An American Week I - San Diego

9 minutes de lecture

6 au 11 juin, San Diego, Californie, USA, Amérique.

Le Boeing 747 en provenance de Bruxelles atterrit à l'aéroport Lindbergh de San Diego à neuf heures cinquante sept du matin, le samedi six juin. Il déversa, après quatorze heures trente de vol abrutissant et une escale, en plus du personnel, cinquante sept hommes et femmes d'affaires accompagnés de leurs associés, deux familles nombreuses en vacances, dix-sept touristes célibataires ou en couple, quelques reporters, trois gagnants de concours, une classe découverte de lycéens et une jeune chanteuse célèbre perdue dans la foule.

Cette dernière était Ekaterina.

Elle récupéra sa valise, avant de traverser l'aéroport à la recherche d'un taxi. À peine fut-elle montée dans celui-ci, que son téléphone sonna. Elle décrocha avec un soupir : le vol l'avait exténuée et elle n'attendait qu'une chose, pouvoir s'écrouler sur un lit et dormir une journée minimum. Mais son programme pour la semaine ne le permettrait sûrement pas.

— Ekat ! Comment se fait-il que je sois toujours la dernière à être au courant de ta visite ? lui siffla une voix stridente à l'oreille.

— Starra ! répondit "Hécate" avec une grimace.

Elle détestait ce surnom mais Starra s'acharnait toujours à l'appeler ainsi.

— Écoute, je suis désolée de ne pas t'avoir appelée plus tôt mais je suis en Californie. Je ne reste qu'une semaine et je n'ai pas le temps de faire un saut à Chicago.

Starra Cornell, fondatrice et grand patronne de la chaîne de restaurants Meteor vivait dans l'Illinois dont elle ne sortait que pour présenter sa fille de sept ans – dont Ekaterina était la marraine – à des concours de beauté ou pour féliciter son fils aîné lorsqu'il remportait des prix pour ses talents à la boxe.

— Aucun problème ! Je suis à Los Angeles ce mois-ci. Je sais que tu seras au gala de charité. J'ai vu ton nom sur la liste des invités.

La voix de Starra ne cessait de monter dans les aiguës. Ekaterina écarta le téléphone de son oreille pour se masser l'oreille. Son tympan prenait un coup chaque fois qu'elle avait son amie au téléphone.

Elle regarda par la vitre. Le taxi ralentissait. Il s’immobilisa sur le trottoir devant un bel immeuble et le chauffeur se tourna vers sa passagère. Ils étaient arrivés.

—  Écoute, Starra. Il faut que je te laisse. Passe le bonjour à Gwenola Amande.

Elle raccrocha vivement, sans attendre de réponse. En ayant agi comme ça, elle avait une chance sur deux de ne pas l'avoir offensée. Ne voulant plus y penser, elle rangea son téléphone puis paya sa course. Se remémorant les paroles de sa sœur, elle murmura pour elle-même :

— Troisième étage. Le seul appartement du palier, tu ne peux pas le louper...

Le chauffeur sortit sa valise du coffre et s'approcha d'elle, presque timidement. Ekaterina, voyant qu'il réclamait une chose supplémentaire que le prix de sa course qu'elle venait de lui verser, l'encouragea à parler d'un regard.

— Est-ce que vous prendriez une photo avec moi, mam'zelle ? C'est pour ma fille.

Il regarda la chanteuse avec des yeux si ronds d'attente qu'elle en fut pétrifiée. Bien sûr, on lui avait déjà demandé des autographes par centaines mais il y avait toujours quelqu'un avec elle. Elle n'avait jamais été seule, à la limite de la vulnérabilité, comme aujourd'hui, dans un quartier inconnu, attendant de monter dans l'appartement de sa sœur où elle rencontrerait le nouveau copain de celle-ci.

Elle finit par accepter et l'homme repartit avec un selfie de lui et une des chanteuses les plus en vue du moment.

Elle monta les escaliers, sa grosse valise sous le bras : les deux cabines d'ascenseurs étaient occupées à monter au septième. La porte de l'appartement se dressa devant elle, majestueuse, triomphante. À peine l'index d'Ekaterina eut-il effleuré la sonnette que la porte s'ouvrit en grand. Oksana se jeta sur elle, et les deux sœurs, emmêlées dans une étreinte de cheveux blonds et de souvenirs ukrainien, tombèrent à la renverse.

