Cестра

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4 mars, Bruxelles, Belgique, Europe.

Assises face à face en terrasse d'un café bruxellois, Ekaterina et sa sœur aînée n'osaient échanger un mot. Elles se jetaient de temps à autre un regard gêné, évaluant l'autre. Elles ne s'étaient pas vues depuis plus d'un mois et cette longue absence loin l'une de l'autre les faisait se regarder comme deux – presque – étrangères.

Un serveur déposa leur commande sur la table et Oksana sourit, considérant le grand verre de grenadine de sa sœur :

— Tu prends toujours la même chose...

— Les années ne changent pas les habitudes, répondit Ekaterina en lui rendant son sourire.

— Pas toujours... murmura Oksana tandis que son regard valsait distraitement à l'horizon.

Le silence reprit sa place entre elles.

— As-tu parlé à Oleksandr ? questionna soudainement Ekaterina. Je crois qu'aux dernières nouvelles, il est retourné chez tante Yelena à Odessa.

Sa sœur ne dit rien et Ekaterina continua son récit.

— Je l'ai eu au téléphone il y a deux semaines. J'imagine que vous êtes en froid : il m'a dit que si je t'adressais la parole, il m'arracherait les yeux et la langue et les enverrait par la poste à Andris. Pourquoi à lui ? Je n'en ai aucune idée.

Elle haussa les épaules en signe d'incompréhension. Oksana détourna son regard des passants dans la rue pour le poser sur sa sœur.

— Parce que tout le monde sait que tu l'aimes, Kattie, et que tu ne veux pas qu'il aille mal.

Ekaterina faillit avaler de travers la gorgée de grenadine qu'elle avait portée à la bouche. Elle toussa, devenant de plus en plus rouge. Enfin, elle se calma assez pour répondre :

— N'importe quoi ! Il a seulement choisi un nom au hasard dans son carnet d'adresses et c'est tombé sur lui, voilà tout.

Oksana insista :

— Ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

— Ce ne sont que des брехати*.

— Ne nie pas, сестра*. Il n'y a que toi qui ne te rends pas compte que tu es encore amoureuse.

Ekaterina plongea la tête entre ses mains et grogna.

— Est-ce qu'on peut changer de sujet, s'il te plaît ? Parler de ton mariage prochain, par exemple.

— D'accord. Mais à une condition : avoue que j'ai raison.

Nouveau grognement en provenance d'Ekaterina.

— Jamais, annonça-t-elle, catégorique comme un général de guerre plantant son drapeau au milieu du camp adverse.

— Et si je t'offre une attaque de chatouilles, tu accepteras ?

Elle avança la main à travers la table pour attraper le poignet de sa petite sœur. Elle le bloqua entre ses doigts et passa son pouce à l'intérieur : elle savait que c'était son point faible. Ekaterina se contorsionna sur son siège, tentant d'échapper au rire qui montait en elle. Elle avait toujours été sensible, en particulier à l'intérieur des articulations. Parfois, son frère et sa sœur la prenaient à deux pour l'attaquer dans une subite crise de chatouilles. Alors, la petite Kattie se roulait par terre en prise à d'affreux rires non contrôlés, suppliant ses bourreaux de l'abandonner à son sort.

— Sana, on est en public, réussit-elle à articuler en retenant son fou-rire.

— Alors, avoue, réclama sa sœur.

— Non ! Jamais.

Et, ne pouvant plus se retenir, Ekaterina éclata de rire, rejointe bientôt par Oksana. Elles se regardèrent, heureuses ; un éclair fusionnel passa dans leurs regards. Elles étaient revenues à leurs habitudes du bon vieux temps. C'était bien plus agréable que de s'observer du coin de l'œil en attendant que l'une des deux prenne la parole.

— Alors comme ça, il t'a demandée en mariage. Je veux tous les détails !

Ekaterina se pencha en avant, appuyée sur ses deux coudes et tendit une oreille attentive à sa sœur qui ne se fit pas prier deux fois pour tout débaler.

брехати (ukrainien, prononcer brekhati) : mensonges

сестра (ukrainien, prononcer sestra) : sœur

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