Un concert à Paris III - Après

9 minutes de lecture

19 juin, Paris, France, Europe.

Il était plus d'une heure du matin. Après avoir essuyé leurs fronts trempés de sueur pailletée, les filles sortirent de leur loge. Même si elles n'avaient toutes qu'une envie, s'écrouler sur un fauteuil, elles devaient honorer le carré VIP de leur présence. Ordre de Cecil.

Elles avaient enchaîné les chansons, se pliant aux exigences du public lorsqu'ils en redemandaient. Quatre albums à passer en revue, chacun contenant quinze chansons, cela faisait un bon nombre. Néanmoins, elles avaient adoré chaque moment passé sur scène. Et elles attendaient impatiemment leur prochain concert.

La porte du carré VIP était juste devant elles. Elles avaient eu vaguement la liste des invités sous les yeux lors de leur arrivée à Paris – ce qui remontait à deux jours plus tôt pour Sun Mei, Honor et Felicia et seulement au matin même pour Blake et Ekaterina. Pour autant, aucune n'avait retenu un seul nom. Elles verraient bien là-bas et aviseraient. C'était ce qu'elles faisaient d'habitude. Et ça marchait.

Mis à part Honor – elle avait convié Edward mais il avait mystérieusement annulé –, elles n'avaient invité d'elles-même personne en particulier. Ceux qui se trouvaient là avaient soit payé leur place – et donc déboursé une fortune que seuls les riches pouvaient s'offrir – soit ils étaient des gagnants du concours organisé par l'agent de presse employée par Cecil. C'était en majorité un public féminin. Les seuls hommes présents étaient sûrement là pour draguer – les membres des KOBSE, les serveuses derrière le bar ou n'importe quelle fille qui passait à moins de dix mètres du carré – ou exhiber leurs copines.

Elles portaient leurs tenues de scène, celles qu'elles avaient enfilé après la cinquième chanson. C'était des couturiers dépêchés exprès pour ce concert qui les avaient conçues. Elles étaient sensées représenter ce qu'elles étaient au fond d'elle mais le résultat n'était pas salué par l'unanimité.

Sun Mei portait la tenue la plus courte et moulante de toutes. Elle dévoilait plus de peau nue que de tissu, la rendant à la limite de la vulgarité. Maisie avait écarquillé les yeux rien qu'en la voyant.

On avait donné à Honor un serre-tête et une jupe stylisée à partir d'un uniforme typiquement anglais. Ses longs cheveux bouclés retombaient dans son dos. Elle avait l'air d'une petite fille timide.

Blake avait sur elle une robe de soirée dorée, avec une traîne. On aurait dit qu'elle s'apprêtait à recevoir un oscar. Sa tenue était trop habillée par rapport aux autres. Elle détonait.

Ekaterina, avec Cecil en soutien, avait violemment refusé le premier ensemble proposé. Pas question qu'elle chante sur scène habillée seulement de lingerie et d'une chemise transparente. Les couturiers avaient donc conçu à la dernière minute une robe reprenant les couleurs de la tenue traditionnelle ukrainienne :  rouge et blanc. Ekaterina avait fait la moue en la voyant mais ils n'avaient pas le temps d'en refaire une nouvelle alors elle l'avait enfilée en rajoutant un ourlet de cinq centimètres au bout.

C'était pour Felicia que ça avait été le plus compliqué. Son rôle dans le groupe, tout comme sa véritable personnalité et ses goûts étaient très difficiles à déterminer par le grand public. Les stylistes avaient fini par se décider pour des baskets, deux nattes et un t-shirt noué sur le ventre. Un style assez commun que les filles de sa génération ne manqueraient pas de copier.

Les couturiers s'étaient trompés pour chacune d'elles. Ils avaient conçu leurs costumes de scène en fonction de ce qu'ils voulaient montrer au public et non pas pour ce qu'elles étaient vraiment.

Sun Mei poussa la porte et entra dans la pièce la première. Elle avait enfilé un grand pull en laine par-dessus sa tenue. Ainsi, elle se sentait un peu plus à l'aise.

Grâce à des vitres sans rebords, et des canapés moelleux, le carré VIP était aménagé de telle façon  qu'une vue imprenable sur la scène était disponible tout en gardant le confort du au prix des places VIP.

À peine furent-elles entrées qu'un essaim de jeunes filles leur sauta dessus. C'était des gagnantes de concours, ça ne faisait aucun doute. Après avoir distribué quelques autographes et selfies réclamés à grand cri, KOBSE fut libre de ses mouvements : les filles s'étaient éloignées en piaillant.