Une main sombre et inconnue s'immisça dans le mêlée pour en défaire les nœuds. Elle était épaisse : main d'homme. Doigts fins : délicatesse. Ongles limés : propreté. Elle saisit l'épaule d'Ekaterina et la main d'Oksana, tira et les deux sœurs furent remises sur pied.

Ekaterina put enfin découvrir le visage de celui qui allait promettre à sa sœur de passer sa vie avec elle. Il était beau, cela ne faisait aucun doute. Grand, le visage ciselé par le plus doué des apprentis de Michel Ange, la peau sombre de l'ébène, les yeux profonds, les lèvres fines et les cheveux ras. Il inspirait confiance. Elle comprit tout de suite pourquoi il avait plu à sa sœur.

La journée se passa à merveille. Il faisait beau et les trois partirent en excursion sur la plage. Le soleil sur la peau d'Ekaterina était une sensation formidable. Elle avait passé presque un mois seule chez elle à tourner en rond, suivi de deux mois enfermée dans un studio et cette escapade loin de la Belgique lui faisait l'effet d'une liberté retrouvée. Quel délice c'était !

Le soir, après un fabuleux dîner concocté en son honneur par Tessema, elle s'endormit sur son lit, encore habillée. Elle avait admiré, durant tout le temps qu'elle avait passé à table, la fabuleuse vue qu'ils avaient sur San Diego illuminé la nuit. C'est de ça dont elle rêva. Lorsque Oksana passa la tête par la porte de la chambre d'amis une heure après qu'Ekaterina ai quitté la table, cette dernière dormait à poings fermés. Retrouvant ses habitudes de grande sœur, Oksana se chargea de la mettre au lit, la border et lui souhaiter bonne nuit.

Au petit déjeuner, le lendemain, la marmotte fut la dernière à se lever. Elle s'extirpa de son lit au moment où Tessema s'en allait à un shooting. Il était vêtu d'un splendide veste en cuir jaune coruscante qui ne manquerait pas de le faire remarquer au milieu de la rue.

Ekaterina s'assit sur une chaise du bar qui trônait au centre de la cuisine.

— Bien dormi ? la questionna Oksana en déposant devant elle une omelette tout juste sortie de la poêle.

Ekaterina en salivait d'avance. Elle avait l'habitude de faire attention à sa ligne, notamment avant un shooting mais elle se permettait quelques petites embardées. Son séjour sur la côte ouest des États-Unis en faisait partie.

— Comme un bébé.

Et pour une fois, elle ne mentait pas.

— En parlant de bébé...

— Quoi, tu n'es pas enceinte ? J'avoue que ça me ferait très plaisir d'être tante mais je ne suis pas sûr que papa accepte un enfant conçu hors-mariage.

— Non, non. Ne t'inquiète pas. Ce n'est pas de ça dont je voulais parler.

Oksana fit une pause dans son discours. Elle ne voulait pas froisser sa sœur même si elle avait très peu de chance d'en arriver là.

— Nous avons posée la date du mariage, avec Tessy. Il se déroulera le 29 décembre. Ici.

— Oh. Tu sais, je pensais que vous feriez ça à Odessa. Très bien. Vous avez trouvé une église à San Diego ?

— Nous... avons décidé de ne pas faire de mariage traditionnel orthodoxe. Tessema n'est pas chrétien, et nous voulons tous les deux quelque chose de plus... moderne.

Oksana feuilleta en hâte une liasse de papier posée sur un coin du bar pour s'occuper les mains. La réaction de sa petite sœur l'importait plus que tout.

Ekaterina avait la bouche ouverte et les yeux ronds. Il ne lui manquait plus qu'un peu d'eau et des branchies pour que la ressemblance avec un poisson rouge soit parfaitement exacte.

— Nous avons choisi une salle gigantesque, avec de splendides moulures et d'anciennes peintures aux murs. Je suis sûre que ça plaira à maman.

Elle attendit la réponse de sa sœur, les yeux pleins d'une muette appréhension. Elle n'avait aucune idée de la façon dont elle pouvait réagir. Se mettrait-elle en colère ?

— Oh Oksana ! Je suis si contente pour toi !

— Ah bon ? Je pensais que tu m'en voulais de ne pas faire de mariage religieux.

— N'importe quoi. Moi-même, je...

