Dans les coulisses d'Agnès II - Smoothie

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9 mai, Zinal, Suisse, Europe.

Après qu'une série de plaintes fut déposée contre elle, la mère Sylvette – comme on avait finit par l'appeler derrière son dos – quitta le tournage pour être remplacée par un vrai chef cuisinier dépêché à Genève. Tout le monde en fut heureux, à l’exception de Lyle qui espérait secrètement obtenir le poste. Désormais, les repas dans la tente n'étaient plus des corvées. Ceci fait, l'ambiance sur le plateau fut plus détendue.

C'est ce que pensait Blake jusqu'à ce qu'une curieuse lettre parvienne dans sa caravane. Elle avait été déposée sur son oreiller, pliée en trois par une main minutieuse et inconnue. Aucune trace de d'effraction n'était visible dans et autour de la caravane. Elle n'était pas là lorsque Blake en était sortie le matin. De ça, elle était sûre. Le reste, était plus obscur. Elle fermait toujours sa caravane à clé lorsqu'elle sortait, par habitude plutôt que par réelle précaution. Les fenêtres étaient clauses ; elle les gardait ainsi à cause de la pluie, se rappelait-elle. Il n'y avait pas d'ouverture dans le toit, pas de fente sous la porte – les gouttes de l'averse les auraient rapidement démasquées. Alors, comment cette feuille de papier était-elle arrivée là ? Peut-être par la magie. Ou bien quelqu'un s'était procuré le double des clés pour lui jouer un mauvais tour. C'était l'hypothèse la plus probable.

Avant de commencer à mener plus profondément son enquête, Blake décida de regarder ce que contenait ce papier. Une feuille d'imprimante, A4, blanche, sans défaut, ni monogramme. Tout ce qui se faisait de plus banal. Et une phrase imprimée à l'encre noire au centre. « Ça ne fait que commencer. » était-il écrit. À peine Blake avait-t-elle lut ces mots qu'elle savait de quoi il s'agissait. C'était évident. Personne d'autre n'était capable de faire ça.

Blake se souvenait encore du tournage de Localisation: Inconnue. Il s'était déroulé pendant deux mois sans coupure sur une île dépeuplée de l'océan Indien et sur la mer alentour, avec pour seule compagnie, l'équipe entière et quelques locaux qui ravitaillaient l'île une fois par semaine. Il n'y avait aucun moyen de s'échapper même pour quelques heures. La connexion internet était quasi-nulle sauf dans le bureau de la productrice et du réalisateur. Alors, les acteurs s'amusaient du mieux qu'ils pouvaient. Avec le recul, Blake s'était dit que les chargés du casting n'avaient pas vraiment réfléchi lorsqu'ils avait fait la distribution des rôles. Tous les acteurs présents sur le plateau étaient connus dans le métier pour être de gros rigolos, des amoureux des blagues, des adorateurs du premier avril, des adultes encore enfants. Le nombre de bêtises sur ce tournage fut phénoménale, un record enregistré. C'était durant une de ces "gausseries" que s'installa l'animosité entre Blake et Amy. Une blague qui avait mal tourné et qui continuait de les poursuivre. Quand cela était-il censé s'arrêter ? Est-ce que dans dix ans, trente ans, elles continueront à se jouer des tours ? Blake ne pouvait y répondre mais elle savait au moins une chose : elle ne saurait pas la première à céder. Jamais.

Elle attrapa la feuille et la posa sur sa table de chevet. Sa migraine avait subitemment disparu. C'était tant mieux : de cette façon, elle avait tous ses terminaisons nerveuses allumées pour lui permettre de réfléchir à une riposte. Amy avait commencé en douceur ? Elle taperait plus fort. Le tournage d'Agnès ne serait pas près d'être oublié.

Une idée commença à germer dans sa tête. Pour mettre à bien son plan, Blake avait besoin d'un complice. Un jeune homme avec une écriture non-connue d'Amy, si possible. Elle prit une journée pour trouver l'acolyte idéal. Elle avait d'abord pensé à Lyle. Mais, son petit corps maigre, sa face mesquine et ses dents de travers ne lui inspiraient pas confiance. Elle avait besoin de quelqu'un de confiance, qui ne se retournerait pas contre elle. Abraham ne l'aurait jamais trahi, ça elle n'en doutait pas. Mais elle l'avait vu écrire sa commande pour le marché sur un bout de papier devant Amy. Dommage. Ils se seraient bien marrés. Après s'être gardé une journée entière pour trouver son compagnon idéal de blague, elle porta son choix sur Mo.

