Quand l’alouette a chanté (2/5)

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6 / (Flash-back 1) EXT. – JOUR / PLACE D'UN PETIT VILLAGE

Posté devant le portail d’un parc au fond duquel se trouve un château, un poilu (BLANCHET) (environ 35 ans), brun, regard enjoué et sourire enjôleur, profite du soleil en fumant une cigarette. Il regarde passer des fantassins et des civils. Près de lui, son jumeau discute avec une femme à l'allure aguicheuse. Dans le parc, sont dressées des tentes militaires entre lesquelles on peut apercevoir des faisceaux de mousquetons Berthier et où vaquent d’autres soldats, poilus et coloniaux. Blanchet se redresse, intrigué. Il écrase sa cigarette sous sa semelle. Cinq soldats, l'air fantomatique, se plantent devant lui. Son frère cesse de parler à la femme qui remonte son châle sur ses épaules. Les uniformes des nouveaux venus contrastent avec ceux des soldats présents. Ils sont sales, poussiéreux et usés. Les hommes, en sueur sous la chaleur du soleil et de leurs képis, ne valent guère mieux. Le plus âgé est un capitaine (SACHEDIEU) (environ 40 ans) au regard noir et vif. Il a un début de barbe noire. Derrière lui, se tient un sergent (PONDEVY) (environ 30 ans), à peu près de la même taille. Son regard, très doux, est brun et son début de barbe est d’un blond roux. Il porte un brassard de la croix rouge sur la manche gauche de sa capote. A sa gauche, il y a deux soldats de 1ère classe. L’un (LE GUEHENNEC) (environ 25 ans), au physique athlétique et à la barbe blonde, a le regard bleu et franc. L'autre (BLASTRE) (environ 35 ans) est le moins avenant des cinq. Grand et très maigre, il n'a plus de bras gauche. Son œil visible, le droit, a des difficultés à fixer ce qu’il regarde. L’autre est dissimulé, ainsi que la partie gauche de son visage, sous une mèche poisseuse de cheveux noirs et gris. Son visage, tourné vers la femme qui évite de le regarder, affiche un sourire déformé. Enfin, à droite du sergent, il y a un soldat de 2nde classe (SAINTE-ANNE) (à peine 20 ans), plus petit et plus frêle que les autres, le regard noir et ombrageux, et un début de barbe brune. On distingue sur son uniforme du sang séché au niveau du col et de la poitrine.

LE LIEUTENANT BLANCHET (au garde-à-vous)

Lieutenant Blanchet, capitaine !

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Rompez, lieutenant Blanchet.

Le lieutenant enfile rapidement sa vareuse, posée derrière lui, entre les barreaux du portail. Il hésite. Il les regarde tous, et s’arrête sur le soldat au sourire bizarre.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Un problème Lieutenant Blanchet ?

LE LIEUTENANT BLANCHET

Aucun, cap'taine. En fait, on n’attendait plus personne… à part les Britishs. Mais y sont pas censés arriver avant d’main. (Silence - Un nouveau coup d’œil sur les soldats) On dirait qu’ vous arrivez de l’enfer. C’est’y qu’Satan vous y aurait r’tenus ?

LE GUEHENNEC

On a perdu notre carton d'invitation...

Le sergent se tourne vers Le Guehennec en fronçant les sourcils. Blastre sourit vers la fille, étranger à la conversation, et Sainte-Anne étouffe un rire nerveux. Le capitaine esquisse à peine un mouvement de la tête vers ses hommes.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Le Guehennec, vous parlerez quand on vous le demandera. (Au lieutenant) Nous avons l’ordre de nous présenter à l’officier qui dirige ce régiment.

Le lieutenant se tourne vers son collègue. Ils échangent un regard incrédule.

LE LIEUTENANT BLANCHET

Vous savez, c’est pas vraiment un régiment ici…

Le capitaine ne dit rien. Guidé par le lieutenant, les cinq soldats pénètrent dans le parc. Ils passent près d'une tente marquée d'une croix rouge. Autour d'elle, des hommes sont couchés sur des brancards. Il y a, parmi eux, des blessés à différents degrés, des amputés, des Gueules Cassées... Les plus valides sont assis et lisent un journal ou jouent aux cartes. Une infirmière au physique de nageuse olympique, sort de la tente, emportant un panier de linge plus rougi que son uniforme. Un géant aux cheveux rares, portant des lunettes (le MAJOR ANSELME), prend l'air à l'entrée de la tente. Sa blouse de chirurgien est tâchée, elle aussi. Il essuie une scie. Avant de retourner sous la tente, son regard croise celui de Sachedieu. Sainte-Anne remarque, quant à lui, à l'écart, des morts que cachent difficilement des bâches trouées. Plus loin, des soldats, valides, lavent leur linge dans un bac et l'étendent sur des fils accrochés entre les tentes. D'autres nettoient leurs gamelles, ou entretiennent leurs armes. Tous ces visages, aux traits tirés, venus des quatre coins du monde, regardent passer avec une curiosité mêlée de tristesse, parfois de fatalité, les cinq soldats.