Elle s'arrêta là. Elle-même quoi ? Qu'allait-elle dire ? Elle n'avait pas envisagé de se marier. Ou jamais concrètement. Bien sûr, elle avait, petite, souvent décrit le mariage de ses rêves. Sa sœur était toujours sa parfaite complice dans ces moments là. Celui de l'aînée se caractérisait par une interminable allée blanche bordée de fleurs rouges à foison. Elle portrait une tunique amble et blanche, pure comme le plus immatériel des anges. Son bras passé sous celui de son père, sa famille l'escortait à petits pas. Elle s'avancerait jusqu'à l'homme de ses rêves qui jurerait de l'aimer jusqu'à ce qu'il meure de cette passion brûlante. Oksana avait douze ans à cette époque, Ekaterina seulement dix. La cadette avait des rêves bien différents. Dans son esprit fécond, son mariage prenait toujours l'allure d'une comédie musicale où elle était déguisée en irrésistible princesse et son époux en prince héritier d'une petite contrée lointaine où ils finissaient paisiblement leur vie entourés de leurs sept enfants et de leur trois chevaux pur sangs. Bien sûr, à vingt-trois ans, Ekaterina ne rêvait plus de ça. Elle avait enfoui ce souvenir au fond de sa mémoire avec l'époque où ses parents passaient leurs soirées en amoureux et non pas avec leurs amants respectifs. Tout ce qu'elle espérait, c'était que sa sœur conservait ses rêves pour les réaliser, qu'elle ne faisait pas la même bêtise que sa benjamine.

— Tu as invité Olek ?

Question fâcheuse. Ekaterina le vit tout de suite sur le visage de son hôte à peine eut-elle prononcé sa voix. Oksana se saisit de l'assiette de sa sœur pour la glisser dans le lave-vaisselle. Tournant le dos, elle commença sa réponse.

— Je lui avait envoyé un message et il m'a répondu le lendemain. Il ne viendra pas.

Ekaterina, depuis qu'elle avait vue sa sœur dans un café Bruxellois au mois de mars, savait qu'il y avait quelque querelle entre elle et leur frère aîné, Oleksandr. Mais elle avait toujours secrètement cru qu'ils sauraient se réconcilier pour le mariage, qu'ils seraient là l'un pour l'autre. Les deux filles avaient toujours été plus proches. Oleksandr, d'un an et demi l'aîné d'Oksana, les jugeait trop écervelées et jeunes pour leur faire l'honneur de les accepter comme compagnes de jeu. Il avait sans aucun doute possible hérité du caractère exécrable et hautain de leur père.

Depuis que sa carrière avait décollé avec KOBSE, Ekaterina avait très peu entendu parler de son frère. Il faisait quelques rares apparitions dans les magazines de mode, où il suivait, sans en obtenir le même succès que ses sœurs, la voie de leur mère. De temps à autres, elle recevait de lui un coup de fil bref comme un télégraphe de l'ancien temps où il ne s'épanchait jamais. Nul dans sa famille n'était en mesure de dire où il était, ce qu'il faisait de sa vie depuis une demi décennie, qui étaient ses amis, comment il allait et s'il avait une partenaire. Ou un. Personne ne savait. À l’exception peut-être de leur tante Yelena qui était sa marraine et à qui il se livrait toujours sans filtre.

Il y avait bien quelques différents entre son frère et sa sœur mais Ekaterina était bien incapable de dire lesquels. Et elle n'avait pas assez d'indiscrétion en elle pour oser poser la question.

Les deux sœurs, comme deux vieilles copines qui se retrouvent, bavassèrent la journée. Un petit tour en ville permit à Ekaterina de choisir un accessoire à sa tenue pour le gala de San Fransisco. Elle avait sélectionnée sa robe parmi la nouvelle collection de Louis-Antoine. C'était le grand patron en chef, Louis-Antoine Dubois, le prodige, qui la lui avait présentée. Ça avait été le coup de foudre. Rose pâle, saupoudrée d'étoiles, elle avait la taille empire et le style bustier. La traîne tombait asymétriquement, plus courte devant que derrière tandis que le dos nu était parfait pour mettre un valeur ses omoplates et sa peau laiteuse dont elle avait toujours été si fière. C'était la robe parfaite.

Les jours suivants passèrent en coup de vents : dîners au restaurant tous les trois, visite à des amies de la profession (quelques mannequins qu'Oksana côtoyait encore et avec qui Ekaterina avait partagé quelques shooting) et repos à la maison.

Même si sa sœur et Tessema étaient d'excellents hôtes, elle avait prévu de partir le jeudi vers midi pour arriver à son hôtel dans l'après-midi, et c'est ce qu'elle fit. Elle appela un taxi, remercia chaleureusement sa sœur dans une accolade fraternelle, embrassa Tessy sur les deux joues, les félicita encore une fois et partit vers San Fransisco.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Angelinnog ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0