Baxter House

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16 mars, Stonesby, Angleterre, Europe.

Depuis l'arrivée de Honor à Londres une semaine plus tôt, Edward se comportait étrangement. Déjà, il lui avait fallu une semaine pour accepter de libérer une place dans son emploi du temps d'étudiant surchargé pour la revoir. Et cette rencontre s'était passée, trois jours auparavant, dans un affreux café, servant du thé affreux dans des tasses affreuses. La discussion, lorsqu'elle avait été présente et que le silence n'était pas maître de leurs échanges, se concentrait sur d'immondes platitudes qui avait étonné Honor.

Depuis qu'ils étaient ensemble, ce qui remontait à leurs années collèges, avant même la création du groupe, il y avait toujours eu entre eux une sorte de connexion inébranlable. Elle le comprenait, il la soutenait.

Mais cette entente semblait désormais fragile. C'est pourquoi, après avoir passé une demie-semaine à tourner en rond dans la chambre d'immeuble qu'elle avait louée – elle ne voulait pas déranger les locataires de son propre appartement londonien en débarquant à l'improviste – elle avait appelé un taxi et s'était faite conduite à Stonesby, le petit village où ils avaient grandi.

Elle arriva à treize heures sonnantes devant le panneau Stonesby à l'entrée de la ville. Elle paya sa course, attrapa son sac à dos et sortit de la voiture. Le taxi redémarra et fila en sens inverse vers Londres. Elle était seule mais elle préférerait l'être. Il y avait beau n'avoir aucune chance qu'Edward soit à Baxter House, elle voulait avoir le temps de se préparer avant de débarquer à l'improviste chez ses voisins. Honor pourrait toujours prétendre qu'elle venait rendre visite à sa propre maison, à un demi-kilomètres mais tout le monde saurait que c'était faux : sa petite sœur se trouvait dans son internat à la capitale et ses parents étaient en voyage d'affaire à Glasgow pour la semaine. Il n'y avait chez elle que le jardinier et la cuisinière qu'elle saluerait en partant.

La grille imposante se trouvait désormais devant elle. En plissant les yeux, elle savait qu'elle apercevrait la vieille bâtisse des Ayres. La jeune anglaise contourna le portail et emprunta un petit sentier familier sous le couvert des arbres : c'était celui qui menait de chez elle à la maison de son copain. Elle l'avait emprunté tant de fois depuis qu'elle savait marcher qu'elle aurait pu le parcourir les yeux fermés. Néanmoins, par précaution, elle les garda bien ouverts. Enfin, elle déboucha dans une petite clairière où l'attendait Baxter House.

Cette petite maison branlante ne valait en rien le nom un peu pompeux qu'on lui avait attribué. Ancienne ferme dont la vieille grange avait été reconvertie en chambres pour loger les six enfants Baxter, elle ne tenait debout que par la force de persuasion de ses propriétaires. Le lierre rongeait ses deux étages et son grenier, et trois nouvelles marches de l'escalier extérieur s'étaient écroulées depuis la dernière fois qu'elle était venue.

Son sac toujours sous le bras, Honor s'avança puis appuya sur l'interrupteur de la sonnette. Aucun bruit ne lui parvint à l'eception du croassement des grenouilles dans l'étang voisin. Elle retenta sa chance, cette fois en collant son oreille contre la porte. La sonnette ne fonctionnait pas. Elle frappa alors de son poing la porte d'entrée et attendit qu'on vienne lui ouvrir.

Au bout de trois longues minutes, la porte s'entre-bailla.

— Honor ? C'est bien toi ?

Entre l'interstice, elle put voir des mèches blondes familières.

— Liz ! Je te pensais à Manchester avec Jack.

Liz ouvrit la porte un peu plus. Elle n'avait absolument pas changé : un sweet à capuche pelucheux qu'elle mettait toujours pour trainer chez elle, trois séries de boucles d'oreilles aux oreilles et des ballerines abîmées. Seule une mèche rose dans ses cheveux changeait par rapport à la dernière fois qu'elles s'étaient vues.

Edward était le cadet d'Elizabeth et John. S'il y avait bien des Baxter que Honor appréciait autant que son copain, c'était forcément Liz et Jack. Les jumeaux étaient aussi des amis très proches de Felicia et de Blake.

— On est revenus plus tôt que prévu. Notre... enfin, Prisca est décédée.

— Oh. Toutes mes condoléances.

Prisca était une vieille grande-tante aigrie qui vivait un tiers de l'année à Stonesby et le reste du temps chez un ami inconnu de tous en Espagne. Chaque fois qu'Honor l'avait vue, elle semblait un peu plus dérangée mentalement

— Ne t'inquiète pas. Personne ne l'aimait vraiment. Mais il fallait régler l'enterrement alors les parents nous ont tous rapatriés ici.