Blake jeta un coup d'œil au reste des VIP. Elle reconnut quelques stars de la chanson française qu'écoutait Felicia de temps à autre, des étoiles du sport en vacances et d'autres riches avec de l'argent à perdre. Son regard s'arrêta sur un groupe d'hommes qui discutaient à voix basse.

— Brook ?

Un des hommes se tourna vers elle. Il avait laissé pousser sa barbe blonde, celle qui ne faisait qu'un fin duvet sur son menton auparavant. Les lunettes demi-lunes posées sur l'arrête de son nez le vieillissaient légèrement mais Blake le reconnut sans peine. Ce qui changeait vraiment, c'était la couleur de ses cheveux :  rouge flamboyant.

— Blake ! s'exclama-t-il avec un grand sourire en venant vers elle. Comment ça va, ma puce ?

— Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

Elle évita habilement sa question. Discuter de ses sentiments et de son bien-être avec un de ses ex n'était pas dans ses priorités. Elle n'était même pas sensée le revoir avant très longtemps ! Derrière lui, elle aperçut les membres de Time, le groupe dont il était le batteur. Elle les salua de la main tandis que Brook l'emmenait à l'écart.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je préfère qu'il n'y est pas d'oreilles indiscrètes quand je discute, répondit-il en roulant des yeux en direction du membre de son groupe. Ils ont tendance à toujours déformer ce qu'ils croient entendre.

— Donc, tu crois que c'est encore mieux de laisser la salle entière nous entendre et nous voir ? C'est un point de vue intéressant...

Blake croisa les bras. Il l'avait emmené juste à côté de la vitre. En dessous d'eux, la foule entière pouvait les voir et avec un peu de chance, les entendre. Brook soupira.

— Désolé. J'ai l'impression de toujours t'attirer des problèmes.

— Ça, c'est sûr. Les plans foireux, c'est ta spécialité !

Il l'attira à l'écart. Derrière une plante en pot, placée là pour une obscure raison, personne ne pouvait les voir. Ni le public, ni les amis de Brook.

— Plus maintenant.

— Quoi ?

— Depuis que...

Il passa une main dans ses cheveux désordonnés. À l'époque où ils sortaient ensemble, les cheveux de Brook étaient ce qu'elle préférait chez lui. Elle pouvait passer des heures à glisser sa main dans ses boucles blondes sans se lasser. Désormais, il les lissait et les teignaient en rouge ce qui, Blake ne lui aurait jamais avoué à voix haute même si elle le pensait sincèrement, le rendait ridicule.

Brook suivit le regard de Blake et baissa les yeux. Il paraissait presque... mal à l'aise.

— Ouais, j'ai changé.

Les yeux de Blake descendirent de son crâne à sa bouche.

— Tu peux répéter ?

Il lui lança un regard interrogateur mais obéit néanmoins.

— J'ai dit : ouais, j'ai changé.

Blake poussa une exclamation. Dans le regard de Brook, ce n'était plus qu'une lueur curieuse qui traînait. Il était réellement perplexe.

— Tu peux m'expliquer, s'il te plaît.

— J'y crois pas...

— Bon dieu, Blake. Je ne comprends rien de ce que tu racontes !

— Et là, encore ! Tu viens de le refaire.

— Si tu ne me dis pas tout de suite, je m'en vais.

Elle soupira et le regarda droit dans les yeux. Les lunettes de Brook la gênait pour voir ses yeux. Elle esquissa un sourire.

— Tu as pris l'accent anglais.

Brook eut l'air outré. Ils s'étaient toujours moqué tous les deux de l'accent lent et marqué des anglais lorsqu'ils visionnaient des séries. Il était bien la dernière personne qu'elle aurait imaginé adopter l'accent.

— Non, non, c'est pas possible.

— À quand remonte la dernière fois où tu étais en Angleterre ?

— Avant-hier.

— Et pour combien de temps ?

— Un mois.

— Je suis désolée de te l'apprendre mais tu as été contaminé.

Il secoua la tête avant de se rendre à l'évidence : il avait réellement attrapé cet accent.

— T'inquiète pas, le rassura Blake avec un sourire. Ça arrive même aux plus forts d'entre nous.

La fausse solennité de sa phrase les fit éclater de rire.

— Tu n'as pas répondu à ma question, lui dit-elle sans l'avoir quitté des yeux .

— Laquelle ?

— Qu'est-ce que tu fais-là ?

Il releva la tête.

— Oh, je suis venu avec Soraya. C'est une grande fan et elle ne pouvait pas croire qu'on était ensemble.

— Soraya ?

— Ma copine.

Blake marqua une pause.

— Oh.

Elle ne s'y attendait pas vraiment. Après tout, ce n'était pas parce qu'elle n'était sortie avec personne – au delà de deux rencards – que lui aussi.

