An American Week V - Tatoo

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13 juin, San Fransisco, Californie, USA, Amérique.

En sortant du café, Antonio désigna une moto. C'était une de celles qu'elle avait vues appuyées contre la devanture à son arrivée. Une Arthur 750, reconnut Ekaterina. Les parents d'Andris, dont sa mère était une très grande amie, avaient un voisin qui ne manquait jamais d'en exhiber une semblable. Celle-ci était d'un rouge poignant, rutilante sous la lumière du soleil. Il était midi, déjà.

— Vous montez ?

Alors qu'Ekaterina continuait d'admirer les lignes de l'engin, Antonio Maellan était monté dessus et avait enfilé un casque.

— Vous avez de la chance que j'ai toujours un deuxième casque sur moi.

Il lui lança un casque qu'elle rattrapa de justesse. Elle grimpa derrière lui, serrant ses bras autour de son torse et ils partirent en trombe dans les rues de San Fransisco.

Ekaterina se souvenait parfaitement de son premier tour en moto. À l'époque – c'était quelques mois avant que KOBSE ne se soit formé – elle n'avait presqu'aucun ami de son âge. Ses parents ne fréquentaient que des couples d'amis sans enfant ou des célibataires aigris. Elle n'avait pour compagnons de jeu que son frère, sa sœur et Andris, le fils de la meilleure amie de sa mère bien qu'il habite dans un autre pays – la Hongrie et l'Ukraine n'étaient pas vraiment voisins mais ils avaient l'habitude de passer leurs vacances l'un chez l'autre. Son frère avait un jour joué un tour à leur père alors qu'Andris effectuaient un séjour chez eux, à Odessa. Empruntant pour la journée la moto d'un ami, il s'était amusé à faire des tours devant leur maison en pétaradant. Le soir, à tour de rôle, ils étaient montés derrière Oleksandr pour un petit tour dans la ville.

Antonio se gara devant un salon de tatouage et Ekaterina desserra prudemment ses bras de la ceinture de l'homme. La devanture de la boutique était sombre et annonçait très peu de jours d'ouverture dans la semaine. Elle le signala à Antonio mais pour toute réponse, il esquissa un mystérieux sourire qu'elle ne sut pas interpréter. Poussant la porte, elle reçut de plein fouet le parfum de la boutique. C'était un mélange de parfum pour homme, de riz et de barbecue. Une étrange odeur pour un salon de tatouage.

Il n'y avait personne.

Antonio s'approcha du comptoir et tira sur une petite cloche qui émit un délicieux tintement. Ekaterina en profita pour observer son environnement. Il y avait un grand siège un cuir noir à demi-masqué par un rideau, un canapé, contre le mur, qui devait probablement servir de salle d'attente. Les murs étaient couverts de cadres représentants des stars et leurs tatouages tous frais.

Un homme apparut derrière le comptoir. Il était de taille moyenne, sec, les yeux bridés, les cheveux en bataille d'un savant fou. Son menton disparaissait sous une barbe de trois jours.

— Anton ! Ça faisait longtemps. Qu'est-ce que tu veux ?

— Deux tartelettes à la fraise et un sandwich au thon, Cole.

— Toujours autant d'humour, ce cher Antonio !

— Plus sérieusement, je voudrais ceci.

Il glissa sur le comptoir son téléphone ouvert sur une photo. D'où elle était, Ekaterina ne voyait pas ; Antonio faisait écran avec son corps.

— Joli.

Il jeta un coup d'œil sur le canapé blanc où Ekaterina s'était installée en continuant d'observer son mur aux célébrités. Ala David, Jym, Themis Rexton, Kemel Issa Maïssan... Elles fut surprises que toutes ces stars qu'elle avait admiré étaient déjà venues ici.

— Tu as amené quelqu'un ? demanda Cole en apercevant enfin Ekaterina.

— Je viens juste de la rencontrer. Je lui ai proposé de lui montrer mon nouveau tatouage dès qu'il sera terminé.

— Et bien, installe-toi.

En passant devant elle, Antonio la rassura :

— Ça peut durer un petit moment.

Il alla s'installer sur le fauteuil. Quelques minutes plus tard, Cole le rejoignit en souriant à Ekaterina. Les deux hommes commencèrent à converser à voix basse tandis que Cole préparait son matériel. Bientôt, il rabattit le rideau, les masquant totalement à la vue de la jeune fille.

