poussé et ne s’était pas préparée à paraître à moitié nue devant une étrangère. Pourtant, elle s’exécuta. Une pensée lui traversa l’esprit lorsque la jeune femme lui demanda d’enlever son soutien-gorge et qu’elle palpa ses seins et ses aisselles. Du déodorant. Elle avait oublié de mettre du déodorant. Malgré sa gêne, elle se força à rester impassible, se pliant aux demandes du médecin qui ne fit aucune remarque. Elle lui palpa, autant que possible, le ventre, l’aine de chaque côté.

  • Et cette toux, ça fait longtemps que vous l’avez ? demanda le médecin, tandis qu’Elena se rhabillait et qu’elle-même se lavait les mains.
  • Cette toux ? demanda la jeune femme. Je ne sais pas, je ne crois pas. Les enfants sont malades depuis quelque temps, une rhino tenace. J’imagine que ça vient de là. Je n’avais même pas fait attention. Alors, vous pensez que c’est quoi ?

 Elles rejoignirent le bureau.

  • C’est soit un lipome, soit un ganglion sus-claviculaire. Cependant, je n’en ai trouvé nulle part ailleurs. J’ai vu une petite griffure sur votre bras qui pourrait être la cause d’une réponse immunitaire, mais j’en doute. Dans tous les cas, pour le moment, je ne peux pas me prononcer. Ça peut être tellement de choses !
  • On fait quoi, du coup ? Mon bébé risque-t-il quelque chose ?demanda Elena, inquiète.
  • Si c’est un lipome, rien du tout. Nous allons tout de même faire une sérologie de la toxoplasmose, même si elle était négative lors de votre dernier contrôle. Je vais également vous prescrire une échographie à faire rapidement.
  • Quand ça ?
  • Je vais appeler pour que vous ayez un rendez-vous aujourd’hui, avec bébé, je préfère être prudente.

 L’angoisse vint frapper les joues de la jeune femme à l’annonce d’un rendez-vous aussi rapide, mais ne montra rien. Le Dr Andrégnan décrocha le combiné, tandis qu’Elena s’absorbait dans l’observation du bureau. Cartes, stylos un peu bizarres côtoyaient les miniatures en coupe de l’oreille interne, d’un genou et d’une face humaine. Les deux mains sur son ventre, elle écoutait son bébé gigoter en elle, savourant les petits coups, qui la distrayaient de la vague inquiétude que faisait naître en elle l’idée de devoir faire une échographie de son douloureux œuf. Malgré le choc de savoir qu’elle devait avoir un autre examen si rapidement, Elena commençait cependant à ne plus envisager le pire. Si c’était un lipome, dans la journée, elle serait débarrassée de la boule qui envahissait son estomac ! Et si c’était vraiment ce rhume finissant auquel elle n’avait pas prêté attention ? Il était vrai qu’elle s’était mouchée et avait toussé plusieurs jours quelque temps auparavant et sa toux sèche et isolée traînait en longueur. Ou alors était-ce une bactérie entrée par cette mystérieuse griffure qu’elle n’avait même pas remarquée, sans doute faite par les petits ongles effilés d’Aiko.

 Le Dr Andrégnan dut rappeler plusieurs fois le cabinet de radiologie et insister longuement pour décrocher un rendez-vous le jour même à sa patiente, mettant en avant sa grossesse et la nécessité de faire des explorations rapides. Elle raccrocha avec un sourire tendu.

  • Très bien, j’ai réussi, non sans peine à vous avoir un rendez-vous pour 14h. Nous, on se revoit vendredi pour faire le point sur les analyses que je vais vous prescrire. Je vous appellerai sûrement pour connaître le résultat de l’écho, ça vous va ?
  • Très bien, oui, répondit Elena, tout en sortant sa carte vitale et son chéquier.
  • Vendredi à 10h30, ça vous convient ? demanda le Dr Andrégnan en encaissant ses honoraires.
  • Oui, très bien, répondit Elena en griffonnant l’horaire sur un petit calepin qu’elle avait toujours dans son sac à main.
  •  Le médecin lui rendit sa carte vitale et lui tendit ses ordonnances. Elena mit tout dans son sac, pêle-mêle, et se leva.
  • Merci beaucoup, Docteur, à vendredi.
  • À vendredi Mme Delarosa, fit-elle en lui serrant la main.

 Elena sortit du cabinet rapidement, suivie du jeune médecin qui ferma derrière elle. Aussitôt, Aiko se jeta dans ses jambes et Myriem s’avança vers elle, tenant Abel par la main.

  • Alors, qu’est-ce qu’elle t’a dit ? demanda-t-elle avec empressement.
  • Elle ne sait pas, annonça Elena. Et j’aurais encore besoin de toi, si tu veux bien. J’ai une prise de sang à faire tout de suite et je dois faire une écho en début d’après-midi.
  • Eh bien, elle ne rigole pas ! Je t’emmène ?
  • Si tu veux bien, oui, fit piteusement Elena.
  • Ne t’en fais pas, ça me fait plaisir ! On laisse les grands à Flavie et nous on file avec les plus petits, ça te va ?

 Jamais Elena n’avait été aussi reconnaissante et remercia chaleureusement son amie. Myriem avait toujours une solution pour tout et c’était une qualité qu’elle admirait. Quand elle se faisait une montagne d’un grain de sable, son amie, elle, ne s’embêtait pas de « et si j’embêtais ? » « et si je me trompais ? » « et ci, et ça ? ». Elena, elle, avait toujours peur de déranger tout le monde et n’osait jamais. Elle avait d’ailleurs dû se faire violence pour demander à Myriem pour ce rendez-vous. Mais autant, elle avait été élevée à se débrouiller seule quoiqu’il arrive, autant Myriem, elle, avait été élevée avec la conviction que famille et amis étaient là pour aider. C’était tout naturel pour elle.

 Elena se sentit plus légère tandis qu’elles se dirigeaient vers le laboratoire pour sa prise de sang.

 La salle d’attente était vide, aussi la jeune femme ne passa-t-elle pas plus de dix minutes entre les murs aseptisés du lieu d’analyses.

  • Bon, il est déjà l’heure d’aller chercher les enfants, finalement, fit Myriem tandis que la jeune femme ouvrait la portière.
  • Je n’ai pas la force de faire à manger ce midi et comme de toute manière, on reste ensemble cet après-midi, ça te dit d’aller au McDo avec les enfants ?
  • C’est le plus simple, convint Myriem. Comme ça on demande à Flavie de rester avec nous au passage ! Son fils est dans la classe de Garance et Balquis, ils s’entendent bien !

 Elena boucla tant bien que mal sa ceinture sur son ventre tendu comme un tambour et sourit à son amie pour toute réponse.

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