— Il faut absolument que je te la présente ! Au fait : jolie robe !

Avec Blake ait eut le temps de protester, il sortit de leur cachette. Il alla voir un groupe de jeunes filles entourant Honor. Elles hurlaient autour d'elle, poussant de petits cris stridents.

« Pitié, Brook. Dis moi que ta Soraya n'est pas une de ces filles-là... » marmonna Blake entre ses dents. Elle détourna le regard du groupe de filles pour le planter sur la salle. Elle commençait à peine à se vider. Les gens étaient persuadés que KOBSE allait resurgir pour une nouvelle chanson. Ils allaient sans doute être déçus. Quelques uns levèrent la tête vers le carré VIP et elle les salua d'un geste de la main.

Brook revint rapidement vers elle. Il tenait un verre dans sa main gauche. Blake devina facilement ce qu'il contenait. De la limonade : Brook en raffolait. À son autre bras, il tenait une femme.

Une taille de guêpe. La peau naturellement sombre et hâlée. Les cheveux noirs et brillants tombant en tresse au milieu de son dos. Une reine du Sahara.

Elle avait posé un béret violet sur le coin de sa tête. Cette la seule faute de goût qu'on pouvait lui reprocher. Mais, après tout, elle n'était pas française – anglaise, peut-être, d'après les dires de Brook – on ne pouvait pas lui en vouloir de suivre des clichés perpétrés par des générations.

— Blake, je te présente Soraya. Soraya, voici la célèbre Blake.

Blake tendit sa main mais Soraya se jeta dans ses bras. Elle fut prise de court. Elle ne s'attendait pas à un tel accueil de la part de la nouvelle copine de son ex.

— Je suis trop heureuse de vous rencontrer ! s'exclama-t-elle lorsque Blake réussi enfin à la détacher.

Elle avait un fort accent étranger qui gênait presque à la compréhension.

— Moi aussi, répondit-elle, faussement enjouée.

Brook s'éloigna pour aller rejoindre son groupe, laissant les deux filles seules. Blake sentait qu'un silence embarrassant était sur le point de s'installer entre elles. Mais Soraya continuait de sourire béatement comme si c'était le plus beau jour de sa vie.

— Je suis trop contente de te rencontrer ! reprit-elle.

« Ça y est, pensa Blake presque ironiquement, on est meilleures amies. »

Soraya commença à lui raconter sa vie. Avec son fort accent, Blake ne comprenait pas le quart de ce qu'elle disait mais elle saisit néanmoins les grandes lignes. Elle avait grandi dans un village au nom imprononçable en Afrique du Nord. Elle était en vacances en Angleterre quand elle avait rencontré Brook. À ce moment-là, Blake se permit d'interrompre son récit :

— Vous sortez ensemble depuis combien de temps ?

— Deux semaines !

Toutes  les phrases que Soraya prononçaient se terminaient par un point d'exclamation. Elle n'arrêtait jamais de sourire. Heureusement que sa dentition était parfaite sinon Blake ne l'aurait pas supporté. Au moins, elle ne puait pas l'alcool.

Soraya enchaîna ensuite sur sa sœur. Elle était si fière d'elle : elle parlait parfaitement le français, l'anglais et l'arabe. Pour elle, elle était celle qui avait le mieux réussi de toute sa fratrie.

— Elle a un salon pour se faire belle, ici !

— Ici... À Paris ?

— Oui, oui !

Elle hocha violemment la tête. Son béret tremblota. Puis, son sourire s'agrandit – si tant est que ce soit possible.

— Tu devrais y aller avec tes amies de musique !

— Oh, je...

Blake ne pouvait décemment pas dire oui. Elle devait retourner en Suisse pour finaliser le tournage. Son avion décollait le jour même dans l'après-midi et elle avait encore plein de choses à régler avant.

Mais, elle ne pouvait pas non plus dire non à Soraya. Les filles restaient encore quelques jours. Il suffirait qu'elle leur demande.

— C'est une idée.

Et elle lui sourit.

Lorsque Brook revint enfin, après les avoir laissées une heure et demi en tête à tête, elle se dit qu'il avait enfin trouvé quelqu'un de bien. Pas forcément la bonne. Mais quelqu'un qui en valait la peine.

Bon d'accord, Soraya n'était pas vraiment une flèche. Mais elle était gentille, pas trop nunuche et avait du style. Elle avait du potentiel.

Lorsqu'il fut cinq heures du matin, et que tout le monde était vraiment épuisé, ou déjà rentré chez lui, Blake salua Soraya en l'embrassant sur les deux joues. Puis elle lui murmura une phrase qui resta gravée dans l'esprit de la jeune femme durant très longtemps.

— Brook a de la chance de t'avoir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Angelinnog ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0