LE LIEUTENANT BLANCHET

Comme je l’disais, c’est pas un régiment ici. C’est plutôt c’qui reste d'plusieurs… En fait, quand y reste moins d' dix hommes d'un régiment, après la bataille, et quand les Huiles savent pas trop où les mettre, y finissent par échouer ici… Comme vous...

Tandis qu’il continue à parler, le 1ère classe Le Guehennec tire la manche du sergent. Celui-ci ralentit le pas. Le Guehennec parvient à sa hauteur.

LE GUEHENNEC (à voix basse)

Sûr que ça ressemble pas à l’ombre d’un régiment, sergent. J’ai plus l’impression d’être un cheval qu’on est en train de conduire à l’abattoir.

LE SERGENT PONDEVY (Sur le même ton)

T’en as d’autres comme celles-là ?

LE GUEHENNEC (à voix basse)

Oui... Parfois, j'ai l'impression que c'est pas réel... Que je suis en train de faire un mauvais rêve...

En marchant, le sergent se tourne vers Blastre, et Sainte-Anne qui s’est détaché du groupe.

SOLDAT LE GUEHENNEC

Franchement, vous trouvez pas que c’est glauque c't endroit, sergent ? Pourquoi ils nous regardent comme ça ?

LE SERGENT PONDEVY

Tu voudrais qu’ils nous regardent comment ?

Tandis que le lieutenant Blanchet poursuit ses explications sans remarquer qu’il n’est plus écouté, le capitaine se retourne vers le sergent et Le Guehennec. Un regard suffit à stopper net leur conversation, et un autre à désigner Sainte-Anne, à la traîne. Le sergent laisse Le Guehennec et Blastre le dépasser. Lorsque Sainte-Anne arrive à sa hauteur, il lui chuchote quelques mots. Le 2nde classe lui jette un regard mauvais et accélère le pas, mais pas assez. Le sergent l’attrape alors par le bras. Sainte-Anne se dégage aussitôt et, cette fois, accélère vraiment le pas.

LE LIEUTENANT BLANCHET

C’est le colonel Ardavast qui dirige…

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Ardavast ? Malo Ardavast ?

LE LIEUTENANT BLANCHET

Exact, mon capitaine. Vous le connaissez ?

L'absence de réponse du capitaine laisse le lieutenant dubitatif. Il abandonne les cinq soldats près d’une tente plus grande que les autres, et disparaît à l’intérieur. Blastre qui, jusqu’ici, semblait étranger à ce qui se passait autour de lui, se rapproche du capitaine.

BLASTRE (à mi-voix)

Est-ce qu’on doit s’inquiéter, mon capitaine ?

Son élocution est difficile, chuintante, mais assez claire pour être comprise.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Ardavast a la réputation de protéger ses hommes et de monter au front. Il était dans la police avant la guerre, et il a l’instinct d’un chien de chasse.

LE SERGENT PONDEVY

Traduction : s’il sent un machin qui ne lui plait pas chez nous, il ne nous lâchera pas. Un de vos anciens collègues, mon capitaine ?

LE CAPITAINE SACHEDIEU

Pas vraiment. Mais nous nous sommes déjà croisés.

LE GUEHENNEC

On part à huit et on arrive à cinq. Ça paraîtrait louche à n’importe qui.

LE CAPITAINE SACHEDIEU

C’est à moi d'expliquer ça. Vous, vous restez à l’écart autant que possible. Personne ne parle ou n'agit sans ma permission. C’est compris ?

Le sergent et les deux 1ères classes acquiescent, pas le 2nde classe qui garde la tête baissée sur ses brodequins. Tous se tournent vers lui.

LE CAPITAINE SACHEDIEU (élevant la voix à son intention)

C’est compris ?

Le sergent bouscule Sainte-Anne qui relève la tête et acquiesce de mauvaise grâce, d'un clignement des yeux. Il y a de la colère dans son regard.

Le colonel Ardavast, suivi du lieutenant, sort de la tente et vient à la rencontre des cinq hommes qui le saluent. Le colonel (environ 55 ans) a le regard gris et désabusé. Ses cheveux et sa barbe naissante sont gris, eux aussi. Son uniforme renforce une prestance naturelle. Il passe rapidement les cinq hommes en revue.

LE COLONEL ARDAVAST

Lieutenant, pendant que le capitaine et moi allons discuter, vous devriez montrer nos douches à ses hommes, et leur présenter notre barbier. Ensuite, vous leur trouverez des équipements à la réserve. (Au capitaine) Tous les soldats en reçoivent un en arrivant ici. C’est le moins que l’on puisse faire.

Sa voix brisée est douce, apaisante. D’un signe de tête, le capitaine indique à ses hommes qu’ils peuvent accompagner le lieutenant. Il les suit du regard, un instant.

LE COLONEL ARDAVAST

Croyez-le ou non, capitaine, j’ai demandé cinq cents uniformes, il y a un peu plus d’un an, et je ne les ai reçus que la semaine dernière. Les hommes qui auraient dû les porter sont tous morts aujourd’hui.

Le capitaine ne répond rien. Le colonel n'attend pas de réponse.

LE COLONEL ARDAVAST (retournant vers sa tente)

Suivez-moi, capitaine.

Il entre sous la tente.

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