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L'exil. Le bagne.

Le pupitre près des toilettes est comme le bonnet de la honte. Seuls les cancrelats y prennent place.

Pourquoi ? Vous le savez, mais nous vous le rappelons : les odeurs...

Comment se concentrer quand des volutes nauséabondes viennent vous titiller le nez. Quel examen peut être passé, infiltré par ce fumet ? Quel papier sur les conjectures de Riemann peut souffrir d'imprégnations aussi nocives ? Quelle thèse pourrait briller devant un jury, en étant affublé de ces relents ?

Ce pupitre, c'est simple, les rares fois ou devisez avec d'autres rats, vous l'appelez l'écurie, voire l'incurie. Selon votre humeur.

Humeur, que vous avez sombre en ouvrant votre ouvrage sur les croisés. La dernière croisade vous déride quelque peu, surtout quand on y parle de sorcellerie. Voir que ces Templiers se prenaient déjà le chou avec des mégères magiciennes vous semble quelque part réconfortant.

Or vous tombez justement sur un chapitre où est mentionné un alchimiste. Ici, pas de sorcière, mais bien un étrange individu, rapatrié depuis les abords de Jérusalem, un dénommé Ludvig Prinn, maniant conjurations et invocations impies comme pas deux.

Vous feuilletez avidement les passages qui le mentionnent, en notant fébrilement, quand soudain vous sentez qu'on vous regarde.

Le genre d'impression désarmante que vous avez souvent en rue (même si vous vous doutez que c'est votre attitude paranoïaque qui attire les regards bien plus qu'une malveillance populaire) et dont vous vous prémunissez en vous cloitrant précautionneusement à l'intérieur. Sauf que là, c'est dans votre royaume, votre QG !

Tirant vos yeux de l'ouvrage dantesque, vous inspectez les environs. Très vite vous repérez que celle qui...

— Bonjour, fit la jeune femme qui hantait votre pupitre et qui vient de se faufiler jusqu'à vous.

Votre bégaiement, ce crotale tapi au fond de votre gorge, vous saute à la bouche.

— Bo... bo... bon... bon... jo... bon... jour.

L'ennemie est bien devant vous. Son arme, désarmante : son sourire.

Vous n'avez pas trop le temps de comprendre comment l'altercation précédente s'est transformée en sympathie, qu'elle enchaine déjà :

— J'ai vu, sous votre bras, un bouquin – il me semble en tout cas ! – sur les croisades, ronronne-t-elle, vous oblitérant de son charme inattendu.

— C'est... c'est... po... po... possible, articulez-vous, en peine.

— Je fais des recherches sur l'alchimie. Excusez-moi pour tout à l'heure. Il m'arrive de m'emporter quelque peu. Ne le prenez pas mal. Vous l'avez mal pris ? interroge-t-elle de ses yeux de cocker. Pourriez-vous me prêter ce livre ?

Vous êtes vaincu, là c'est bon. Échec et mat, désolé. Votre rigueur d'archéologue vient de sombrer dans de bien fades minauderies. Vous voyez qu'elle est intéressée, vous comprenez même qu’après vous avoir chouravé votre trésor elle vous laissera planté là, le cœur au bord de lèvres, mais vous vous en foutez. Vous êtes sous emprise.

Si un dernier sursaut de lucidité parvient à vous traverser, que, comme Ulysse, vous parvenez à vous enchainer au mat pour lutter contre le chant de cette sirène, luttez au 20

Si la douce torpeur de la passion parvient à étendre ses bras dolents pour vous cueillir, endormez-vous au 21

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