An American Week IV - Gum

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13 juin, San Fransisco, Californie, USA, Amérique.

Pour aggraver cette horrible soirée qui avait été celle de la veille, Ekaterina n'avait pas réussi à fermer un œil de la nuit. Une boule au fond de son ventre capturait toute son attention. Elle présageait un horrible événement : la dernière fois qu'elle l'avait ressentie, c'était à l'annonce du divorce de ses parents. Et son instinct semblait ne jamais se tromper.

Elle se leva avec la mine défaite et l'envie d'enfouir cette grosse boule sous une énorme couche de... de quoi d'ailleurs. D'alcool ? De tabac ? Non et non. Sans même savoir ce qu'elle allait faire, elle attrapa une veste en cuir dans sa valise et son téléphone encore en charge, enfila une paire de basket et sortit de l'hôtel.

Elle erra dans les rues, sans même se rendre compte qu'il n'était que huit heures du matin, un samedi matin. San Fransisco s'éveillait à peine. À neuf heures et demi, son ventre se réveilla et elle s'arrêta devant la devanture d'un café. Deux motos étaient appuyées contre la vitrine. Gum clamaient les néons de l'enseigne. « Étrange nom » songea Ekaterina. Mais elle entra quand même.

Il n'y avait que trois clients. Ou plutôt quatre si l'on comptait le bébé qui attendait sagement dans sa poussette que sa mère finisse son café noir au comptoir. Au fond de la pièce, elle repéra un homme qui lisait le journal tandis que sur la terrasse une vieille femme quittait sa table.

Ekaterina s'approcha du bar et demanda un thé. Elle avait déjà essayé le café mais l'amertume qu'il laissait sur sa langue l'avait très vite rangé dans la même catégorie que le poisson : À ne manger qu'en dernier recours.

Sirotant sa boisson, son regard dévia vers le poste de télévision. Elle en lâcha sa tasse. Les éclaboussures tachèrent sa veste mais elle s'en fichait. Ce qu'elle lisait à l'écran l'accaparait entièrement.

« Flash info people : l'influenceuse, fille du milliardaire argentin Juan Correda fiancée au mannequin hongrois le plus en vue. Maya Andrea Correda et Andris Barath ont annoncé leur engagement sur le compte Instagram de la jeune femme. Un cliché de la bague accompagnait le message. »

Voyant qu'elle regardait attentivement la télévision, un employé avait monté le son. Ekaterina eut l'impression que son monde s'écroulait. Tout ce temps, depuis sa rupture, elle avait vécu dans une bulle de fausses espérances. C'était pourtant évident, Andris était parti et jamais il ne serait revenu. Mais ce l'entendre dire, là, au milieu d'un café, à l'autre bout de chez soi, c'était pire que rompre. Son cœur se brisa tellement fort au fond d'elle qu'elle entendit les morceaux s'entrechoquer dans son oreille. Baissant les yeux, elle se rendit compte que ce n'était qu'une des serveuses qui nettoyait les dégâts provoqués par la chute de la tasse.

  • « Madame, vous allez bien ? » lui demanda-t-elle.

Elle secoua la tête, avant de se raviser. Personne n'avait besoin de savoir qui elle était et qu'est-ce qui la perturbait autant. Elle hocha vigoureusement la tête. Le changement brusque de mouvement lui donna le tournis. Elle agrippa le comptoir des deux mains. Le monde continuait de tomber. Elle se leva. Elle voulait à tout prix quitter cet endroit qui puait le thé renversé et les espoirs déchus. Elle chancela. Ses jambes ne la tenait plus. Elle se serait écroulée si une main musclée ne l'avait retenue. Elle se laissa guider vers une table libre. Comme un pantin, elle se laissa faire. S’asseoir sur une chaise, regarder devant soi, les pieds sous la table.

Un homme s'installa en face d'elle. Elle se concentra sur lui pour ne pas se mettre à pleurer. Il était musclé, vêtu d'un débardeur gris et d'un gilet sans manche. Elle aperçut un tatouage sur son poignet gauche et un autre derrière l'oreille. Ses cheveux rasés permettaient de voir la ligne parfaite de son crâne. De son visage, on repérait en premier lieu sa moustache à l'ancienne mode. Il avait de fins sourcils taillés, un menton net et volontaire, et un nez large. Ses yeux écartés donnaient un petit charme exotique à l'ensemble. Ce n'était pas un Adonis comme les hommes qu'elle côtoyait sur les podiums mais il avait une beauté atypique qui le rendait presque attirant.

— Jolie robe.

Il souriait, dévoilant un écart entre ses dents de devant. Son accent était charmant, il ne paraissait pas familier à l'oreille de la jeune fille.

Ekaterina se figea. Elle baissa les yeux sur sa tenue et les écarquilla. Elle portait toujours cette splendeur de Louis-Antoine qu'elle avait mise pour le gala de charité. La robe avait été miraculeusement épargnée face à l'attaque du thé grâce à la veste. Elle rougit.

— Merci, fut tout ce qu'elle put prononcer.

Il lui tendit la main par-dessus la table.

— Je me présente : Antonio. Je suis photographe.

Elle s'apprêta à répondre mais s'interrompit. Devait-elle tout dévoiler à un étranger ? Ne pouvait-elle pas garder une petite part pour elle ?

— Kattie. Je suis en vacances.

Il éclata d'un rire franc. La maman au bord se retourna pour le fusiller du regard.

— Oups. En voilà une qui ne m'aime pas. Je vous sert quelque chose ?

— Pas la peine. Je n'ai pas envie d'en renverser encore à côté.

— Vous êtes si maladroite que ça ? On ne dirait pas à vous voir.

« Quel flatteur ! » pensa-t-elle en balayant l'idée. Il paraissait sympathique. Elle avait besoin de se changer les idées. Elle ne ferait pas la difficile.

— En temps normal, non.

Il n'insista pas sur le sujet et Ekaterina le remercia d'un regard. Une heure plus tard, il lui montrait ses tatouages, après qu'elle ai eu le courage de le lui demander.

— Celui-ci, dit-il en pointant du doigt son poignet, est un caractère chinois qui me rappelle toujours d'ignorer le jugement des autres.

Désormais, ils étaient seuls dans le café. La femme et son bébé étaient partis après un nouvel éclat de rire d'Antonio qui avait fait pleuré l'enfant. Seul le barman continuait de nettoyer son bar en suivant d'un œil distrait la conversation.

— Il signifie quoi, réellement ?

— Feu.

Elle hocha la tête et il continua sa démonstration.

— Sur le torse, mais j'imagine que tu ne veux pas le voir, j'ai un appareil photo. Un ancien modèle qui ne se vend plus. Et j'en ai un dernier sur la cheville. C'est une sorte de bracelet avec un pendentif pour chacun des animaux que j'ai perdus. Un chien, un poisson et un chat. Enfin, c'est le dernier, jusqu'au prochain.

— Un suivant ? Tu as déjà choisi ?

— Je peux te montrer si tu veux.

Devant son air interloqué, il s'expliqua.

— J'avais prévu d'aller me faire tatouer juste après être sorti de ce café. Tu peux m'accompagner, si tu veux.

Elle aurait pu répondre que sa mère lui avait appris de ne pas faire confiance aux étrangers mais ça aurait été un mensonge. En vérité, sa mère lui avait seulement appris à mettre de jolies robes et à ne pas contrarier son père.

— Avec plaisir !

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