Ekaterina sortit son téléphone et se décida enfin à l'allumer. Elle n'avait que deux messages : l'un provenait de la Fondation Baxter-Ayres, fondée par Honor et la famille de son copain pour les étudiants précaires, et l'autre de Nik. Elle ouvrit le second, se disant qu'elle aurait bien le temps plus tard pour répondre à Honor et lui faire son don annuel.

« Comment ça va, ma chérie ? »

Ses pouces tapotèrent l'écran avec une vitesse surhumaine.

« Et si je me faisais tatouer ? »

« Et si tu te rasais les cheveux et tu te teignais la peau en vert ? » répondit-il immédiatement avec humour.

Mais Ekaterina ne rigolait pas. Depuis qu'elle était entrée dans le salon de tatouage, cette idée lui trottait dans la tête. Elle résuma rapidement la situation à Nik. Le gala, Starra et Gayan, le café, Antonio Maellan, la moto, Cole, tout y passa. Néanmoins, elle préféra garder pour elle le souvenir qui lui était remonté à la tête en montant sur la bécane.

« Si tu es décidée, je ne vois pas comment je pourrais t'en empêcher. »

Ils discutèrent par messages interposés jusqu'à ce que le rideau s'écarte et qu'Antonio vienne vers elle. Il avait enlevé son t-shirt et elle voyait désormais le tatouage dont il parlait au café, pile sur son cœur. Un nouveau, celui que Cole venait de lui faire, patientait sous un pansement.

— À mon tour ! lança-t-elle.

— Vraiment ?

— Vraiment, répondit-elle avec un sourire.

Elle était décidée. Durant sa discussion avec Nik, elle avait choisi ce qu'elle voulait garder sur sa peau à vie. Une phrase. Dans une langue qui lui tenait à cœur.

Elle s'installa sur le ventre tandis que Cole lui récitait une liste d'avertissements et de précautions. Elle hocha la tête.

Il commença par nettoyer la zone qu'elle avait choisi. Elle n'eut pas besoin de se dévêtir car sa robe la démasquait entièrement.

— C'est un choix à vie, tu sais.

Oui, elle savait. Elle avait pensé à tout. À sa carrière de mannequin, à ce que les gens penseraient en la voyant. Mais elle n'en pouvait plus de poser comme une poupée pour des hommes rendus violets par la colère. Le regard des autres ne l'intéressait pas. Ils pouvaient bien penser ce qu'ils voulaient, elle s'en fichait. Elle voulait reprendre le contrôle sur son corps. Et ce tatouage était le premier pas.

Lorsque Cole eut finit avec elle – ce fut bien plus court que pour Antonio – elle retrouva son ami sur le canapé blanc. Il avait retiré le pansement. C'était une magnifique rose en profondeur collée sur le côté gauche de sa nuque. Au centre, comme le bourgeon qui éclot sous la rosée du matin, trônait un D finement tracé. Le tout était encré en noir.

— Magnifique, soupira-t-elle.

— Le D est pour ma mère.

— D comme... Débora ? Dakota ? Dina ?

— Non, rit-il. D pour Deanette. Et le vôtre ? Je peux le voir ?

— Il faut demander à Cole. C'est lui l'artiste !

— Attendez encore deux heures, au moins ! cria-t-il depuis l'arrière boutique où il était reparti.

— Et bien, il nous faudra occuper tout ce temps.

Il passa un bras autour des épaules d'Ekaterina et la guida vers la sortie.

— Merci Cole !

— Pas de soucis !

En sortant du salon de tatouage, Ekaterina ne pensait qu'à une chose. Lorsqu'elle remonta derrière Antonio, cette idée n'avait toujours pas quitté son esprit. Et lorsqu'ils filèrent dans les rues, elle l'avait encore en tête.

Ces deux mots gravés dans le dos, juste au-dessus de sa hanche. Sosem felejteni. N'oublie jamais. Car c'était ce qu'elle se répétait depuis qu'il était parti. Et ce serart ce qu'elle se répéterait toujours.

sosem felejteni (hongrois, prononcer chochem féleyteni) : n'oublie jamais

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