Honor jeta un coup d'œil derrière l'épaule de Liz mais elle ne put voir que la gigantesque table à manger entassée du bric-à-brac habituel.

— Edward est ici ? questionna-t-elle.

Mais son interrogation n'eut pas la réponse escomptée. Liz détourna le regard pour mordiller nerveusement sa lèvre inférieure.

— Tu devrais t'en aller. On a plein de paperasse et de choses à faire pour les funérailles.

Honor en resta coite. Auparavant, aucun Baxter ne lui avait fait comprendre qu'elle n'était plus la bienvenue chez eux.

— Ah... Et bien, tu es sûre que tu ne veux pas de mon aide ? – Liz secoua la tête en signe de négation – Tu diras à Ed que je suis passée.

Il y avait quelque chose de suspect dans la façon dont Liz s'empressa d'acquiescer et de rabattre brusquement la porte. Cependant, Honor ne voulait pas y songer. Elle regarda la porte une dernière fois et balada son regard sur la façade de la bâtisse croulante. D'une fenêtre du second étage, il lui sembla entendre un rire cristallin qui ne pouvait appartenir à un Baxter. « Sans doute une amie de Meg et Fanny venue aider ou une cousine éloignée, pensa-t-elle. Après tout, Prisca avait peut-être une fille, qui sait. »

Elle reprit le petit sentier à couvert, remonta l'allée jusque chez elle, salua la cuisinière et le jardinier qui prenaient le thé dans la loge du gardien, discuta des nouvelles des environs avec eux, se fit gentimment réprimander parce qu'elle ne les avait pas pévenu puis appella un taxi et repartit en direction de Londres.

Alors que la voiture roulait sur les petites routes anglaises, Honor sortit son téléphone portable et appella sa meilleure amie. Felicia décrocha au bout de trois sonneries.

— Allô ? fit la voix fatiguée de Felicia à l'autre bout du fil.

En consultant sa montre, Honor se rendit compte que si l'Angleterre affichait trois heures de l'après-midi, il était presque minuit en Australie. Et, connaissant Felicia depuis l'échange scolaire en CM2 où elles s'étaient rencontrées, elle savait qu'elle bossait comme une dingue pour préparer son examen.

— Je suis désolée, Feli. Je rappelerai plus tard si tu veux.

— Non, non, ce n'est pas grave. Ça me fera une pause.

— Tu devrais dormir.

— Mais ce n'est pas pour ça que tu m'as appelée. Je te connais, Honor, et tu n'appelles jamais à l'improviste, sauf quand tout va mal.

Honor soupira. Puis elle prit une profonde inspiration et lança tout d'un coup sans respirer entre chaque mot.

— Je-crois-que-Edward-me-trompe.

Le silence se fit à l'autre bout du fil et Honor eut peur que Felicia n'eut rien entendu et qu'elle soit contrainte de tout répéter. Elle ne pensait pas en être capable.

Les mots de son interlocutrice se firent prudent :

—  Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Je...

À vrai dire, elle n'avait aucune preuve. Il n'y avait rien qui prouvait ce qu'elle pensait. Mais, au fond d'elle, elle savait que dans cette phrase débitée à toute vitesse, il y avait une touche de vérité.

— J'en sais rien. Il était étrange lorsqu'on s'est vus. C'est limite s'il ne voulait pas qu'on se retrouve. Et puis je suis allée à Stonesby. Liz m'a ouverte mais elle était étrange, comme si elle me cachait quelque chose. Je la connais, tu sais, on a grandi ensemble, et elle n'était pas dans son état normal.

— Mais ils n'étaient pas sensés revenir la semaine prochaine ? demanda Felicia. Je me souviens qu'on avait dit qu'on irait boire un verre à Bruxelles tous les six à leur retour.

Honor confirma.

— D'après ce qu'elle m'a dit, ils sont tous revenus pour l'enterrement de leur grande-tante Prisca.

Elle se rappella sa discussion avec la cuisinière.

— Mais Domenica m'a dit qu'elle avait vue Prisca la veille et qu'elle se portait comme un charme. La preuve, elle lui a lancé un pot de confiture à la figure en lui criant de le donner aux cochons pour leur casse-croûte.

La scène l'ait bien fait rire lorsque Domenica la lui avait contée mais désormais, elle percevait toute la fausseté du discours de Liz.

— Oh, damn it* !

Honor n'était pas une personne vulgaire mais la situation attendait un mot fort pour la souligner. Et elle se mit à sangloter. Là, sur la banquette arrière de ce taxi étranger, elle pleura avec la voix de Felicia à l'oreille qui tentait de la calmer.

— Tu n'y est pour rien, Honor.

Au moins, elle ne tentait pas de lui dire qu'elle inventait tout. Car si ça avait été le cas, Honor lui aurait sûrement raccroché au nez. Au lieu de ça, elle l'écouta et retrouva un débit de parole normal pour la remercier.


damn it (anglais) : bon sang, zut...

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