Mo était un être doué pour le maquillage qui avait eu sa chance après avoir travaillé sur les plus grandes stars d'Afrique australe. Arrivé à Hollywood, il n'avait pas perdu de temps et ouvert sa propre marque de maquillage. Au premier abord, il ne paraissait pas vraiment attirant. En surpoids, toujours couvert de sueur, l'afro la plus longue possible et le double menton bien marqué étaient sa marque de fabrique. Mais, lorsqu'on s'approchait un peu plus, il avait un humour bien à lui, un talent fou et un sens de la famille très étrange. Mo n'était pas son vrai nom mais le sien était si imprononçable pour le commun des mortels qu'il préférait qu'on l'appelle comme ça que mal.

Pour Blake, Mo avait un atout supplémentaire : il était le maquilleur attitré d'Amy. Il avait donc un accès à ses plannings, à sa caravane et à ses précieuses bouteilles de smoothie à la pomme qu'elle gardait sous clef tellement ils valaient chers. La première fois qu'elle avait entendu cette histoire de smoothie à la pomme, Blake avait éclaté de rire. C'était presque ridicule de prendre autant de précautions pour trois bouteilles de jus de fruits. Mais Amy les achetait à prix d'or chez un professionnel qui faisaient quelques incantations magiques avant de fermer le bouchon et elle était accro, incapable de ne pas en boire un verre pendant plus de dix heures. Si avant ces smoothies étaient un motif de moqueries, désormais ils étaient son ticket de vengeance.

Mo fut plus enclin à piéger Amy que Blake n'aurait pu l'imaginer. Il semblait avoir une dent masquée contre elle. Il se laissa facilement convaincre. Ce fut même lui qui proposa la fin du plan : encore mieux que ce à quoi Blake avait pensé initialement. Ce serait une réussite, avec Mo à ses côtés !

La préparation prit une semaine : c'était le temps que le matériel arrive à Zinal. À partir de ce moment, tout alla très vite. En une nuit, la première partie du plan était en place. Blake et Mo n'attendaient plus que la réaction d'Amy.

Celle-ci ne se fit pas attendre. À peine les coqs de la région se mirent-ils à chanter que le cri d'Amy résonna dans la vallée. Dans la minute qui suivit, elle sortit de sa caravane en hurlant :

— Mon smoothie aux pommes ! On m'a volé mon smoothie aux pommes !

Les gens accouraient.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Les rumeurs allaient bon train et bientôt, Amy ne s'étaient plus fait voler son smoothie mais elle avait renversé une bouteille entière de tisane aux pommes sur sa robe du lendemain.

— Une des actrices a perdu une tasse de thé.

— Si c'est que ça... Je vais me recoucher.

Chacun à sa fenêtre, Blake et Mo se marraient tout en pensant à la suite. Car, bien sûr, ça ne faisait que commencer.

La nuit passée, Mo s'était introduit dans la caravane d'Amy en prétextant avoir oublié un de ses pinceaux. Il avait subtilisé une des précieuses bouteilles par un tour de passe-passe qu'il n'avait pas voulu révéler à Blake.

— Un magicien ne dévoile jamais ses tours, avait-il répondu à chacune de ses questions.

Puis, il était reparti dans la nuit, la bouteille en verre sous son manteau. Il l'avait donnée à Blake qui s'était chargée de la cacher dans un endroit connu d'elle-seule.

Désormais, la suite du plan débutait. Opération Smoothie : étape deux. Au petit matin, alors qu'Amy courait sur le plateau en racontant à qui voulait l'entendre cette histoire de boisson disparue, Mo était revenu dans la caravane de la volée. Dans sa précipitation, Amy avait laissé la porte du coffre ouverte. Armé d'un marqueur indélébile, il avait écrit quelques mots sur l'intérieur du coffre.

« Si tu veux revoir ta précieuse bouteille, rendez-vous à la rivière, ce soir, à minuit, seule. »

Puis, il était reparti aussi sec. Bien sûr, Amy, en rentrant dans sa caravane, n'avait pas manqué de hurler à nouveau. Cette fois-ci, personne n'avait accourut. On commençait à murmurer entre les coins de portes qu'elle était un peu folle sur les bords.

À l'heure dite, elle était campée là. Tremblante presque sur ses pieds. Il n'y avait pas un chat. Elle attendit une heure avant de se résoudre à rentrer dans sa caravane. Là, surprise : la bouteille était réapparue. Elle se dépêcha d'en avaler une grosse lampée. Mais elle recracha presque aussitôt ce qu'elle but.

— C'est.. c'est... c'est de la mangue !

Vite, elle vida la bouteille entière dans l'évier. Une chose sur la bouteille retint son attention. Au fond de celle-ci, de la même écriture que celle qui avait rédigé les indications dans le coffre était noté :

« À trop boire l'ambroisie, elle perd son arôme. »

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